Expo hors-série au Bastille Design Center en septembre. À l’initiative de Bernard Mahé, fondateur de la Galerie du 9e Art, on y découvrira 160 dessins originaux, datés des années 1970-2010, tous issus de la collection personnelle de Régis Loisel, dont des couvertures, des études préparatoires et quelque 90 planches. Ainsi qu’un ensemble de trente pastels sur bois réalisés en 2018, grands formats inédits, ouvrant une nouvelle voie dans l’œuvre de Régis Loisel. Pour l’occasion, celui-ci a invité son fils, peintre installé à Berlin, à faire découvrir ses tableaux à Paris. Un père et un fils aux styles très différents, mais réunis par le même amour du figuratif. Suite de leur interview commune parue dans Casemate 128.

Comment vos œuvres cohabitent-elles ?
Clément Loisel : J’ai déjà participé à pas mal d’expos collectives. Mettre son travail à côté de celui d’autres ne fonctionne pas toujours. L’accrochage est une étape importante. Même si ça risque d’être sportif le jour même. Il faut veiller à ce que mes grands tableaux n’écrasent pas une des planches de mon père, évidemment bien plus petites. Nous essayons, pour cette expo, de créer un circuit, une balade entre nos différents univers. Je ne dis pas nos deux univers, car nous en explorons chacun plusieurs, riches et variés.
Régis, voyez-vous une filiation entre les œuvres de Clément et les vôtres ?
Régis Loisel : Pas vraiment, chacun suit sa propre démarche de peintre. Artistiquement, notre point commun est notre nom. D’ailleurs, l’idée de cette expo commune est de Clément.
Clément : Elle m’est venue à l’esprit en voyant l’espace démesuré qu’offrait ce lieu d’expo à la Bastille, et ce que mon père comptait y montrer. Pour moi, qui vis et expose surtout en Allemagne, c’est l’occasion rêvée de présenter mon travail pour la première fois à Paris.
Pas d’envie d’œuvres à quatre mains ?
Régis : Clément n’a pas voulu que je massacre ses toiles ! Sérieusement, on n’y a pas vraiment pensé. Je ne me vois pas faire un petit guignol au milieu de ses grandes peintures.
Clément, pourquoi avoir choisi la peinture plutôt que la BD ?
Clément : J’ai lu les albums de mon père vers 18 ans. Alors que mon petit frère, dès qu’il a su lire, vers 7/8 ans, s’est plongé dans la Quête, Peter Pan. Moi, je faisais une allergie à la BD. J’ai trouvé ma voie très tôt dans la peinture, à travers ce que je découvrais dans l’atelier de mon père, dans des livres d’art. J’ai toujours dessiné et, évidemment, on me demandait si j’allais faire de la BD « comme mon père ». D’où, sans doute, la volonté de m’en démarquer pour qu’on ne me pose plus la question.
Dessiniez-vous des petits miquets dans les marges de vos cahiers ?
Je recopiais plutôt du Frazetta, du Dragon Ball Z ou du Caravage ! Je montrais mes trucs à mon père dans son atelier, un moyen de passer un moment ensemble. Il m’en reste des odeurs, des images, sa silhouette penchée sur la table à dessin en contre-jour…

“ Voir mon père au travail fut une chance que je suis content d’offrir à mon tour à mes filles — Clément LOISEL”

Pratique d’avoir un père qui bosse à la maison ?
Régis : La BD, c’est très prenant. Pas très disponible, je n’ai guère consacré de temps à mes enfants.
Clément : Voir mon père au travail est une chance que je suis content de pouvoir offrir à mon tour à mes filles. Les odeurs, l’ambiance, le contre-jour, tout cela fait partie de la transmission. Mais pas la BD en elle-même !
Un souvenir de votre père au travail ?
Sa hantise des clés. La maison peut brûler, tout se consumer, il partira quand même en emportant ses clés !
Régis : C’est une image. En fait, les clés et une carte bleue sont pour moi symboles de liberté. Avec mes papiers, je n’ai rien d’autre sur moi. Si, un téléphone antédiluvien. Ce matin, Clément me disait : « Tu pars comme ça ? Même pas un petit sac ? » Non. Je suis bien ainsi. Peinard !
En passant, vous ne vous étiez pas trop foulé pour le faire-part de naissance de Clément !
Clément : Disons qu’il a progressé depuis 1985 !
Régis : Je déteste dessiner des faire-part. Ça se voit ? Marie-Hélène a insisté pour que je fasse celui-ci. Il y a une peau de banane… Je suis sa peau de banane !
Votre père est-il vraiment un piètre pédagogue ?
Clément : Non. Je pense qu’il doit être bon. Mais il n’a pas trop voulu se mêler de mes affaires. Et comme je n’étais pas vraiment demandeur…
Régis, Clément vous demandait-il votre avis ?
Régis : Parfois, il me laissait lui faire des remarques. J’ai eu un problème avec son dessin des mains. S’il ne m’a pas renvoyé à mes problèmes de dessins de pieds, j’ai senti qu’il ne fallait pas trop jouer les critiques. D’autant que sa mère allait toujours dans son sens. N’empêche que, récemment, me montrant une de ses toiles chez lui à Berlin, il m’a dit : « T’as vu les mains ? » Elles étaient impeccables. Clément est un excellent portraitiste. Peindre une gueule vachement intéressante et des mains pas à la hauteur donne l’impression que deux peintres différents ont bossé sur la même toile.
Clément : Les critiques de mes parents ont toujours été constructives. Peut-être les ai-je parfois rembarrés, mais, la porte de l’atelier refermé, j’essayais de corriger.

“Je déteste dessiner les faire-part. Là, il y a une peau de banane. Je suis cette peau de banane — Régis loisel”

Vous, Régis, avez eu la chance de suivre des cours animés par Jean-Claude Mézières, célébrissime dessinateur de Valérian.
Régis : Pas des cours, des rencontres. Imaginez le bordel à la fac de Vincennes dans les années soixante-dix. Dans une salle, des dessinateurs pouvaient faire des rencontres. Avec Mézières et un prof de dessin qui se targuait de faire de la bande dessinée et dont je n’ai jamais rien vu de publié ! Jean Giraud aussi, de temps à autre. Mais je ne l’y ai jamais rencontré. Mézières me défonçait la gueule, regardait mes pages, lâchait  : « Non, ça et ça, ce n’est pas bon. » Il corrigeait, et c’était tout.
Déjà pas mal !
Peut-être, mais moi, quand je rencontre un dessinateur, je le conseille, et le revois deux mois plus tard quand il a appliqué mes remarques. Les trois quarts des élèves ne faisaient pas de bande dessinée. On doit être cinq à en être sortis : André Juillard, Dominique Hé, Serge Le Tendre, Patrick Cothias et moi. J’en oublie peut-être. Charles Villoutreix a dû signer un album. Mézières aimait bien mon dessin, mais pas mes scénarios. Il m’a passé l’adresse de Le Tendre.
Bosser en atelier, est-ce instructif ?
J’y voyais plutôt une manière de se tenir chaud ! Pourtant, on apprend de ceux qui sont avec vous, quand bien même seraient-ils moins qualifiés. Il y a toujours à apprendre autant qu’à donner. On m’avait proposé de prendre la suite d’Edmond Baudoin à l’école d’Ottawa. L’idée de préparer mes cours, venir tel jour de la semaine, à telle heure, m’ennuyait. Jean-Louis Tripp, mon complice sur Magasin général, s’en est finalement chargé. Et fait cela bien mieux que moi.
Quel était le métier de votre père ?
Militaire. Ma mère, femme au foyer, et lui ont eu l’intelligence de me laisser suivre mes envies sans se braquer. C’était les années soixante. Nous vivions dans le sud de la France. Seul un voisin m’encourageait, me conseillait d’étudier le travail de peintres ou les illustrateurs. Il m’a ouvert l’esprit. Mon père rêvait que je trouve un bon patron, apprenne un bon métier, et dessine pour me faire plaisir comme d’autres vont à la pêche. N’empêche, quand installé à Paris j’ai envoyé à la maison la première revue dans laquelle j’étais publié, il fut très fier. Même s’il n’avait sans doute jamais lu un livre de sa vie ni regardé une bande dessinée.

“Mon père me voyait avec un bon métier et dessiner comme d’autres vont à la pêche — Régis LOISEL”

Souhaitiez-vous, vous aussi, que Clément trouve « un job sérieux » ?
Nous étions très contents qu’il veuille devenir peintre. Et qu’un de ses frères, Léo, s’oriente vers le théâtre. C’est entre 18 et 40 ans qu’il faut tenter de réaliser ses rêves. Après, pour un peintre qui n’a pas percé, c’est dur. Alors qu’en bande dessinée, il y a toujours moyen de faire des trucs à droite à gauche, vendre des petits cabochons, vivoter – j’insiste –, vivoter.
Comment réussir en peinture ?
Clément : Il y a le travail d’atelier et puis tout le reste. Du cinquante-cinquante. Beaucoup de paperasse. Notamment pour obtenir des bourses. Un gros travail de contact avec des galeries, de rencontres dans les vernissages.
Régis : Un truc fou ! La forme, les intentions à présenter par écrit sont presque plus importantes que l’œuvre. L’œuvre, on s’en tape ! Ce qui compte, c’est le propos, ce que vous avez voulu mettre dans votre œuvre.
Clément : Il faut utiliser un vocabulaire particulier. Ennuyeux, mais intéressant. Une forme d’introspection sur son travail. Une fois par an, regarder où on en est. Mettre son portfolio et son site web à jour. Pour tel concours ou telle demande de bourse, je vais devoir décrire mon travail, mes intentions. C’est parfois difficile, d’autant que j’ai tendance à faire les choses simplement, à partir d’une idée de base. Mais les gens en demandent plus. D’où parfois le sentiment de vendre des salades. Pourtant, tirer des bouts de ficelle, se rendre compte au final que son travail a peut-être davantage de portée, ou une autre portée que ce qu’on y voyait est intéressant. J’en sors toujours grandi.
Le monde de la BD est-il plus confortable, avec son système d’avance sur droits et un interlocuteur unique, l’éditeur ?
Une question de niveau. Si dans mon domaine j’atteins un niveau avoisinant celui de mon père, je ne donnerai plus le moindre coup de téléphone. Des amis dont la carrière est plus avancée que la mienne ne contactent jamais une galerie. Ils sont contactés. Je veux en arriver là, mieux assurer ma croûte et surtout gagner en tranquillité en mettant de côté cet aspect du travail. Heureusement, ma femme accomplit un boulot extraordinaire de secrétariat, d’assistance. Elle écrit, rédige, contacte, fait tout ! En plus, habitant en Allemagne, mon portfolio doit être rédigé en trois langues : allemand, français, anglais !

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément offert de Casemate n°128 – août-septembre 2019.

Rétrospective Régis Loisel et œuvres choisies de Clément Loisel,
Du 10 au 15 septembre 2019, Bastille Design Center, Paris (11).
Puis du 18 septembre au 12 octobre 2019, Régis Loisel à la Galerie 9e Art, Paris (9).

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