Alors que s’achève en BD la légendaire trilogie de Marius-Fanny-César et sort une pièce inédite de Marcel Pagnol, Gaby (dossier de dix pages dans Casemate 178, en vente), Nicolas Pagnol retire de Marseille les jolis souvenirs de son grand-père. Entre autres motifs, le fait que le maire ait fait figurer sa photo sur des albums BD de Pagnol offerts aux enfants des écoles. Ambiance… Une de ces querelles picrocholines où le ton monte à vitesse supersonique, et dont l’auteur du Château de ma mère aurait sans doute fait ses choux gras.

Quelle est l’origine de ce divorce Pagnol-Marseille ?
Nicolas Pagnol : On parle d’un appel d’offres réalisé dans des conditions opaques pour me dégager du château de la Buzine, dans le XIe arrondissement, où était installé un hommage permanent à Pagnol, et mettre à ma place quelqu’un qui convient sans doute mieux à la municipalité de Marseille. Le ton est monté, insultes, diffamation. J’ai eu droit à « Nicolas Pagnol est un mystificateur » ! Pour les édiles marseillais, la Buzine « n’est pas le château de ma mère ». Et je serais « homophobe, raciste ». Et, la totale : « Je ne mériterais pas de porter le nom de mon grand-père » !
Vous leur aviez touché un nerf ?
Je fais beaucoup de choses dans toute la région. Toujours à titre bénévole. Je n’ai aucun intérêt économique au sens strict dans le Sud. Les miens sont à Paris. Donc je suis libre de dire ce que je veux. Et ça ne doit pas leur plaire.
Ainsi votre réaction après avoir découvert la photo du maire sur les albums BD Pagnol offerts aux écoliers ?
Le pire, c’est que je pense qu’ils ne se rendent même pas compte de son côté choquant.
L’ego ordinaire des politiques ?
Je ne suis même pas sûr que cela relève de cela. Lorsque Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence, a offert aux collégiens plusieurs milliers de bandes dessinées d’un tirage à part de La Gloire de mon père et du Château de ma mère, traduits en provençal, à l’intérieur, figurait juste la mention : « Cette bande dessinée vous est offerte par le département. » Sans la tête de Mme Vassal en première page. Là, on a affaire typiquement au culte de la personnalité. Cela me fait penser à certaines périodes noires de l’Histoire. Il faut arrêter ce genre d’appropriation. Considérer qu’un livre puisse devenir un prospectus électoral ou politique, ça me paraît aberrant !

“Estimer qu’un livre peut devenir un prospectus électoral ou politique me paraît aberrant !”

Pourquoi vous accuse-t-on d’homophobie ?
Je ne comprends pas. Dans un tweet, j’ai employé le mot « lopette », mais sans allusion sexuelle. Lopette ? Ouvrez le dictionnaire : dans le langage courant, « homme veule ». Dans le langage ordurier : « pédéraste ». Eh bien moi, je n’écris pas en langage ordurier ! Ils sont tombés là-dessus et ont essayé de faire en sorte que les associations de défense anti-homophobie portent plainte contre moi. Évidemment, aucune n’a réagi. Puis, il a été annoncé en conseil municipal public que la mairie de Marseille allait porter plainte contre moi. J’attends toujours. Tout cela, cette diffamation, ces menaces, c’est fait pour me salir.
Et du coup, vous saisissez les tribunaux !
Bien sûr. J’ai porté plainte. Une première action est en cours pour injure publique et diffamation. J’en prépare une seconde avec mon avocat. Malgré un avis favorable du Centre d’accès aux documents administratifs (CADA), la mairie refuse de nous envoyer les documents administratifs relatifs à l’appel d’offres concernant le château de la Buzine. Donc, logiquement, au bout d’un moment, nous allons devoir saisir le tribunal administratif en référé.
Avec astreinte ?
Ils la paieront ! Enfin, pas eux, mais les Marseillais. Pareil quand Benoît Payan, le maire de Marseille, annonce qu’il offre La Gloire de mon père aux collégiens. Non ! C’est la ville qui offre.
Que peut faire Marseille pour le cinquantenaire de la disparition de Pagnol sans votre aval ?
Pas grand-chose. Qu’ils essaient…
Allauch a raflé la mise. Pourquoi pas Aubagne, où est né Pagnol ?
Le musée, à l’origine, il y a une dizaine d’années, devait effectivement se faire à Aubagne. Avec le maire Gérard Gazay, nous y avons travaillé comme des fous. Manque de chance, Aubagne n’avait pas de foncier disponible à l’époque. Et Allauch est arrivée avec un emplacement superbe, et une grosse envie. J’ai dit banco ! En étant vraiment désolé pour Aubagne et Gérard Gazay. Mon rôle est de faire en sorte que ce musée existe dans un endroit légitime. La Bastide Neuve et les collines, toute l’enfance de Marcel, se passe sur le territoire d’Allauch. Le musée reste en Pagnolie, comme on dit.

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°178 – avril 2024


Pagnol c’est aussi du Rahan

Marius-Fanny-César bouclé en mai, La Fille du puisatier publiée en août. Êtes-vous en train de gagner votre pari, éditer tout Pagnol en BD ?
Hervé Richez (directeur de collection pour Grand Angle) : Oui. J’en suis d’autant plus heureux que cette trilogie, un des deux grands morceaux de l’œuvre de Pagnol, avec ses souvenirs d’enfance, fut une aventure particulière. Avec trois équipes d’auteurs à gérer. Au départ, pour des raisons techniques et commerciales, j’ai eu l’idée saugrenue de couper Marius en deux albums. Ce fut une erreur. Le dessinateur Sébastien Morice est parti sur un autre projet Bamboo – Grand Angle et nous avons confié Fanny et César à deux équipes de jeunes dessinateurs très doués (Winoc, Amélie Causse et Victor Lepointe). L’ensemble reste très cohérent. Les trois albums s’inscrivent dans une complémentarité de styles et surtout de couleurs, tout en ayant chacun leur propre caractère.
L’ensemble reste adapté par Éric Stoffel ?
J’y tiens beaucoup. Éric est à l’origine du projet avec Serge Scotto, qui a quitté l’aventure après Fanny, pour des raisons personnelles. Éric et Serge, en gardiens du temple, appliquaient notre bible : pas un mot dans nos albums qui ne soit de Pagnol. Éric continue à y veiller.

“Pas un mot dans nos albums qui n’est pas de Marcel Pagnol”

Une vingtaine de titres, 400 000 albums vendus, dont 90 000 de La Gloire de mon père. Pourquoi les ventes diffèrent-elles autant selon les albums ?
C’est assez logique. Titres connus égalent ventes importantes. Titres beaucoup moins connus, ventes moindres. Avec de belles surprises, comme Les Pestiférés, récit totalement inconnu et resté inachevé. Son sujet : l’arrivée de la peste à Marseille en 1720. Pagnol avait raconté sa conclusion à sa femme Jacqueline et leur fils Frédéric. Nicolas, son petit-fils, a pu capter leur mémoire, nous permettant de publier l’histoire dans son intégralité. Et de découvrir que cette fable historique se concluait par un véritable manifeste politique, montrant des zadistes avant l’heure. L’album a bien marché (12 000 ex.). Avec un tel sujet, ce n’était pas gagné d’avance.
Côté regrets ?
Des œuvres plus confidentielles, comme Jazz ou Merlusse, ont un peu moins attiré le public. L’album le moins bien vendu a fait 6 000 exemplaires, déjà bien dans la production BD actuelle. Mais, pour Pagnol, probablement pas assez. Peut-être cela est-il dû à des visuels de couverture pas toujours super avenants, au rendu parfois un peu anxiogène, ce qui est antinomique avec Pagnol. On est en train de les refaire.
Et les deux tomes en provençal ?
La Glori de moun paire et Lou Castéu de ma maire s’adressent à un public plus restreint, mais ont bien fonctionné, autour de 6000 exemplaires pour les deux avec une prédominance de la Glori.
Quand pensez-vous boucler cette intégrale en quarante albums ?
Vers 2033 si le « Dieu commerce » est avec nous. Nous sommes au milieu du gué. Nous poursuivons la série entamée en 2013 avec la volonté d’alterner œuvres connues et beaucoup moins connues. Car on trouve tout type de récits chez Pagnol. Nous adapterons Le Premier Amour, un récit préhistorique mis en images par Jack Manini. Ce n’est pas vraiment un terrain sur lequel on attend Pagnol ! Ensuite, nous éditerons Le Secret du Masque de fer, une enquête autour du frère de Louis XIV par Sherlock-Pagnol, on va appeler ça comme ça, qu’on n’attendait pas non plus sur ce registre historique. Mais on aura également du plus classique avec Naïs prochainement.

AB

Marius – Intégrale,
Sébastien Morice, Serge Scotto & Eric Stoffel,
d’après Marcel Pagnol,
Bamboo – Grand Angle,
92 pages,
19,90 €, 27 mars 2024.

Fanny,
Causse & Winoc, Scotto & Stoffel,
d’après Marcel Pagnol,
Bamboo – Grand Angle
92 pages,
19,90 €, 27 mars 2024.

César,
Victor Lepointe, Éric Stoffel,
d’après Marcel Pagnol,
Bamboo – Grand Angle
94 pages,
19,90 €, 2 mai 2024.

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