Femme athlète vedette de l’entre-deux-guerres, honnie pour sa collaboration active avec l’occupant, Violette Morris est tuée par la résistance en Normandie. Kris (Notre mère la guerre), Bertrand Galic et le dessinateur Javi Rey remettent en cause cette version des faits et dressent, dans une série prévue en quatre tomes, un tout autre portrait de Violette Morris. Polémique assurée. Suite du dossier de six pages paru dans Casemate 118.

Vous rappelez que votre famille n’a de leçon de patriotisme à recevoir de personne.
Kris : Je travaille depuis longtemps sur un projet dans lequel je raconte l’histoire de mes aïeux à travers la résistance et la France libre en général. Titre : Mon arrière-grand-père, mon grand-père, De Gaulle et moi. J’ai pas mal enquêté également sur la collaboration. On voit bien que la France de l’époque n’était pas d’un côté toute noire et de l’autre toute blanche. Qu’il y avait beaucoup de gris, même si pendant longtemps, pour le camp des bons, tous les autres étaient des collabos, des salauds.
Vous défendez Violette Morris, surnommée la Hyène de la Gestap, une ex-sportive qui, fascinée par les Allemands, travailla pour eux.
Pour le premier point, c’est certain. Violette, homosexuelle assumée, a vécu des moments difficiles, plusieurs fois en procès avec les instances sportives. D’où une réelle déception par rapport à la France. Cette sportive pouvait être séduite par le culte du corps revendiqué du côté fasciste. Elle ne fut pas la seule dans le milieu homo. Elle répétait qu’elle ne serait jamais du parti des perdants.
Pour le second point, rien ne le prouve (Casemate 118). Garagiste fauchée, adorant les voitures, elle entretient celles de la Luftwaffe et sert de chauffeuse. Je crois qu’elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Politiquement, elle est nulle. On lui aurait proposé d’être chauffeuse chez de Gaulle, ou pilote d’avion (son rêve), elle aurait sans doute rejoint la France libre.
Vous la montrez boxant contre un homme. Était-ce fréquent ?
Non. On a trouvé le nom de trois boxeurs qu’elle a affrontés, dont un Américain. Ce ne sont pas des combats professionnels au sens propre, mais ils se déroulent devant un public.
Dans la BD, pourquoi ne voit-on pas l’issue de ce combat ?
Simplement parce que nous ne savons pas qui a gagné !

“Garagiste fauchée, folle d’autos, elle entretient celles de la Luftwaffe et leur sert de chauffeuse”

Cette homosexuelle assumée a été mariée. On la découvre portant le meilleur costume de son époux.
Cette scène est inventée. Elle a divorcé, mais gardé de bonnes relations avec son mari. Nous le présentons un peu trop idiot utile, mais nous le réhabiliterons dans le tome 2. Artilleur en 1916, il est vite versé dans l’aviation. Il lui apprend à conduire et lui a sans doute transmis sa passion de l’aviation.
Quelle fut la conduite de Violette Morris durant 14-18, vraiment courageuse ?
Il n’y a pas photo. D’abord infirmière Croix-Rouge, elle intègre le service des liaisons, fait parvenir les courriers, non pas en première ligne, mais juste derrière, sous les bombardements. Un certain nombre de femmes sont ainsi tuées. Elle fait la Somme, Verdun, d’où elle est évacuée pour pleurésie.
Ce fut une femme courageuse. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle sera la seule à accepter d’emmener le poète Jean Cocteau voir son amant, Jean Marais, sur le front. Nous parlerons des rapports de ces trois-là dans un des albums à venir.
Elle subit une ablation des seins qui, dit-elle, la gênent pendant les courses automobiles.
Du pipeau, elle a gagné le Bol d’Or trois ans auparavant malgré sa poitrine très généreuse. Cette opération montre plutôt son refus de son corps de femme. Aujourd’hui, on dirait qu’elle se sent un mec, qu’elle est une transgenre. L’opération se déroule à l’hôpital américain de Paris. Et elle a sans doute eu de redoutables conséquences. Une photo la montre sous l’Occupation, laide comme on ne peut pas imaginer. Marie-Jo Bonnet* pense que la mastectomie a entraîné des désordres hormonaux qui ont abouti à ce personnage difforme.
L’histoire nous fait parfois de jolis clins d’œil. Violette Morris se fait enlever les seins en février 1929. Or, il existe une photo très célèbre de Glenn Miller, tromboniste de jazz, où l’on voit une paire de seins coupés sur un plateau. Et les Miller, à l’époque, habitent à 200 mètres de l’hôpital américain et traînent avec un groupe comprenant Brassens, Cocteau que fréquentait Violette Morris. Réalisant une fiction, je vais établir un rapport entre les deux évènements, qui paraîtra tout à fait plausible.

“Elle seule acceptera d’emmener Jean Cocteau voir son amant, Jean Marais, soldat sur le front”

Votre enquête est-elle terminée ?
Nous avons commencé ce récit en ne sachant pas ce que nous allions trouver. Le personnage de Lucie, amie d’enfance de Violette, avocate juive chassée du barreau durant l’Occupation, incarne notre enquête qui, depuis quelques mois, s’est accélérée.
Vous posez plusieurs questions dérangeantes (Casemate 118). Quel est le climat dans l’immédiat après-guerre ?
Ce récit va nous permettre de raconter la France de 1945-46 soi-disant en paix, en fait toujours en guerre. La Normandie, dévastée par les combats, est marquée par les règlements de comptes, la chasse aux collaborateurs. Les livres racontent la guerre, les Trente Glorieuses, mais pas vraiment la période 45-50 alors que s’y déroulent énormément de choses. Comment un pays se relève-t-il d’une telle guerre ? Nous allons mettre en scène tout cela. Les luttes sociales ont été terribles. J’ai déjà commencé à raconter cette période dans Un homme est mort.
On ne s’éloigne pas de Violette Morris, là ?

Non, puisque nous racontons en parallèle l’enquête de Lucie qui commence fin 1945. En fait, je vais traiter les thèmes que je voulais aborder dans une suite de Notre mère la guerre. En 1945, les réflexes sont relativement similaires. Les maisons, les commerces sont détruits. Pendant longtemps, il va simplement s’agir de survivre, avant de penser à se remettre vraiment à vivre.
Je veux montrer ce quotidien. Et aussi les conséquences souterraines d’un conflit qui continue à nourrir les relations entre les êtres humains. Soixante-dix ans après, on y est encore. Les collabos ou les familles politiques de ces collabos ont beau jeu de dire : « Ce que vous racontez ne sont que des contes, des légendes. » Comme les négationnistes, profitant du moindre élément pour mettre en doute l’ensemble.

“Toutes ces histoires finiront par sortir un jour ou  l’autre. Autant que ce soit moi qui les raconte”

Reste-t-il tant de faits cachés ?
Bien sûr, bien planqués. Mais à un moment où à un autre cela ressortira. Autant que ce soit moi qui le raconte plutôt qu’un autre, même à travers une fiction.
Existe-t-il quelques témoignages ?
Alain Corblin, historien, a publié deux livres, un sur Robert Leblanc, chef du réseau Surcouf, en Normandie, l’autre sur Puce, la seule femme de ce maquis, entrée en résistance avec Leblanc. À la Libération, cette femme, membre d’une association d’instituteurs écrivains, auteure de très beaux poèmes, va tenter de publier son journal. Les anciens de Surcouf refuseront, arguant qu’elle va se mettre en avant… Finalement, ce journal est publié par L’Amicale de la société historique de Lisieux, et lu par trois pelés et un tondu. L’attentat du 26 avril 1944 contre Violette Morris, entre autres, y est raconté. Et on apprend que, contrairement à la version « officielle », il n’y a pas eu de première tentative d’attentat le matin…

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate n°118 – octobre 2018.

* Auteur de Violette Morris – Histoire d’une scandaleuse (Perrin) et du dossier clôturant l’album.

Violette Morris,
À abattre par tous les moyens #1/4,
Première Comparution,
Javi Rey, Bertrand Galic & Kris,
dossier historique de Marie-Jo Bonnet,
Futuropolis,
70 pages,
16 €,
11 octobre.


Scénar à quatre mains

Comment travaillez-vous avec Bertrand Galic, coscénariste ?
Kris : Bertrand est professeur d’Histoire, ne le présentez pas comme historien, cela l’insupporte. Il va arrêter son boulot pour se consacrer au scénario. C’est lui qui a eu l’idée d’Un maillot pour l’Algérie et de Sept Athlètes. On a décidé de faire encore un bouquin ensemble avant qu’il s’y mette en solo.
Bertrand s’occupe plutôt des scènes consacrées à Violette Morris, aux éléments du bouquin de Marie-Jo Bonnet que l’on met en scène. Moi, je suis Lucie qui enquête sur la mort de Violette. En me basant sur mes recherches et rencontres.


À toi, Frank

Auteurs et éditeurs dédient Violette Morris au scénariste Frank Giroud, décédé le 13 juillet, à 62 ans.

Vos souvenirs de Frank Giroud ?
Kris : Je suis vraiment rentré en bande dessinée adulte avec le meilleur de la collection Vécu, chez Glénat, dans les années quatre-vingt. C’est-à-dire, pour moi, Les Tours de Bois-Maury (Hermann), Les Passagers du vent (Bourgeon) et Louis la Guigne de Dethorey et Giroud. Ce dernier y raconte toute la première moitié du 20e siècle, les anarchistes. Tout à coup, je découvrais en BD tout ce dans quoi je baignais depuis l’enfance et dont finalement on parle assez peu. Giroud, pour moi, c’est d’abord ce souvenir. Puis, à 20 ans, j’ai découvert Azrayen’ qu’il écrivit pour Lax, sur la tragédie algérienne à travers le destin d’un officier français disparu. Le second tome comportait en conclusion un dossier historique, Une épopée algérienne, de 22 pages, écrites par Giroud. C’était, je crois, une première. Plus tard, cela m’a donné l’idée d’en faire autant à la fin d’Un homme est mort.
Votre première rencontre ?
Il y a une dizaine d’années, au festival de Saint-Malo. Nous avions lancé un appel à une cinquantaine d’auteurs pour créer un syndicat. À la fin d’un repas, un mec et sa nana viennent s’asseoir en face de moi :
– C’est toi, Kris ? Paraît que tu veux créer un syndicat ?
Redoutant qu’il s’agisse d’un journaliste cherchant à me tirer les vers du nez, je me méfie :
– Pourquoi, ça t’intéresse ?
– Oui, je suis Frank Giroud.
On a immédiatement sympathisé, Frank fut un des membres fondateurs du syndicat, auquel il versa 1000 euros comme les vingt autres. Ce qui nous permit de démarrer.
C’est lui qui m’a mis en contact avec Javi Rey. Tous deux avaient sorti un album de sa série Secrets. Javi, après avoir lu Un homme est mort, a eu envie de travailler avec moi. Frank m’a appelé. Et ce fut Un maillot pour l’Algérie. Javi fait partie, avec Maël, Davodeau et Bailly, du quatuor avec lequel j’ai le mieux fonctionné. Ils ont le mieux compris ce que je voulais écrire.
Avez-vous travaillé avec Giroud ?
Il m’a demandé de participer à sa série Destins. Ce fut Déshonneurs, dessiné par Mezzomo. Ce travail commun ne fut pas une réussite scénaristique, mais, humainement, un épisode très chouette. Cela fait sept ans que je passe mes vacances dans le Vercors grâce à lui. Un jour, il m’invite à une fête. Je lui réponds que venir de Brest pour un week-end est un peu juste. Mais que s’il me trouve un camping sympa dans les environs, je viendrai y passer mes vacances d’août. Ce qu’il fit. C’était génial. Je me trouvais en vacances dans ce même camping lors de son décès et j’ai pu le voir une dernière fois.
J’étais président du festival de La Seyne-sur-Mer qui se tient en juin, le seul qui récompense les scénaristes. Virginie Greiner, la compagne de Frank devait me succéder. Elle n’a pu venir, parce que, pour lui, c’était la fin. Quand nous avons terminé le premier tome de Violette Morris, le lui dédicacer nous est apparu, à Claude Gendrot, notre éditeur, Javi Rey et moi comme une évidence.

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