Titeuf en forêt et sans portable. L’occasion pour Zep de se replonger dans ses 20 ans, lorsqu’il partait en colo, lui aussi, mais en tant que mono. Dans Casemate 147, il remonte même à ses 10-11 ans, quand il s’essayait à fumer « de la liane bourrée de paille sèche, absolument dégueulasse ». Lui restait à évoquer, par exemple, les rapports entre BD franco-belge et manga. Le tout émaillé de quelques-uns des nombreux dessins qui lui furent demandés durant la lutte contre la Covid-19. Une époque qu’il espère oublier très vite. Et qu’il n’a nulle envie de dessiner !

Titeuf a bientôt trente ans. Avez-vous gardé les lecteurs de cette époque ?
Zep : Je ne fais plus guère de séances de dédicaces, rencontre moins de gens, mais reçois toujours pas mal de courrier. Beaucoup d’entre eux viennent des lecteurs du début, toujours là. Certains, c’est assez drôle, ont acheté le nouveau Titeuf pour leurs enfants. On décroche bien sûr de ses lectures de jeunesse, avec l’envie d’autre chose. Mais on y revient souvent, réveillant des souvenirs. Ils m’en parlent, et je trouve cela plutôt chouette. Et puis, au début des années 90, il n’y avait pas la concurrence de la vague énorme de mangas qui déferle aujourd’hui.
Titeuf résiste-t-il toujours aussi bien aux mangas ou se fait-il grignoter petit à petit ?
Vieux débat qui existait déjà à ses débuts. J’entendais alors dire : « Tant qu’ils lisent Titeuf, au moins ils ne lisent pas de mangas. » Or, mes lecteurs étaient très souvent aussi des lecteurs de mangas qui ont, il me semble, fait beaucoup de bien à la bande dessinée européenne, secouant le cocotier, permettant de renouveler le public de BD. Dans les années 80, il y avait eu des succès isolés, comme Akira, puis Dragon Ball. Mais l’explosion des années 90, la profusion de titres venus du Japon a attiré dans les librairies un public jeunesse qui n’y mettait plus les pieds. Restait un public adulte et les éditeurs déployaient beaucoup d’énergie pour alimenter leur nostalgie. C’était l’heure des grandes reprises, à la Blake et Mortimer, et des séries classiques. Seule L’Association proposait alors une production nouvelle.
Donc Titeuf, manga, même combat ?
En tout cas, le lectorat de notre magazine Tchô ! a grandi en lisant du manga et très peu de franco-belge. Leurs références n’étaient plus du tout les nôtres. Leur maître ne s’appelait pas Franquin mais Toriyama, l’auteur de Dragon Ball. Certains découvriront la bande dessinée franco-belge à l’âge adulte. Du coup, s’est développé un style nouveau, mélange des deux influences, vachement intéressant. Injectant un dynamisme nouveau dans le découpage, la narration. Ainsi, un maître comme Enrico Marini est un métis des deux genres. Le dessin de sa première série, Les Dossiers d’Olivier Varèse, est très influencé manga.

“J’entendais souvent dire : Tant qu’ils lisent Titeuf, au moins ils ne lisent pas de mangas !”

Je connais des comédiens, YouTubers de 25-30 ans, tous fans d’animation japonaise, bourrés de références mangas, qui ont tous été lecteurs de Titeuf et se souviennent encore de tel ou tel numéro de Tchô ! Ce milieu est très métissé, en tout cas en Suisse. Des auteurs de notre équipe ont assuré une certaine transition, ainsi Ohm (Bao Battle), Bill et Gobi (Zblucops). Pourquoi opposer les deux genres ? Aimer la bande dessinée, c’est aimer qu’on nous raconte des histoires. Et les codes du manga, finalement, ne sont pas si différents de ceux de la BD franco-belge. Passer de l’un à l’autre ne me paraît pas insurmontable. Mais peut-être fais-je preuve d’angélisme. Je ne suis pas libraire. Dans leur vie quotidienne, c’est peut-être une autre histoire.
Au cours de La Grande Aventure, Titeuf ne se moque-t-il pas gentiment de l’écologie ?
Il n’y pense pas vraiment, quant à moi je suis plutôt sympathisant. Et je m’applique à avoir un comportement vert dans la mesure de mes moyens. Mais il est clair que Titeuf ne comprend pas tout. Et se retrouve face à certaines incohérences. D’un côté, il entend un discours vert tenu un peu partout, et en même temps il est bien conscient qu’on nous propose de consommer de plus en plus. Les chefs d’État se réunissent à Paris et annoncent pompeusement, et très fiers, une kyrielle d’objectifs destinés à sauver la planète. Résultat, six ans plus tard, aucune loi n’a été votée, aucune mesure réellement prise. On nage en plein paradoxe. On a envie de faire quelque chose, on essaie, mais cela demande des efforts, des choix difficiles à faire, et finalement rien ne se passe. Titeuf est un peu comme cela, lui aussi. Il a envie d’un monde meilleur, envie de le changer, mais c’est un gros flemmard. S’il n’est pas obligé, il ne fait rien. Je pense que, nous, les adultes, sommes encore pire.
Comment organisez-vous votre planning, entre Titeuf, vos carnets, vos œuvres plus adultes, hier Paris 2119, demain Ce que nous sommes (Casemate 147) ?
Je n’ai jamais cherché à organiser une alternance réfléchie entre ces genres. Mais j’ai vraiment besoin de cette variété. Besoin de faire des livres comme ils me viennent.

“Il existe une espèce de racisme cartoonesque. Prenez certaines caricatures célèbres d’Uderzo…”

Envie d’explorer d’autres domaines ?
Sans doute, mais rien n’est prémédité. Peut-être d’autres choses vont-elles arriver. Jeune, je ne me suis jamais dit : « Tu vas faire des albums de Titeuf pendant vingt ans avant d’attaquer des albums réalistes. » Il s’est trouvé qu’à un moment j’ai eu d’autres envies, ce fut les Happy Sex, Découpé en tranches, puis les carnets de croquis… J’aime bien la liberté, tellement précieuse, qu’offre la bande dessinée. Nous sommes hyper gâtés. L’auteur de bande dessinée maîtrise tous les paramètres de sa création, sans acteurs, sans metteur en scène. La seule chose qu’on ne maîtrise pas, c’est l’éditorial…
Vous inspirez-vous, dans votre dessin, de vraies personnes, de vrais enfants ?
Dans mes carnets, je dessine beaucoup de personnages que je croise dans la rue. Il m’arrive de me dire qu’il suffirait de les transformer légèrement pour en faire de super personnages de Titeuf. Mais je sais qu’il ne faut pas, qu’ils sonneraient comme des extraterrestres dans l’histoire. Qu’ils n’appartiendraient pas au monde de Titeuf. Car il existe une espèce de racisme cartoonesque. Prenez certaines personnalités célèbres caricaturées par Uderzo dans Astérix. Même si le lecteur n’identifie pas ces vedettes archiconnues des années 60 aujourd’hui oubliées, il devine qu’il s’agit d’une caricature parce qu’elles n’appartiennent pas au vocabulaire graphique de la série. D’où une espèce de distorsion, qui peut être sympa s’il s’agit d’une simple apparition, le temps d’une réplique. Mais, s’il devenait récurrent, je pense qu’il instaurerait un certain malaise. On aurait envie de lui demander de se casser. De nous laisser avec le petit monde auquel on est habitué.
À l’opposé, aimeriez-vous adopter dans les prochains titres un des personnages rencontrés par Titeuf pendant la colo ?
Clairement, Stella, son amoureuse déçue. Je l’aime beaucoup et ai eu beaucoup de mal à la quitter.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°147 – juin 2021.


Zep marche sur l’eau

Un magazine Titeuf sort cette semaine. Êtes-vous impliqué dans sa rédaction ?
Zep : J’ai suivi la production de ce premier numéro. Mais même si la presse BD m’intéressera toujours, je n’ai plus le temps de m’impliquer comme rédacteur en chef.
Les anciens lecteurs de Tchô ! retrouvent-ils le même esprit dans ce mag ou est-il principalement destiné à de jeunes et donc nouveaux lecteurs ?
Tchô ! était un laboratoire destiné à développer et à lancer de nouveaux projets. Ici, c’est un mag uniquement autour de Titeuf, ses personnages et ses thématiques. Dans ce numéro, lié au nouvel album, on parle de survivre dans la forêt, de reconnaître les traces d’animaux et d’apprendre à dessiner Titeuf, entre autres…
On espérait voir Happy Sex adapté un jour en audiovisuel. Surprise, vous annoncez tourner une série télé sur la vie de Jésus !
C’est une série que j’ai écrite et coréalisée avec Gary Grenier, pour la Télévision suisse. Une relecture humoristique de la vie du Christ. La première saison comporte 22 épisodes de 4 minutes. Notre J.-C. est un garçon très sympathique, qui parle à Dieu et fait quelques miracles. Mais il a un mal fou à dire à sa mère qu’il envisage de partir en mission… et encore plus d’annoncer à Marie-Madeleine, sa petite amie, qu’il va la quitter.
Louchez-vous vers Pasolini, les Monty Python ?
Même si j’adore la Vie de Brian, c’est un humour d’une autre époque. Mais nous sommes plus dans ce registre que dans celui de Zeffirelli ou de Mel Gibson.

“Lors du tournage de notre série sur le Christ, en Suisse, le lac faisait 8 °C et notre rivière 6”

Où tournez-vous ?
On reconstitue la Galilée en Suisse… Pas évident, mais on y est arrivé, malgré une météo de mai qui faisait plutôt ressembler le pays à un décor écossais. On a bénéficié d’une super équipe déco qui nous a sauvé ça. Les scènes de baptême par immersion et celles où J.-C. marche sur l’eau ont demandé pas mal de courage aux comédiens. Le lac faisait 8 °C et notre rivière 6 ! Le tournage a duré quinze jours.
Date de diffusion ?
On parle de septembre. Sur TV5Monde et peut être d’autres…
Qu’est-ce qui vous a le plus séduit et le plus enquiquiné dans ce tournage live ?
On a le sentiment d’une trentaine de personnes travaillant en permanence. Une ruche. Ça change de la quiétude de mon atelier, mais j’ai adoré l’expérience. C’est beaucoup plus souple que le dessin animé, qui est si long à réaliser qu’il ne laisse pas de place au repentir. On ne peut pas revenir sur un plan une fois qu’il est lancé. Et parfois cela dure des semaines. Ici, il y avait un texte et un story-board, mais les acteurs proposaient des choses et les séquences prenaient vie pendant le tournage. L’album The End est également en développement pour une autre série. Et peut-être Paris 2119 bientôt…
D’autres projets en dehors de Ce que nous sommes ?
Je prépare une immense fresque pour un immeuble de quatorze étages, à Genève. Et je prendrais bien quelques vacances ! J’allais oublier un autre projet, officiel depuis aujourd’hui : je suis président de l’Association pour un musée de la bande dessinée à Genève. Il prendra ses quartiers dans une magnifique demeure du 19e siècle et devrait ouvrir après travaux, d’ici deux ans.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément offert de Casemate n°147 – juin 2021.

Titeuf #17,
La Grande Aventure,
Zep,
Glénat,
62 pages,
10,95 €,
3 juin 2021.

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