Scénariste du Sergio Leone, deuxième titre après Lino Ventura et l’œil de verre (dossier dans Casemate 124) de la nouvelle collection Glénat consacrée aux grands acteurs et aux grands réalisateurs, Noël Simsolo a bien connu le cinéaste italien qui révolutionna le western en montrant le vrai visage de l’Ouest (dossier dans Casemate 125). Pour casemate.fr, il revient sur sa rencontre avec Leone et le sort que les États-Unis réservèrent à ses films. Et se penche, au passage, sur la révolution du 14 juillet 1789 vue par Jean-Luc Mélenchon.

Comment avez-vous découvert les films de Sergio Leone ?
Noël Simsolo : J’avais trouvé son Colosse de Rhodes pas mal du tout. Et, évidemment, à sa sortie en 1964, vu Pour une poignée de dollars, signé sous le pseudo Bob Robertson. J’en suis sorti perplexe, mais intéressé. En me disant qu’il y avait du Bresson chez ce mec qui tournait avec une économie de moyens incroyable. Plus tard, je me retrouve à Paris et me lie à la Cinémathèque avec le cinéaste Jacques Rivette qui défendait les films de Leone avec fougue. Je le revois arriver furieux dans les locaux du magazine Les Cahiers du cinéma qui s’occupait encore de cinéma et non de politique : « Je viens de découvrir la version française de Il était une fois dans l’Ouest, bien meilleure que l’américaine, dans laquelle plusieurs scènes ont été coupées ! »
Là-dessus, je rentre au magazine Zoom. En 1971, j’ai la possibilité d’interviewer Leone lors d’une projection. Un peu plus tard, je publie un article prenant sa défense. Et n’y pense plus. En 1973, je suis à Cannes pour mon premier festival. En traversant la grande terrasse du Carlton, je tombe sur Sergio Leone attablé avec les Monty Python. Les présentations faites, il me lance en français : « Toi as écrit un truc sur moi dans revue du cinéma avec photo. Demain ici à midi. On va manger chez Retou au Cannet. » Le restaurant dont la bouillabaisse attirait alors même les New-Yorkais. Notre amitié a commencé ce jour-là.
Les gens le reconnaissent-ils ?
Nous montrons dans la BD qu’on le confondait parfois avec Orson Welles dont il avait la corpulence. Mais les gens l’adoraient. Je me souviens d’une nuit à Rome, où j’étais avec ma seconde épouse. À minuit, j’entends hurler dans le couloir : « Signor Simsolo ! Signor Leone vous appelle au téléphone ! » Le gardien de nuit a réveillé tout l’hôtel. Ça donne une idée de la gloire du personnage. Ensuite, nous nous voyons souvent en France, à Paris. Il rencontre beaucoup de gens, aime faire des affaires, dispose toujours de fortes liquidités sur lui. Un portefeuille bourré de francs, de lires, de dollars. Il se le fait voler à Cannes. Tous les jours, je passe au Carlton voir si on a retrouvé son voleur. Un soir, à Rome, je découvre un film d’Ettore Scola, pas distribué en France. J’en parle à Leone. Il appelle le distributeur, achète les droits du film pour la France et les revend le jour même. Le film s’appelait Nous nous sommes tant aimés… C’était cela aussi Leone.

“Leone : Toi as écrit un truc sur moi dans revue. Demain ici à midi. On va manger chez Retou…”

Avait-il un problème avec la nourriture ?
Il aimait manger, bien sûr, était gourmand et, comme tous les anciens pauvres, détestait laisser quelque chose dans son assiette. Cela le gênait. Quand il suivait un régime, il m’obligeait à commander des frites pour ensuite opérer des razzias dans mon assiette.
On a peine à imaginer que le personnage d’Eastwood, dans Pour une poignée de dollars, ait été au départ un grand bavard !
N’oubliez pas que son film précédent, Le Colosse de Rhodes, est très bavard. Mais Leone a vite compris que dans l’Ouest on parlait sans doute moins qu’en Italie. Puis il a intégré que la musique d’Ennio Morricone remplaçait avantageusement certains dialogues. Enfin, il a estimé que l’énorme présence de Clint se suffisait à elle-même. D’où sa phrase terrible et inoubliable : « Clint a deux expressions, une avec le chapeau, une sans le chapeau. » Le cinéma de Leone n’est bavard qu’au niveau de la musique.
Les Américains lui ont longtemps reproché de salir leurs westerns.
Ah, le poncho sale d’Eastwood ! Leone, qui s’était bien documenté même s’il ne parlait pas anglais, rappelait que lorsqu’un cowboy, un vacher, arrivait pour boire un coup dans un saloon, il était sommé d’enlever son poncho et de le déposer dehors tant il puait. Poncho qui tenait debout par la crasse.
Ils ont aussi beaucoup coupé ses films !
Un massacre. Toutes les scènes violentes de Pour quelques dollars de plus furent supprimées. En Europe, on l’a découvert lorsque les versions américaines sont arrivées en cassettes vidéo. Même censure sur Le Bon, la Brute et le Truand. Des coupes infâmes dénaturaient Il était une fois dans l’Ouest. Ils coupèrent toutes les scènes de flash-back d’Il était une fois en Amérique, amputant le film d’une heure.
Le pompon revient à la télévision qui a fait tourner, à l’insu de Leone, une scène dénaturant complètement le rôle d’ange exterminateur de Eastwood dans Pour une poignée de dollars. Le réalisateur Monte Hellman a filmé un prisonnier avec le fameux poncho à qui on promettait la liberté s’il allait tuer tout le monde dans une petite ville de l’Ouest…

“Une scène piratée dénature complètement le côté ange exterminateur de Clint Eastwood”

Comment réagissait Leone à ces massacres ?
Il n’a jamais réussi à avoir les droits de ses films aux États-Unis. Avec l’arrivée des DVD, les Américains ont enfin pu découvrir ses films quasiment dans leur intégralité. Poser un autre regard sur eux. Et comprendre que Leone leur renvoyait au visage l’Ouest tel qu’il était. Leur grande peur fut sans doute qu’il montre de même les vrais rapports entre les Blancs et les Indiens. La vérité est qu’il n’y a pas eu conquête de l’Ouest, mais une colonisation et des massacres d’Indiens. Le dernier eut lieu peu avant 1900 à la mitrailleuse dans des camps occupés par des femmes et des enfants. Avec son cirque, Buffalo Bill a créé une mythologie que les gens ont bien voulu croire. Oubliant par exemple que, pour venger le général Custer, Mister Buffalo Bill avait été jusqu’à scalper un enfant indien.
Pourquoi Leone n’a-t-il jamais abordé ce sujet ?
Ce n’était pas sa mythologie. Il a réalisé des westerns malgré lui. Ce qu’il voulait, c’était évoquer la mafia juive aux États-Unis, et pas l’italienne. Peut-être un jour tournera-t-on un film sur la mafia indienne qui a existé pour défendre le peuple indien. Les Noirs ont obtenu la nationalité américaine sous Lincoln, les Indiens seulement après la Première Guerre mondiale. Et le droit de vote encore plus tard, au début des années vingt.
L’influence de Leone sur la bande dessinée ?
L’homme a toujours été marqué par les fumetti, ces BD populaires italiennes. Et a évidemment inspiré Jean Giraud pour son Blueberry. Il suffit de voir les Jerry Spring de Jijé et ensuite certains Blueberry pour comprendre que l’influence de Leone est passée par là.
A-t-il des successeurs, des héritiers au cinéma ?
Il a deux enfants. Tarantino qui ne s’en cache pas, voir le début d’Inglourious Basterds, un hommage sans voile à Leone. Et John Woo.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate n°125 – mai 2019.

Sergio Leone,
Philan, Noël Simsolo,
Glénat,
64 pages,
22,50 €,
dispo.


Au ciné, entre deux lessives

À quel âge avez-vous découvert le cinéma ?
Noël Simsolo : Ma mère et mon père faisaient les marchés à Lille. L’après-midi, mon père allait jouer, et ma sœur aînée, deux ans de plus que moi, était à la maternelle. Ma mère qui adorait le cinéma m’y emmenait. J’avais 3 ans… Mes parents se sont séparés alors que j’avais 5 ans et ma mère a fait des ménages pour nous élever.
Alors adieu le cinéma ?
Non, et même si notre père ne lui donnait rien, elle tenait absolument, chaque dimanche après-midi, à m’emmener dans des cinémas de quartier. Je me souviens du Paris, rue de l’Hôpital-Militaire, et de sa programmation extraordinaire. On y projetait des œuvres de Jean Cocteau, Robert Bresson, Sacha Guitry… J’ai été nourri à ce cinéma. Ma mère faisait des lessives, sans machine évidemment, à l’ancienne, dans des lessiveuses. Avec une brosse à chiendent et repassage en chantant du Piaf et du Fréhel. Quand elle ne travaillait pas l’après-midi, elle venait me chercher à la petite école – j’avais 5-6 ans –, et direction un cinéma. Nous allions voir des films comme le Samson et Dalila de Cecil B. DeMille. C’est ainsi que le cinéma m’est entré dans la tête. D’autant que ma mère adorait aussi lire, et qu’il traînait à la maison des livres et des magazines comme Cinémonde.
Je raconte souvent une anecdote qui m’a marqué. À 6 ou 7 ans, ma mère m’emmène au Paris voit Le Grand Sommeil avec Humphrey Bogart. Nous rentrons dans notre appartement lillois. Il se compose d’une grande pièce avec un lit où je dors et d’une chambre que ma mère partage avec ma sœur. Plus une espèce de salle d’eau-cuisine. Au-dessus du lavabo, ma mère a rempli une étagère de livres. Et j’y trouve Le Grand Sommeil de Raymond Chandler, dans la Série noire. Je l’ai lu aussitôt. J’étais fasciné.

“ma mère m’a fait découvrir le cinéma dès l’âge de 3 ans. Depuis, il ne m’a plus quitté”

Y avez-vous compris quelque chose ?
Personne ne comprenait ce livre, même pas Howard Hawks le réalisateur du film ! J’ai compris bien plus tard ce qu’il avait mis dans cette œuvre. Ma mère m’encourageait dans mes lectures. Et me guidait. Elle hésitait un peu à me conseiller des Série noire, privilégiant une collection sœur, la Série blême, plus tournée vers le suspense. J’ai lu David Goodis et William Irish à 7 ans.
Aller si souvent au cinéma n’écornait-il pas le budget serré de votre mère ?
À l’époque, l’entrée des cinémas de quartier ne coûtait pas plus d’un euro d’aujourd’hui. En revanche, les autres salles étaient plus chères. En 1958, une salle annonce que Brigitte Bardot va venir à Lille avec le réalisateur Claude Autant-Lara présenter leur film En cas de malheur. Ma sœur, qui a 16 ans, insiste pour y aller malgré le prix de la place. Pique une crise. Ma mère finit par céder. Mais Bardot ne viendra pas…
Cet amour du cinéma ne vous a-t-il plus jamais quitté ?
Jamais. Plus grand, je fréquente les cinémas de quartier, seul. Puis c’est la découverte des ciné-clubs. Au début des années soixante, dans le tram qui nous emmène au lycée, je sympathise avec une blonde dont la sœur vit avec Jean Wagner, spécialiste du jazz et du cinéma qui écrit alors dans Les Cahiers du cinéma à couverture sur fond jaune. Mon amie me les prêtait. Je plongeais dedans, même si je ne comprenais pas tout…


Mélenchon me fait rigoler

Chez Glénat, vous scénarisez également un Napoléon avec Jean Tulard dans la collection Ils ont fait l’Histoire.
Noël Simsolo : Et, début juin, paraît 1789. À cette occasion, j’aimerais faire une petite précision après les propos de Monsieur Mélenchon déclarant que le 14 juillet 1789, le peuple a chassé le roi pour créer la République. Monsieur Mélenchon me fait rigoler. En fait, voilà comment les choses se sont passées. Le 13 juillet au soir, un convoi de pain arrive enfin à Paris qui crève de faim. Mais aux portes, on refuse de le laisser entrer, sachant qu’il n’y en aura pas pour tout le monde et que cela déclencherait des émeutes. On envoie donc le Royal-Allemand, un régiment français qui a stationné en Allemagne, pour maintenir l’ordre. Du coup, une rumeur traverse la ville : les Allemands sont aux portes de Paris ! On forge des piques pour que les Parisiens puissent se défendre. Comme cela semble bien insuffisant, la foule se rend aux Invalides pour récupérer armes et munitions. Les Gardes suisses, qui n’ont pas d’ordres, laissent passer les manifestants qui ne trouvent pas de munitions, mais emportent quelques canons. Qu’en faire sans munitions ? On se dirige vers la Bastille en criant des slogans : « Vive Necker, vive le duc d’Orléans, vive le Roi et à bas l’Autrichienne ! »
Le drame est que le responsable de la Bastille est un connard qui donne l’ordre de tirer sur la foule, faisant quelques morts et quelques blessés. Et c’est la prise de la Bastille. Mais il y a très peu de morts – dont certains par petits règlements de comptes. Certains émeutiers meurent d’épuisement tant ils ont bu toute la nuit.
Plus tard, après la grande marche des femmes, quand le roi ramené de Versailles arrive aux Tuileries, le peuple crie encore : « Vive le Roi ! » On est loin de la vision simpliste de Mélenchon. J’aimerais bien un jour me trouver face à lui pour en discuter.

Napoléon #3/3,
Fabrizio Fiorentino, Noël Simsolo & Jean Tulard,
Glénat,
64 pages,
14,50 €,
dispo.

1789 – La Naissance d’un monde,
Paolo Martinello, Noël Simsolo,
Glénat,
64 pages,
14,95 €,
5 juin 2019.

1789 – La Mort d’un monde,
Paolo Martinello & Vincenzo Bizzarri, Noël Simsolo,
Glénat,
64 pages,
14,95 €,
5 juin 2019.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.