À l’occasion de la publication d’un livre de souvenirs, Jean Van Hamme raconte dans Casemate 82 des anecdotes inédites sur sa jeunesse, son père, ses relations parfois agitées avec les dessinateurs. Suite de ses confidences. En particulier à propos de sa pièce de théâtre, son prochain défi.
D’autres souvenirs de voyages, après votre interception par deux gardes-frontière espagnols, racontée dans Casemate 82 ?
Jean Van Hamme : Le suivant a été plus important, Norvège, Suède, puis traversée de l’Allemagne. L’ami Hertz, un des Juifs que mon père sauva pendant la guerre, travaillait pour la Sabena, en Autriche. Il m’a trouvé un emploi de percepteur. J’ai appris le français au fils d’un baron dans un château du XIIème siècle. J’en ai profité pour m’inscrire aux cours d’allemand de l’université de Vienne pendant l’été.
Vous, l’homme aux 119 pays visités, combien de langues parlez-vous ?
J’ai étudié l’anglais et l’allemand pendant ma scolarité, et me débrouillais à peu près. Je parle anglais couramment, c’est la moindre des choses après avoir travaillé douze ans durant dans cette langue. En revanche, mon allemand, pratiqué uniquement aux sports d’hiver, n’est pas terrible. Et je ne me suis jamais servi de mon flamand. Le vocabulaire me manque. Je ne suis pas très doué pour les langues.
30 000 kilomètres en stop, sans gros pépin ?
Plutôt 29 000, soyons précis. C’était du stop, mais pas trop genre pouce levé au bord de la route. J’ai voulu aller voir mes oncles qui vivaient au Congo belge. À Tanger, un ami de la famille m’a pistonné auprès d’une expédition de colons français qui se rendaient à Tamanrasset. Une caravane d’une trentaine de personnes. J’ai proposé de payer mon voyage en faisant la cuisine et en lavant la vaisselle. Je notais toutes mes rencontres sympas dans des carnets de voyage et payais mon logement en racontant mes aventures. Les gens trouvaient cela curieux de la part d’un gosse d’à peine 20 ans.
N’en rajoutiez-vous pas un peu ?
Probablement, mais les expériences étaient vraiment très diverses, allant de l’avion privé au simple canot. Mon père avait travaillé trois ans au Portugal et en République centrafricaine. Un de ses amis portugais, sur qui je suis tombé par hasard, m’a emmené en Angola dans son avion personnel. Un autre jour, je devais traverser le fleuve Congo. Un Noir, gentil comme tout, m’a proposé de me prendre dans son canot. J’ai vite compris pourquoi. L’embarcation prenait l’eau et j’ai dû écoper pendant toute la traversée !
Un Congolais me propose d’embarquer sur sa pirogue. J’ai écopé durant toute la traversée !
Finalement, avez-vous retrouvé vos oncles ?
Oui, au Kivu, à l’est du Congo. J’ai passé un mois et demi avec eux et conduit des camions pour payer mon billet de retour.
Vos souvenirs les plus cocasses ?
Avec mon ami yougoslave, lors de notre voyage en Italie, nous dormions à la belle étoile. Nous arrivons à Vintimille à la nuit tombée. J’installe mon hamac entre les deux poteaux d’un terrain de foot désert. Au matin, je suis réveillé par un type me tapotant gentiment l’épaule. Derrière lui, toute une équipe de foot en maillot venue s’entraîner. Voyant un drapeau belge sur nos sacs, le type nous a demandé, en un français au bel accent italien, si ça ne nous dérangeait pas s’ils jouaient un petit peu. J’ai trouvé son attitude adorable.
Autre bon souvenir. En Norvège, pas loin d’Oslo, un type qui nous avait pris en stop nous dépose en plein bled, à l’orée d’une forêt. À la nuit tombée, on dresse notre tente dans une prairie. Au matin, je suis réveillé par une espèce de roulement de tonnerre. Je sors : nous étions installés sur un champ de courses et des chevaux, à l’entraînement, passaient juste derrière nous. Alors que j’allais m’excuser, un responsable m’a répondu : « Mais non, mais non, vous pouvez rester ! »
Donc pas de mauvais souvenirs ?
Non, à part un épisode étrange. Au Danemark, nous sommes pris en stop par deux types habillés tout en noir, qui ne nous disent pas un seul mot. Un peu plus tard, la voiture s’arrête sur une plage de sable dur. Une autre voiture arrive et se gare à cinquante mètres. Nos bonshommes descendent et vont discuter avec les autres. Puis remontent, démarrent toujours sans un mot, sortent de la plage et nous font signe de descendre. À 18 ans, nous n’en menions pas large. Pourquoi nous avoir pris pour nous débarquer si vite ? Avaient-ils besoin de témoins ? Mystère.
119 pays visités… Vous en reste-t-il à découvrir ?
Bien sûr, avec mon épouse nous repartons en octobre pour un autre petit tour du monde. Nous pensions démarrer par l’Éthiopie, un pays d’Afrique très différent des autres et que je ne connais pas. Il y a de quoi y passer un mois facile, mais les formalités sont un peu trop compliquées. J’aurais également voulu découvrir le Bhoutan, petit État au nord de l’Inde. Mais le nombre d’entrées est limité et on vous oblige à investir au départ 300 dollars par jour et par personne. Une méthode pratiquée en son temps dans la Pologne de Jaruzelski. Vous ouvriez un compte en banque, déposiez une somme conséquente et payiez tout en chèques locaux. Évidemment, pas question de récupérer le solde si vous ne dépensiez pas tout…
Un nouveau Corentin (Casemate 82), basé sur un roman à vous, est annoncé pour début 2016 et on parle d’une reprise de SOS Bonheur.
Pour ce dernier titre, je suis en train de lire le projet que m’a fait parvenir Stephen Desberg. À qui je ferai sans doute quelques remarques. Aspect transmission, aspect financier… rien n’est encore réglé.
Je suis en train de lire le projet de relance de SOS bonheur que m’a fait parvenir Desberg
Et votre arlésienne, pardon, votre fameuse pièce de théâtre ?
J’y travaille. Le principe des séries ne m’excite plus, devoir rendre ma copie en temps et en heure non plus. Aujourd’hui, je m’attaque à un monde totalement nouveau. Je ne sais pas à qui, comment je vais vendre ma pièce. Je vais envoyer des lettres, comme tout débutant. Et cela, quelque part, me rajeunit.
Pourquoi cette envie de théâtre ?
Il est fascinant de s’attaquer à la seule forme d’écriture qui n’ait pas évolué depuis 2 500 ans. Pas de poursuites en voiture ou en hélicoptère, devoir mitonner des rebondissements uniquement par les dialogues… je m’amuse comme un petit fou à bâtir des répliques qui, chaque minute, doivent secouer le public.
Un genre auquel vous aviez un peu tâté avec Lune de guerre, non ?
Non. Il y avait quand même bagarre et coups de feu. Pas faisable au théâtre. À la rigueur, mon roman Le Télescope est, dans ma production, ce qui s’en rapprocherait le plus. Là, je travaille sur quelque chose de totalement différent. Un huis clos dans un refuge de montagne à 2800 mètres d’altitude, tout proche d’un glacier. Cinq personnes y sont bloquées. L’une d’elles est responsable de la mort d’une jeune femme, trente-cinq ans plus tôt. Une bonne nature qui couchait avec tout le monde. On l’avait crue perdue dans la neige. Le glacier vient de rendre son corps. Elle a été étranglée avec son foulard. Comme dans Agatha Christie, chacun des personnages fait un bon coupable potentiel. Il faut que justice se fasse, malgré la prescription. Un commandant de police judiciaire français m’a servi de conseiller. Sur ce schéma classique, je m’amuse beaucoup.
Que pensez-vous de Martha Shoebridge, le nouveau XIII Mystery ?
J’ai accepté le principe d’une histoire sans action, un peu bavarde. Pour moi, il est évident que le principal intérêt de cette histoire est de montrer le clone de Kennedy sous un jour pas très clean. Et non pas Martha, puisque, dès le tome 1 de XIII, on connaît sa fin tragique. Donc son trajet est prévisible : c’est une victime qui suit une trajectoire de victime, sans surprise. Mais c’était le choix de Frank Giroud et je n’ai pas essayé de lui faire changer de personnage. Je n’ai pas la science infuse et il faut, à certains moments, faire confiance à l’instinct du scénariste. Reste une bonne histoire, même si ce n’est pas l’album le plus fracassant de la série.
Je m’attaque à la seule forme d’écriture qui n’a pas changé depuis 2500 ans : le théâtre
Avez-vous eu un conflit avec un des scénaristes de XIII Mystery ?
Non, mais, le trouvant à côté de la plaque, j’ai refusé le premier scénario envoyé par Daniel Pecqueur. Et lui ai rappelé qu’on attend des XIII Mystery qu’ils donnent une nouvelle vision d’un personnage secondaire, ou une nouvelle vision, surprenante ou inattendue, de certaines séquences pas vraiment explicites de la série principale. Pas de réponse. J’étais d’autant plus déçu que j’avais recruté Pecqueur moi-même, ayant été séduit pas son découpage flash-back très bien mené dans la série Thomas Noland.
Je croyais donc que Pecqueur avait jeté l’éponge quand, un an et demi plus tard, j’ai reçu de sa part un nouveau synopsis, cette fois formidable. À travers la vie du fils du couple qui recueille XIII dans Le Jour du soleil noir, il traitait toute la guerre du Vietnam. Et arrivait à une situation totalement inattendue qui faisait complètement repenser toute une partie de XIII.
Le filon XIII Mystery fait-il toujours recette ?
Si les premiers albums se sont vendus à 180 000 exemplaires, les derniers plafonnent à 55-60 000. Sans doute parce que la série principale baisse. Mes derniers XIII auront douze ans, lorsque sortira le treizième et dernier XIII Mystery…
Votre bilan ?
J’ai aimé la cordialité entre ces scénaristes et moi. Je crois que nous fûmes complices, qu’ils ne m’ont jamais ressenti comme un type qui leur tapait dessus parce qu’il avait le pouvoir. Je crois avoir été un bon directeur éditorial, contrairement aux mauvais directeurs éditoriaux, ceux qui se contentent de dire : « Cela, je n’aime pas. » Si je ne parle pas davantage de cette expérience dans mon bouquin de souvenirs c’est que je ne suis pas l’auteur de ces albums… sauf du dernier, Judith et Jessica, dessiné par Olivier Grenson, qui sortira en 2018.
Une énigme à la Agatha Christie : 5 personnes soupçonnées du meurtre d’une jeune femme
Pensez-vous que Dargaud planche déjà sur une autre idée de série parallèle à XIII ?
Bien sûr, Yves Schlirf doit se creuser la tête pour l’après 2018. Mais sur quelles bases ? Les lecteurs auront depuis longtemps oublié la série principale et je ne vois pas trop comment rebondir sur la suivante. Des spin-off ? C’était l’idée de Schlirf au départ, avant que je ne le ramène à la vie de treize personnages secondaires. Mais je lui fais confiance. C’est lui qui a eu l’idée géniale d’associer Jean Giraud au double final de XIII. 505 000 exemplaires du Giraud vendus, 515 000 du Vance, retours déduits !
Et aujourd’hui ?
La série s’est étiolée, mais se vend encore, toujours retours déduits, à 180 000 exemplaires. Une belle performance dans le marché d’aujourd’hui. Yves Sente, son scénariste, ne doit pas trop s’inquiéter…
Comment j’ai vendu Largo
Vingt Secondes sera votre vingtième Largo. Vous souvenez-vous de la manière dont vous avez vendu son premier roman ?
Jean Van Hamme : Dans les années soixante-dix, après avoir lu les premiers SAS, je me suis dit qu’il y avait une place sur ce créneau (je viens de relire le premier, il était excellent et les excès sexuels, sodomie comprise, chers à Gérard de Villiers, ne sont devenus systématiques que vers le tome 30). J’ai donc mis au point tout un scénario pour convaincre un éditeur. Par Greg, je me suis procuré la liste des principales maisons d’édition et le nom de leurs directeurs éditoriaux susceptibles de publier ce genre de romans. Le 1er février 1976, une dizaine d’entre eux reçoivent une lettre disant que je m’appelle Jean Van Hamme. Le 1er mars, un deuxième envoi leur apprend que je me suis marié à telle date, que j’ai deux enfants, que je suis divorcé, que je suis un grand voyageur, etc. Le 1er avril, jour de ma démission du poste de directeur du département « Appareils ménagers » de Philips Belgique, ils apprennent dans une troisième lettre que j’ai beaucoup lu dans la bibliothèque de mon père, que je suis l’auteur de quelques nouvelles, etc.
Pourquoi un plan de bataille aussi compliqué ?
Je suis bien conscient que les premières lettres aboutissent directement à la poubelle. Mais je veux déclencher une surprise, un étonnement. Et en amener certains à attendre, même inconsciemment, la suivante ! C’est un peu comme quelqu’un qui vous appelle toutes les nuits à 2 h du matin, vous finissez par guetter l’appel. Et je n’ai joint mon manuscrit du premier roman Largo qu’au sixième envoi, six mois après avoir envoyé les premières lettres.
Malin…
Jusque-là oui, parce que six éditeurs m’ont répondu. Ma grosse erreur fut de signer avec le premier qui m’a contacté. Le Mercure de France, dirigé par Simone Gallimard qui n’avait jamais lu un SAS de sa vie, mais avait publié un livre que j’aimais beaucoup, Chacal de Frederick Forsyth racontant un attentat contre de Gaulle. J’aurais pu signer chez Denoël, un éditeur bien mieux placé dans le domaine de l’aventure. La vie de Largo en aurait, peut-être, été changée.
Propos recueillis par Frédéric VIDAL et Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 82 – juin 2015.
Mémoires d’écriture,
Jean Van Hamme,
Bamboo – Grand Angle,
15,90 €,
dispo.
XIII Mystery #8, Martha Shoebridge,
Colin Wilson, Frank Giroud,
Dargaud,
11,99 €,
5 juin.