Après avoir commenté dans Casemate 86 leur Esmera, premier scénario X de Zep, l’auteur de Titeuf et du Guide du zizi sexuel, et Vince (Les Chronokids) abordent le problème de l’impact, sur les enfants, du porno qu’on peut faire défiler sur sa tablette ou son portable d’un simple clic.

TETIERE_Esmera

Commentaire de l’éditeur Glénat sur votre bluette ?
VinceVince : Ayant rendu les planches un peu tardivement, ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour s’exprimer. Mais ils avaient lu le scénario complet et Jacques Glénat était hyper fan.
Prêt à quelques réactions négatives ?
Oui, des gens qui se sentent choqués peuvent attaquer, mais c’est imprévisible. Déjà, Esmera ne sera pas vendu en grande surface où ne sont présentés que de très grands tirages, le plus souvent d’aventures ou comiques pour la jeunesse.
À l’heure où d’un simple clic un môme peut choisir entre x sites pornos…
ZepZep : C’est pourquoi il est très important de parler de sexe. Il est important que le sujet soit également relayé dans les supports culturels. Que l’on voit du sexe même dans les films familiaux. En fait, il y est présent, tout le temps, mais à travers des allusions sexuelles un peu embarrassantes. Nous sommes dans des comédies à la française, donc il doit y avoir, par exemple, une allusion à la sodomie, mais évidemment d’une manière détournée pour que les gamins ne comprennent pas. Un moyen de faire rire les parents au détriment des enfants. Eux voudraient bien comprendre, mais les parents ne savent pas comment leur expliquer. Pourquoi ne pas être plus explicite ? Pourquoi, dans une comédie romantique, squeeze-t-on toujours la partie sexe même quand on sait que ces films vont être vus par des jeunes d’au moins 14 ans ? Je trouve cela un peu con. On cache les choses qui dérangent, c’est absurde. On va couper au cinéma une scène où on aperçoit un pénis pendant un quart de seconde alors que tout le monde voit sur Internet des bites en érection. Pour les ignorer, il faut vraiment faire preuve d’un certain héroïsme ! Nous les parents ratons quelque chose d’important en n’engageant pas la discussion sur le sujet. Résultat, lorsque nos enfants en parlent, c’est après avoir vu une scène de partouze sur un écran.

L’enfant voudrait comprendre les allusions, mais les parents ne savent les lui expliquer — Zep

Comment agissez-vous avec vos propres enfants ?
Ils ont 7, 9, 10 et 12 ans. Dans What a Wonderful World !, il y a de tout, des pages où je suis en train de bander ou même de baiser. Je les laisse lire cela.
On y découvre aussi un sexe à la place d’un nez !
Eux-mêmes dessinent ce genre de choses ! Et ça les fait bien rigoler.
Pourtant, lorsque vous dessiniez Happy Sex, vous planquiez bien vos planches.
Oui, et aujourd’hui encore, quand ils me demandent de leur montrer cet album je leur réponds non. J’aurais l’impression qu’ils grilleraient quelque chose. Il est plus drôle à lire quand on a déjà une vie sexuelle puisque Happy Sex c’est justement rire de la vie sexuelle. Après, s’ils le découvrent quand même, je ne trouverai pas cela grave du tout. J’aime mieux qu’ils voient des gens qui baisent, mais qui discutent aussi, qui vivent, qui sont des personnages de bande dessinée qu’ils ont vus habillés dans d’autres bandes dessinées, plutôt qu’ils découvrent la chose en regardant des mecs en train d’étouffer une nana avec leurs bites. Je leur dis de ne pas aller chercher ce genre de choses. J’ai bien installé des blocages sur les ordis, mais même avec un contrôle parental on peut toujours tomber sur des scènes pornos. Il y en a tellement ! Pensez que cela représente la moitié du trafic sur Internet.
Vince : Ce qui me dérange dans tous ces tabous, dans ces silences par rapport aux questions des jeunes, c’est qu’on mette une pression énorme sur une activité qui, comme le dit Zep (Casemate 86), est un jeu. Un jeu pour adultes, mais un jeu. Du coup, on évacue tout le côté sympa du sexe pour n’en retenir que le côté perversion, performance, presque menace étalé sur le Net. Les garçons se disent alors qu’il leur faut absolument être à la hauteur de ce qu’ils voient. Et les nanas aussi.

On évacue le côté sexe sympa pour ne retenir que le côté pervers, performance, vu sur le Net — Vince

D’où des comportements genre tournante ou fellation contre un portable ?
On en parle dans les médias qui sont friands de ce genre de choses, mais dans ma jeunesse, ces comportements existaient déjà. Comme au Moyen Âge, comme en 1900…
Au Moyen Âge, il n’y avait pas Internet !
Dans ma jeunesse non plus, mais je chourais des bouquins de cul chez le marchand de journaux.
Zep : Quoi qu’on raconte aux enfants, le sexe gardera son côté transgressif. Le moment où l’on passe à l’acte est transgressif, même si on vous a bien expliqué de quoi il est question, même si on a vu des images explicites. Il y a un moment où il faut le faire et, de toute façon, les parents ne peuvent pas tout expliquer. Mais cette espèce d’hypocrisie – il y a du sexe partout, mais on veut faire comme s’il n’y en avait pas – fait que le sexe est considéré comme quelque chose de pervers. Les enfants ne savent pas si ce qu’ils voient est pervers ou normal. Du coup, le sexe, en France, est super anxiogène. Beaucoup de jeunes ados se demandent, imaginant leur première expérience sexuelle, s’il s’agira d’un acte de perversion ou d’un chouette partage. Est-ce qu’il faudra qu’on me tape dessus, qu’on me pisse dessus ? C’est triste.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL et Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 86 – novembre 2015.

EsmeraEsmera,
Vince, Zep,
Glénat,
24 €,
25 novembre.


Titeuf vivant si…

La famille, les amis de Titeuf sous les bombes… une séquence-choc de Zep sur les évènements de Syrie et le drame des réfugiés a bouleversé un grand nombre de gens. Elle se termine par la vision du corps de Titeuf, crucifié dans des barbelés. Mort ou pas mort ?

Zep : Tout dépend du degré d’optimisme du lecteur. Si on vient à son secours, Titeuf vivra. Sinon il va crever. J’ai reçu beaucoup de messages après la parution de cette histoire. L’émotion rassemble, elle permet qu’on se sente encore humain alors que les images à la télévision ne nous font plus rien. Être embarqué dans une histoire avec un personnage de fiction qu’on connaît, avec lequel on est en empathie, brise un peu la carapace. Voir Titeuf subir le sort de centaines de milliers d’êtres humains choque, fait qu’on prend conscience de la douleur de tous ceux qui fuient leur pays sous les bombes. J’ai réalisé cette BD sans prévoir qu’elle aurait cet impact émotionnel. Et c’est arrivé. Tant mieux.