Une BD, un dico déjanté et rigolo, Didier Tronchet détaille ses deux nouveautés dans Casemate 90. Pour Casemate.fr, il revient sur le second qu’il a voulu absolument sans images ! Petite leçon subli-minable.

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Dans votre bouquin L’Univers à peu près, vous affirmez que les tigres n’existent pas. Ah bon ?
Didier Tronchet : J’écris que ces gentilles bêtes sont en fait « un ensemble de taches pour un test de Rorschach […] La puissance de l’esprit humain est telle que certains d’entre nous se font régulièrement dévorer par le fruit de leur imagination. » Si j’avais à donner une bonne définition de moi-même, ce texte me conviendrait bien. À force de voir dans un test de Rorschach un tigre, la réalité prend le pas sur la fiction et on se fait dévorer. C’est une belle définition de la fiction elle-même. Voilà ce que devrait être une fiction : un test de Rorschach devenu tigre.
Vous lancez une véritable déclaration d’amour à toutes les bibliothèques…
Quand je rentre dans un appartement où il n’y a pas de livres, je suis instantanément malheureux. Privé de ces vibrations que j’aime tant. Avec un doigt, faire bouger un livre dans une bibliothèque est pour moi un miracle invraisemblable. Avec ce simple geste, je ne sors pas un livre, j’entre dans un monde parallèle. Une bibliothèque dans un appartement est en fait composée d’une multitude de petites portes sur des mondes étranges, inconnus, fascinants, terrifiants. Ce sentiment, je le ressens, à chaque fois, très fortement. Pénétrer dans une pièce avec une bibliothèque, c’est sentir que les livres nous regardent. J’écris que ce n’est pas nous qui choisissons les livres, mais eux qui nous choisissent. Penser qu’on va vers un livre parce que notre libre arbitre en décide ainsi est une illusion. C’est le livre qui a décidé que ce jour-là, on était prêt à s’y plonger. Une sorte d’hypnose nous amène vers le livre. Qu’est-ce que la lecture si ce n’est un acte d’hypnose ? Une magie que rien d’autre ne peut produire ? Les images de télé sont explicites. Même la bande dessinée est explicite. Alors que, c’est complètement fou, un simple alignement de caractères fait naître en nous toutes sortes d’images !

Qu’est-ce que la lecture ? Un acte d’hypnose, une magie que rien d’autre ne peut produire

Pourquoi vous, dessinateur, n’avez-vous pas illustré ce petit bouquin ?
Des gens s’en sont étonnés. J’aurais été redondant, reprenant les idées de mes textes, refaisant la même chose en plus caricatural. Ce qui m’intéressait était de me livrer à l’exercice mystérieux et complexe qu’est l’écriture, un exercice qui débouche, chez le lecteur, sur une imagerie différente de celle que je réaliserais par le dessin. J’ai eu la chance d’écrire plusieurs livres, en parallèle avec mon activité de dessinateur. Et j’en reviens toujours à ce mode d’expression qui est, à mon avis, le plus puissant. Je reste admiratif devant la force d’évocation de simples mots sur une page, cette capacité à faire entrer, avec le minimum d’effets, un lecteur dans un imaginaire sans limites.
Les mots plus évocateurs que les dessins ? Un comble pour un auteur de BD, non ?
J’adore poser des images, mais travailler sans elles est le moyen le plus sidérant qui soit de rentrer dans un esprit humain. Mais attention, ce petit livre n’est pas sérieux, mais d’un dérisoire absolu. Toutes ces petites entrées sont d’un domaine que j’appelle l’infiniment moyen. Je ne suis pas intéressé par l’infiniment grand ni par l’infiniment petit. En revanche, le moyen, le subli-minable me plaît. Il y a une forme de sublime dans le minable. C’est un peu ce que je recherche, la grandeur dans la médiocrité.
Chips, testicules, tombeau du Christ, corrida, pantoufles…
Une partie du livre est composée de reprises de thèmes que j’ai déjà traités en bande dessinée. Mais j’ai creusé plus loin. La bande dessinée a sa limite : un gag, cela se termine. Mais si on poursuit la descente profondément dans la grosse connerie, en apnée, on débouche sur quelque chose de différent qui méritait, à mon sens, d’être exploré. C’est l’art du recyclage à l’infini. J’aime l’itinéraire des objets qui sont amenés à se transformer, changer d’itinéraire comme les idées. Pourquoi figerait-on une idée parce qu’elle a été exprimée d’une façon X ? Une idée est vivante. Donc peut évoluer. Les objets aussi. D’où, par exemple, ma guerre des montres…

Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS
Supplément gratuit de Casemate 90 – mars 2016.

L’homme qui ne disait jamais non,
Olivier Balez, Didier Tronchet,
Futuropolis,
21 €,
dispo.

 

L’Univers à peu près,
Petit Imprécis de culture approximative,
Les Échappés,
13,90 €,
3 mars.