Achdé a délaissé Lucky Luke le temps de croquer Aïe !, impromptu médico-rigolard consacré à la meilleure amie de l’homme : la douleur. Cela avec la collaboration du rhumatologue Patrick Sichère. Achdé, fin connaisseur du milieu médical, raconte leur expérience dans Casemate 175 (en vente). Restait à lui demander d’évoquer sa complicité graphique avec une légende du rire, Gotlib, dont il semble très proche. Et son opinion sur Les Indomptés, un one shot Lucky Luke signé Blutch.

Vous pourriez presque dessiner la suite des Rubrique-à-brac !
Achdé : Ah, Gotlib… le seul, l’unique. En humour, je le mets sur le même pied qu’un Will Elder, un Jack Davis, ces grands grands humoristes de Mad. Ils conjuguaient dessin extraordinaire et style d’une percussion hors du commun. Ce qui m’épate le plus chez Gotlib, c’est sa capacité de déformation. Nos références, malgré notre différence d’âge, sont Mad et Tex Avery. Et aussi, issus tous deux de milieux assez modestes, sans télévision, beaucoup de journaux et de livres.
Vous reprenez même plusieurs des gimmicks gotlibiens : un clone du professeur Burp, le ver dans la pomme, l’éléphant miniature…
Oui, le professeur Marcel Hippocrate s’en inspire. Je ne peux rien y faire. Gotlib n’a d’ailleurs pas inventé ce type de personnage. La sortie de case pour faire un commentaire est un procédé que l’on trouve dès Gustave Doré. Mais Gotlib a poussé ce genre d’humour au sommet. On voit souvent son personnage passer devant le découpage de la case. D’où double lecture marrante avec un type qui est dans la BD et qui la commente à la fois.

“Gotlib et moi venons de milieux modestes, sans télé, mais avec beaucoup de journaux et de livres”

En noir et blanc, c’était assez évident. En couleur, il a fallu passer ses apparitions en monochrome bleu pour que les jeunes lecteurs comprennent bien qu’il s’agissait d’un personnage hors champ de la BD. J’ai quand même relu les Rubrique-à-brac et les Dingodossiers avant de démarrer, histoire de prendre un peu de recul, ne pas trop me laisser influencer. Je rends hommage, je ne pompe pas, surtout pas !
En combien de langues exprimez-vous la douleur sur les pages de garde ?
Une cinquantaine ? Il a surtout fallu trouver des gens pour traduire, car nous ne sommes pas passés par Google Traduction. On a dégotté les trois versions chinoises. Pour le tibétain, plus compliqué. Il a fallu inventer. Parce que chez ces gens-là, Monsieur, on ne se plaint pas quand on a mal ! Ce fut assez drôle à faire.
Pourquoi ce conseil de lecture : « À lire en écoutant la musique d’Amicalement vôtre » ?
Lire une BD avec un bon verre d’Armagnac (je vis dans le Gers !) est un plaisir intense. On peut se prendre pour Brett Sinclair pendant quelques minutes. Toujours ça de gagné !

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°175 – janvier 2024


« Moi c’est le gros nez, Blutch, lui… »

Achdé, bientôt douze Lucky Luke au compteur depuis Le Cuisinier français signé avec Guy Vidal, pilier du journal Pilote, revient sur Blutch, auteur des Indomptés, un one shot Lucky Luke (dossier de six pages dans Casemate 174).

Blutch, un copain ?
Achdé : On ne se connaît pas du tout. Je l’ai croisé un matin à Paris. Nous nous sommes serré la main. C’est tout. C’est une pointure question cinéma. J’avais adoré ses portraits d’Ava Gardner (Pour en finir avec le cinéma, Dargaud) et son Lucky Luke m’a bien fait rire. Il a mis beaucoup de lui dans cette aventure remarquable. J’ai une grande admiration pour son travail et son style graphique, mais nos mondes sont différents. Et nous ne sommes pas perçus de la même manière par les médias. Moi, je reste toujours le guignol qui fait du gros nez. Lorsqu’on parle de Lucky Luke, les médias parisiens préfèrent d’ailleurs souvent s’adresser au scénariste, partant du principe que le dessinateur est forcément un bourrin… Cette année, j’ai quand même eu droit à quelques questions étonnantes. Genre : « Est-ce bien vous qui écrivez dans les bulles ? » C’est assez désespérant.

“Les médias parisiens s’adressent très souvent au  scénariste. Le dessinateur ? Forcément un bourrin”

Blutch nous confiait que le style Morris l’a tant habité qu’il faut qu’il se « dé-lucky-luse ». Pour vous, fut-ce plutôt l’inverse ?
Le style Morris est très particulier. L’encrage au pinceau fait que vous avez le style, ou pas. L’instrument fait beaucoup. Pour Aïe !, je voulais rendre mon trait plus nerveux, et encore je n’ai pas fait ce que je voulais, un style plus américain, un peu à la Jack Davis dans Mad. Évidemment, quand j’ai évoqué un album noir et blanc avec du lavis, j’ai vu les bras monter au ciel : « Oh la la, ça ne se vendra pas du tout ! » Là, j’ai travaillé avec des feutres spéciaux que je fais venir du Japon, qui me permettaient un trait plus nerveux tout en ayant la sensation que c’était malgré tout du pinceau. Car j’ai toujours la crainte de perdre ma main. C’est devenu une seconde nature. J’avoue, je ne pourrais plus me dépêtrer du style Morris.
Cela se sent dès la frise de personnages sur la couverture de Aïe !
Je n’ai pas pu m’en empêcher ! Mon épouse me dit parfois que je fais du Lucky, et pourtant je voulais séparer les deux genres. Mais c’est comme ça !

AB

Aïe ! #1,
La douleur se traite aussi avec humour,
Achdé, Patrick Sichère,
Fluide Glacial,
56 pages, 13,90 €,
dispo.

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