Pour la sortie du septième tome de ses Petits Riens, Lewis Trondheim a confié à Casemate 82 qu’il continuerait bien l’exercice jusqu’à sa mort. Préparez les étagères… Pour Casemate.fr, il raconte, entre autres, comment, un jour, il s’est enfin retrouvé en paix avec son dessin.

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Dessiner prend du temps. Est-ce compliqué de remplir son carnet quand on ne voyage pas seul ?
LewisLewis Trondheim : Cela peut l’être dans le cas de croquis d’après nature. Parfois, lorsqu’on se retrouve entre amis dessinateurs et que l’on dessine à plusieurs. J’ai un très bon souvenir d’un dessin de toute la baie de Rio fait debout, pendant deux heures, côte à côte avec Edmond Baudoin. Ou récemment d’un autre dans les rues de Bastia avec Max de Radiguès.
Est-ce pour cela que vous partez entre dessinateurs ?
Ayant plein de points communs, il y a plein de choses qu’on n’a pas besoin de se dire. Nous nous connaissons à travers nos fictions et nos autobios. En festival, c’est toujours « bonjour/bonsoir ». Donc autant se prendre en main et passer vraiment du temps ensemble plutôt que juste se dire : « On se voit tout à l’heure, entre une séance de dédicace et une interview. »
Chacun avec sa chaise pliante ?
Pas systématiquement, mais avec l’âge, l’usage va forcément s’amplifier.
Votre suspicion sur le spectacle des baleines en liberté gâche un souvenir qu’Étienne Davodeau croyait unique !
Si j’avais su que j’allais lui gâcher dix ans d’un souvenir supposé unique, j’y aurais peut-être réfléchi. Mon propos était de montrer comment mon esprit paranoïaque pouvait parfois (mais rarement) tomber juste et me moquer un peu de moi-même.
Vos histoires ont-elles déclenché d’autres réactions inattendues, d’auteurs ou de lecteurs ?
Plutôt des compléments d’information d’internautes spécialistes de tel ou tel thème dont j’ai pu parler. Souvent venant de médecins lorsque je me pose les questions typiques de l’hypocondriaque.

Au Japon, les gens ne viennent jamais vers les Occidentaux… sauf s’ils dessinent dans un coin

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Vous espérez susciter des vocations d’enfants qui vous observent. Discutez-vous facilement quand vous remplissez vos carnets ou cela vous enquiquine ?
Personne ne m’a enquiquiné quand je dessinais. Au contraire. Au Japon, les gens ne viennent jamais vers les Occidentaux… sauf si on se met dans un coin pour dessiner le paysage. La curiosité du dessin, prendre notre temps plutôt que de faire une photo permet de belles rencontres.
Vous disiez, il y a quelques années, aimer de plus en plus votre dessin. Est-ce toujours le cas ?
Non, je voulais dire qu’en dessinant d’après nature, j’ai appris à prendre de plus en plus de plaisir à dessiner. À la base, je voulais être scénariste. J’ai fini par comprendre que beaucoup d’auteurs et de lecteurs aimaient mon style de dessin. Une surprise puisque j’avais l’impression d’être un usurpateur, ou en tout cas un pauvre mec faisant de son mieux, mais avec beaucoup de maladresses. À partir de là, je me suis dit que j’avais un style unique, avec ses défauts, mais aussi ses qualités, et qu’il allait falloir que je m’en satisfasse.
Mœbius expliquait que le croquis « académique » est très reposant pour les neurones et les doigts. D’accord avec lui ?
Oui, c’est une forme de méditation. Il y a plein de cahiers pour que les adultes fassent des mises en couleurs relaxantes. Le dessin d’après nature, c’est la même chose en mieux.
Vous reprochez à vos couleurs d’être réalistes. Est-ce un handicap ?
Disons que ça fait un peu peintre du dimanche. Je vais finir par réaliser des dessins d’après nature avec juste du jaune et du violet pour voir ce que ça donne.
Vos aquarelles vont d’une boîte de chocolats à des paysages. Pourquoi jamais de personnes ?
C’est encore ma limite. J’ai du mal avec les humains. Tant mieux, cela veut dire que j’ai encore plein de paliers à franchir.

J’ai du mal avec les humains. Tant mieux, cela montre que j’ai encore des paliers à franchir

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Vous dessinez deux trains qui se croisent. Au-delà de la mise en scène, cela nécessite-t-il une mémoire visuelle exceptionnelle ?
Pour cette image, j’ai été sur Street View. Puis je me suis imaginé avec une vue décalée, en hauteur et plongeante. Donc j’avais les éléments, mais il fallait que je reconstruise la perspective. C’était amusant. Pour les trains, j’avais bien regardé. Un jour, peut-être, pourrai-je me passer de la béquille Google.
Vous préférez des bâtiments patinés à des bâtiments neufs. Trondheim ennemi de la modernité ?
C’est toujours plus joli d’avoir une patine sur les bâtiments. Cela crée une vibration, une matière, indique le temps qui passe. Mais j’ai aussi dessiné plein d’immeubles modernes à New York, ou la Burj Khalifa de Dubaï.
Comme beaucoup de dessinateurs, vous aimez les fils électriques !
Désolé, j’ai beau savoir que c’est une certaine facilité graphique, je ne m’en lasse pas.
Pourquoi aligner deux courbes de montagnes est-il une faute de dessin ?
C’est comme une histoire qui serait réellement arrivée et qui serait pourtant tellement absurde qu’on n’y croirait pas si on en faisait une histoire. Le dessin doit synthétiser et rendre les choses claires. En différenciant les plans, en évitant les lignes de deux éléments qui se continueraient et qui créeraient une perturbation graphique. Sinon on trouvera que c’est mal dessiné. Ou mal cadré.

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Comment dessiner un coucher de soleil sans verser dans le cul-cul ?
Difficile. Mieux vaut vivre le coucher de soleil… Tout est une question de ton, de regard, de recul…
Avec 15ISSD, vous regroupez des dessins d’après nature tous les 15 du mois. Cette initiative est-elle un prolongement des Petits Riens ?
Plutôt un élément moteur qui m’oblige, quoiqu’il arrive, à faire au moins un dessin d’après nature par mois. Il est trop facile de se laisser avaler par le quotidien et de s’enfermer dans une procrastination complaisante. Alors j’essaye d’embringuer d’autres dessinateurs qui ont eux aussi envie de se décrasser les doigts comme Juba (Finlande), Pascal Girard (Québec), Aseyn, Singeon, et quelques autres.
enfantsBientôt un carnet uniquement constitué de dessins d’après nature ?
Non. Ce sont juste des exercices.
Où en est votre projet de série SF ambiance sixties ?
On démarre. Infinity 8 est prévu pour 2017. Huit albums avec Vatine, Boulet, Vehlmann, Kris, Davy Mourier, Emmanuel Guibert, Trystram, Oliver Balez, Zep, Biancarelli, Killoffer, Bertail, Lorenzo de Felici.
Qu’est la série Reboot coécrite avec Davy Mourier ?
Une web-série pour France 4. Six épisodes de dix minutes. Davy a répondu à un appel d’offres de la chaîne et son projet a été retenu. Comme il avait bien aimé notre façon de bosser sur Infinity 8, il m’a demandé si je voulais bien structurer et écrire la série avec lui. Comme je n’avais pas le temps et que c’était payé une misère, j’ai dit bêtement oui.
Où en est votre nouvel essai, dont vous parliez dans Casemate 68 ?
Mis de côté. Le sujet n’était finalement pas suffisamment profond pour en faire plus de 20 pages.
Les Murmures du Donjon ont été piratés. Quel avenir pour le site et ses archives ?
Aucun avenir. C’est mort.
Comptez-vous rapatrier la communauté sur votre propre site web ?
Je ne sais pas. A priori, oui. Il faudrait que je crée un forum sur mon site. Mais c’est du boulot à gérer.
Quelle réflexion vous inspire la non-diffusion de votre feuilleton radio, jugé trop osé ?
Que la BD est un bien bel outil pour raconter les histoires qu’on veut, comme on veut.
D’autres projets – notamment hors BD ?
Oui, un qui me tient à cœur, mais il est trop tôt pour en parler.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL et Paul GINER
Supplément gratuit de Casemate 82 – juin 2015.

riensLes Petits Riens de Lewis Trondheim #7,
Un arbre en furie,
Lewis Trondheim,
Delcourt,
12,50 €,
9 juin.