Épuisé par le très noir Katanga, Sylvain Vallée comptait s’éloigner de la bande dessinée quelque temps, avant d’être rattrapé par le scénario de Tananarive, écrit par Mark Eacersall. L’occasion de renouer avec la comédie, et de faire évoluer son style graphique. Suite du dossier de Casemate 149.

En 2018, vous souhaitiez vous éloigner de la BD. Pourquoi lever le pied ?
Sylvain Vallée : D’abord pour retrouver la liberté d’écrire et d’avancer le développement de deux projets, dont un très ambitieux qui n’a rien à voir avec la BD. Ensuite parce que la série Katanga m’a demandé beaucoup d’énergie. Parce que visuellement exigeante avec ses nombreux environnements, par la nécessité de reconstituer un univers nouveau pour moi et par la dureté de son atmosphère générale. J’ai réalisé les deux derniers tomes sans l’implication du scénariste et une fois la série terminée, j’avais profondément envie de changer d’univers et de ton. Il me fallait un sas de transition pour prendre un peu de champ vis-à-vis de la création d’albums, mais il s’est retrouvé un peu écourté par la lecture d’un nouveau projet que je ne voulais absolument pas voir m’échapper…
Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario de Tananarive ?
Ce mélange de tons si particulier, entre comédie et drame, qu’on retrouve dans le cinéma italien des années 60. Il engendre une grande variété d’émotions, et comme j’adore me pencher sur l’acting de mes personnages… Il y a aussi la justesse de l’écriture et des dialogues. Mark est un dialoguiste exceptionnel, la richesse de son histoire et la multiplicité de thèmes abordés m’ont impressionné : l’attrait pour l’aventure, l’amitié, les faux-semblants, la trahison, la rêverie opposée au pragmatisme… Son histoire me donnait aussi la possibilité de retrouver un pan ancien de mon imaginaire graphique que je n’avais pas encore développé, lié à la comédie.

“Retrouver le mélange de tons, si particulier, entre comédie et drame, du cinéma italien des années 60”

Pourquoi cette envie ?
La comédie – ou plus précisément la tragi-comédie – est pour moi le meilleur reflet de ma perception de la réalité et de ma façon d’aborder la vie. Je vais un peu loin, là… mais je suis sincère. C’est un bonheur de mettre en images ce subtil mélange. L’éventail de possibilités de jeux des personnages, de situations et d’émotions ressenties est beaucoup plus large quand on s’éloigne du genre, et qu’on tente de rapprocher du réel, avec ses multiples aspects.
Votre façon de travailler avec Mark est-elle différente de celle que vous aviez avec vos précédents scénaristes ?
Pas vraiment, mais chaque nouveau projet implique une nouvelle façon de l’aborder et de collaborer. Comme je ne me vois pas ronronner dans ce métier en matière de création, chaque nouvelle collaboration nécessite d’adapter son écriture ou son dessin. Chaque nouveau sujet entraîne un nouveau ton, donc un nouveau réglage graphique, une nouvelle façon de mettre en scène. J’aime ce renouvellement permanent.
De quelle manière votre style a-t-il évolué ?
Naturellement vers plus d’expressivité depuis ma première série Gil Saint-André qui se voulait « réaliste ». Pour Il était une fois en France, mon instinct et la noirceur profonde du sujet m’ont amené vers un style plus rond, avec toujours une mise en scène réaliste, en décalage avec ce qui se faisait à l’époque pour un récit historique. Ça a participé à créer de l’empathie pour les personnages, pas toujours présente à la lecture du scénario. Pour le très noir Katanga, j’ai encore forcé le trait pour soutenir le côté iconoclaste du récit. Mon style a évolué petit à petit vers la caricature et la comédie. Depuis L’Écrin, mon premier album dans ce style, je savais que j’y reviendrais pleinement un jour.

“L’attrait pour l’aventure, l’amitié, les faux-semblants, la trahison, et la rêverie opposée au pragmatisme…”


Quels sont vos outils pourTananarive ?
Numériques pour le découpage, permettant les modifications, les échanges nécessaires avec le scénariste pour faire progresser la mise en scène. Puis des outils traditionnels pour la réalisation des planches : pinceaux et feutres. Je tiens aux originaux. L’idée d’un album totalement virtuel m’effraie !
Comment avez-vous construit l’illustration de couverture ?
J’ai proposé de nombreuses recherches à Mark et à mon éditeur. Très vite, mon choix s’est porté sur ce turquoise en fond, la voiture en panne et les deux personnages devant. Puis j’ai modifié ou rajouté des éléments comme le panneau routier en haut à droite. Elle a trouvé sa logique, presque comme par magie, dans une lecture de gauche à droite : cela démarre par le vide, l’abstrait. Puis vient le côté terrien et pragmatique avec la voiture en panne et Amédée dans la merde, pour aller vers la droite, vers l’aventure et la rêverie avec Jo, et en diagonale la fumée du moteur se transformant en nuage où apparaissent oiseaux et girafe. Cela se termine sur le paradoxe de la girafe et du panneau d’autoroute qui suggère l’environnement imaginé par le spectateur. Un bon résumé du livre. C’est la première fois que je fais autant de propositions. Peut-être aussi parce que c’est un one shot !

Propos recueillis par Paul GINER
Supplément offert de Casemate n°149 – août-septembre 2021.

Tananarive,
Sylvain Vallée, Mark Eacersall,
Glénat,
114 pages,
19,50 €,
8 septembre 2021.

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