Imaginer les premiers jours d’Éric Zemmour à l’Élysée… Le scénariste François Durpaire, le dessinateur Farid Boudjellal et son frère Mourad, ex-patron des éditions Soleil qui revient en BD, ont osé (voir Casemate 155). Pour casemate.fr, François Durpaire évoque deux points forts de leur album. L’arrivée d’une supposée cousine de l’ancien polémiste, migrante arabo-berbéro-musulmane. Hypothèse crédible, vu les origines en Algérie de l’homme. Et un certain procès où témoigna le scénariste. Procès qui aboutit à la première condamnation de l’ancienne vedette de CNews.

Point fort de ÉlyZée : Zemmour se découvre une cousine migrante sans-papiers !
François Durpaire : J’avais proposé deux personnages à Farid. D’un côté un Français métis se posant des questions identitaires fortes : ne serait-il donc pas que Français ? Cela aurait été du vécu, car dans mon entourage pas mal de personnes sont dans ce cas. De l’autre, un sans-papiers qui pourrait amener le débat sur la question sociale : parler des gens qui n’ont pas de papiers pour travailler et pas de travail parce que pas de papiers. Le cercle vicieux. Sérieusement, ces gens-là menacent-ils vraiment la France ? Ainsi est née la migrante Saïda – inspirée d’une Jocelyne dans la vraie vie, et qui n’est pas Algérienne. Farid a eu l’idée d’en faire une cousine de Zemmour. Cette question identitaire déstabilise beaucoup le candidat d’extrême droite, on sent bien que cela le gêne. Peu de gens sont allés le chercher sur ce sujet. Zemmour dit qu’il est Français, parce que né en Algérie alors qu’elle était encore française. Circulez, il n’y a rien à voir. Nous avons voulu creuser la question. Pourquoi dit-il que ses parents ne sont pas des migrants ? On peut migrer des Antilles à Paris, cela reste une grande migration. Zemmour refuse jusqu’à cette qualification. Nous voulions lui renvoyer cela au visage. C’est un angle important. On l’a entendu dire récemment lors de l’émission de Bruce Toussaint sur BFM, « La France dans les yeux », que l’immigration a été une chance avant, mais qu’elle ne l’est plus aujourd’hui. On voit bien que quelque chose se joue à cet instant. Sans immigration, il ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, se serait structuré différemment. Il existe encore beaucoup de Zemmour en Algérie. Ce qui veut nécessairement dire qu’il a de la famille parmi eux ! Nous avons donc poussé le raffinement en lui inventant une cousine arabo-berbéro-musulmane. Elle lui porte l’estocade en lui assénant : « Nous ne sommes finalement séparés que par l’État français ! »

“La question identitaire déstabilise beaucoup le candidat d’extrême droite qui est né en Algérie”

Farid vous met en scène, comme dans le triptyque La Présidente sur Marine Le Pen.
Au début, il avait introduit ce joke hitchcockien en m’installant dans un coin de plateau télé. Ce clin d’œil immodeste n’était pas dans mon texte.
Cette fois, vous êtes impliqué dans l’action.
Oui, je voulais raconter un épisode que peu de personnes connaissent. Zemmour a été condamné en 2011 pour « provocation à la discrimination raciale ». À la demande de SOS Racisme, j’avais alors témoigné contre lui, et déclaré face à la juge : « La plupart des trafiquants sont juifs… » La salle s’était soudain figée dans un grand silence inquiet. J’ajoutai alors : « Y a-t-il un seul doute sur le fait que cette phrase soit antisémite ? Non ! Alors, il n’y a pas plus de doutes : la phrase de Zemmour “la plupart des délinquants sont noirs et arabes” – en l’absence de tout chiffre ou enquête, encore moins de statistiques ethniques, interdites – est une phrase raciste. » La juge a opiné doucement du chef. À cet instant, on a senti qu’on s’orientait vers une condamnation. La première.

“Appelé par SOS Racisme, je témoigne contre lui et lance : La plupart des trafiquants sont juifs !”

Une présidence Zemmour ne se passerait pas sans réactions ni soubresauts dans la population. Pourquoi ne pas en parler ?
Nous avons choisi de ne pas trop mettre l’accent sur cette notion de désordre. On a déjà décrit ce phénomène en imaginant l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Ici, nous voulions montrer les conséquences, notamment sur le pouvoir d’achat et nos relations avec l’Afrique. La politique migratoire de Zemmour aurait des conséquences assez immédiates. Je connais assez bien l’Afrique, et notamment le président du Sénégal, Macky Sall. C’est pourquoi je le fais parler. Je suis persuadé que la politique de Zemmour – en tout cas telle qu’il la décrit durant cette campagne – entraînerait des conséquences très nettes sur nos relations avec l’Afrique. Assez précisément sur nos économies, même si tous les Français ne se lèvent pas chaque matin en s’interrogeant sur le cours du cacao, du cobalt ou des matériaux indispensables à la fabrication de nos chers téléphones portables. On ne réalise pas toujours ce qui vient du Gabon, de Guinée ou du Niger et influe sur notre environnement immédiat. Et je ne parle là que d’économie. Pour le reste… La France ne met pas assez l’accent sur ses capacités de développement dans ces régions, notamment par son aire francophone en grande expansion. Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, est la première ville francophone au monde ! Zemmour n’a en tête que la démographie de ces pays, et reste aveugle à cette explosion de la francophonie qui pourrait être une grande chance pour notre pays.
Zemmour aurait eu Trump au téléphone. Le réel vous rattrape-t-il ?
Populisme ne veut pas forcément dire anti-système. Zemmour ne conteste aucunement les fondements économiques ou capitalistes de notre société. Comme chez Trump, sa seule réponse est l’immigration. Il n’avance pas de réflexion sur les questions sociales ou les inégalités. Tout cela est complètement hors de propos.
Vous collez Wauquiez à Matignon (voir Casemate 155) et détaillez son premier gouvernement.
Ciotti à l’Intérieur, de Villiers au Quai d’Orsay, Collard à la Justice, Boutin à la Famille, Bercoff à la Culture. C’est assez drôle.
Comment dédicaceriez-vous l’album à Zemmour ?
Tiens, je n’ai jamais imaginé devoir faire cela. Eh bien, pourquoi pas « de la part de ta cousine Saïda » ?

Propos recueillis par Pascal SEPTEUIL
Supplément offert de Casemate n°155 – mars 2022.

ÉlyZée,
Farid Boudjellal, François Durpaire,
Mourad éditions,
104 pages,
18,50 €,
10 mars.

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