Reconnu enfin comme auteur complet avec U.C.C. Dolores dont il publie le quatrième tome, continuateur de la série Lanfeust de Troy qu’il ranime avec Christophe Arleston, Didier Tarquin confiait à Casemate n°152 qu’il allait instiller davantage de sa propre vie dans celle de Mony, l’ex-séminariste devenue flamboyante pirate de l’espace. Ainsi sa jeunesse en Algérie. Il explique ici pourquoi il s’est longtemps senti un étranger sur les deux bords de la Méditerranée.

L’héritage n’est-il pas le thème des premiers tomes de U.C.C. Dolores ?
Didier Tarquin : Oui, ainsi que la passation de flambeau. Kash, à sa mort, remet le témoin à Mony. À sa façon, il lui dit qu’elle est prête, qu’elle va y arriver. On hérite de ce que nos parents ont fait de bien ou de mal. Après, qu’en fait-on ? Des personnes qui ont subi la guerre en aideront d’autres, alors que certains se refermeront sur eux-mêmes, affirmant que l’humanité c’est de la merde. J’ai vécu les premières années de ma vie dans le Sahara algérien. J’y ai vu des gens qui n’avaient rien et donnaient tout.
Dans ces années 70, ressentiez-vous encore des scories de la guerre d’Algérie ?
Non, j’étais trop jeune. Mes racines sont dans le sable. Je me suis éclaté à Touggourt, ville terminus d’une ligne de chemin de fer. Un décor très western ! Mon père était en charge de la maintenance d’un relais hertzien et devait former les gens du coin, les rendre autonomes. Sa mission a duré six ans. Nous nous sommes ensuite retrouvés à Oran pendant quatre ans avant de rentrer en France. Où j’ai découvert la BD.
Donc aucune tension postcoloniale ?
Non, mais je sentais n’être pas chez moi. Ce sentiment ne m’a jamais quitté. En Algérie, je voyais bien que je n’étais pas Saharien. À la piscine, je ne côtoyais que des Occidentaux. Ma copine de jeux ne parlait pas un mot de français, moi, pas un mot d’arabe, mais on se comprenait. Arrivé en France à 10 ans, on m’a dit : « Voilà, tu es chez toi. » Pourtant, je ne me suis jamais senti aussi étranger ! J’avais des repères d’Algérien avec des distractions de pauvres, comme jouer aux billes. Les autres s’amusaient avec des jeux liés à la télé, que j’ignorais. Pour m’intégrer, j’ai dévoré leur culture, séries télé, BD… Et, pendant des années, j’ai menti.

“Un gosse accuse Blake d’être responsable de la mort de son père. Et c’est vrai…”

Sur quoi ?
Oran, en Algérie, ne faisait rêver personne. Alors je décrivais une ville plus impressionnante que Las Vegas. Et, surprise, les autres me suivaient. Peut-être n’ai-je jamais cessé depuis et me suis inventé un métier de mythomane.
Pourquoi Mony et les autres sont-ils attaqués dès le survol de cette planète ?
Mauvais moment au mauvais endroit ! Ils tombent sur des pillards qui vivent comme des naufrageurs. Je leur ai donné des sales gueules d’orcs pour avoir un aspect heroic fantasy, façon Seigneur des anneaux. J’ai mis la technologie un peu en retrait pour les confronter à un univers sauvage. Et centrer l’histoire sur l’instinct. L’instinct de survie, l’instinct maternel. Si j’avais eu plus de place, j’aurais montré plus largement la nature, ses dangers et comment y faire face. Dans une ville, on peut jouer, biaiser, tricher, mentir. Dans la nature, quand il fait froid, on gèle. Quand on ne mange pas pendant deux jours, on a faim. Face à un prédateur, on doit réagir. Pareil face à une proie. Ne reste que cette réalité, cette vérité.
Plus de place… Vous jugiez parfois les 450 cases des Lanfeust très denses. Trop ?
Non, s’il faut mettre beaucoup de cases dans une planche, je le fais. Mais sur Lanfeust, je suis l’interprète d’une partition écrite par Arleston, que j’essaie de transcender. Il me raconte une histoire, je la visualise et je la vis. Depuis le temps, je connais parfaitement son univers. Pour U.C.C. Dolores, je dessine l’histoire que je veux raconter et je raconte l’histoire que je veux dessiner. D’où mon choix de Mony, personnage vierge de tout. Comme moi. Je la largue dans un univers hostile et la suis, découvrant tout en même temps qu’elle. Elle n’est pas armée pour affronter ce qui l’attend. Moi non plus.

“Un gosse accuse Blake d’être responsable de la mort de son père. Et c’est vrai…”

Pourquoi vos espaces enneigés sont-ils rarement blancs ?
C’est le travail de Lyse. Elle est mon coauteur. Beaucoup imaginent que nous cosignons U.C.C. Dolores parce qu’elle est ma femme. Quand Arleston me demande ce que j’ai envie de dessiner, j’interviens dans l’histoire future. Je veux des bateaux ? Il planche sur une histoire maritime. S’ensuit un ping-pong d’idées entre nous. Pareil sur Dolores : « Lyse, qu’as-tu envie de mettre en couleurs ? » Elle m’apporte des idées de coloriste. Exemple, elle souhaite une forêt avec des luminescences. C’est plus qu’un lieu, c’est un écosystème. Pareil quand elle me demande des aurores boréales, une pure idée de coloriste qui me donne une direction nouvelle pour mon récit.
A-t-elle modifié certaines réactions de Mony ?
Bien sûr, et j’ai changé des séquences entières. Je lui demande de me surprendre avec ses couleurs. Et ne la reprends que si nous ne racontons pas la même histoire. Par exemple, si elle colle des couleurs de jour alors qu’il fait nuit noire. Comme elle dessine aussi, elle corrige régulièrement mes erreurs lors de la mise en couleurs. Elle a totalement modifié les couvertures des trois premiers Dolores, changeant notamment la taille des personnages. Mais n’a pas touché à la dernière.
Comment renouveler le design des monstres ?
Je ne sais pas. Ça me tombe du crayon comme ça.
Stan en a fait un bouquin entier.
Stan pour les monstres, son compère Vince pour les pin-up. Ce dernier en publie quotidiennement sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qu’elles sont belles. Je les garde toutes et les ai même imprimées.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément offert de Casemate n°152 – décembre 2021.

U.C.C. Dolores #4,
La Dernière Balle,
Didier & Lyse Tarquin,
Glénat,
46 pages,
14,50 €,
8 décembre 2021.

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