Il y a eu dans la foulée le film La Mort de Staline, tiré d’une BD de Fabien Nury et Thierry Robin, puis Les Vieux Fourneaux, tiré d’une autre de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet auquel Casemate vient de consacrer un numéro spécial. Voici aujourd’hui sur les écrans Le Poulain, comédie aigre-douce bien balancée réalisée par Mathieu Sapin, l’homme qui parle à l’oreille de Depardieu et a hanté des années durant les couloirs de l’Élysée en Hollandie. Suite de l’interview de l’auteur de Supermurgeman parue dans Casemate 118. Où l’on apprend, entre autres, quel sujet Sapin rêve de porter demain à l’écran.

Le Poulain, un film facile à financer ?
Mathieu Sapin : Non, bien sûr, on a galéré. Parler de politique fait peur. Nous n’avons pas eu de financement public. Le Centre national du cinéma ou France Télévisions nous répondaient que d’autres films avaient bien plus besoin d’aide que nous. On a ramé également pour trouver un distributeur. Le Studio Canal nous a répondu adorer le scénario, mais la politique, hein… et puis ils ont fait Le Baron noir. Heureusement,
Alexandra Lamy figurait au casting. Avec une comédienne moins connue, cela n’aurait pas été la même chanson. Il est très difficile aujourd’hui de trouver des financements. Regardez Joann Sfar et ses projets en costumes et un peu polémiques, il attend toujours (Casemate 118).
Ce qui est formidable avec Alexandra Lamy, c’est qu’elle se prend au jeu, se confond un peu avec le personnage, contrôle beaucoup sa communication. Elle possède ses réseaux, ses fans, déborde d’idées. On a réalisé des t-shirts, des dessins… Cela l’amuse beaucoup. La production lui a demandé de s’investir sur la promo durant une période longue. Elle était partante. Nous avons fait un joli circuit, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lille, Lyon, etc.
La campagne a commencé à Angoulême lors du festival du film. Évidemment, on pense au festival BD, mais ce ne sont pas du tout les mêmes personnes, si ce n’est qu’elles se réunissent, elles aussi, le soir dans les couloirs de l’hôtel Mercure.
Réactions du public à ces avant-premières ?
Pendant la projection, à Angoulême, j’étais assis à côté du député de la Charente, un La République en Marche dont je guettais les réactions. Sur le moment, il ne se marrait pas trop. Les lumières rallumées, il m’a affirmé que c’était exactement cela et qu’il avait beaucoup aimé. Après le film, à chaque fois, avec au moins Alexandra nous assurions de longs débats, parfois de deux heures. Les gens nous disaient être à la fois intéressés par la politique et un peu désespérés par l’image qu’elle donne. Et ajoutaient que mon film n’allait pas les faire changer d’avis ! Je répondais qu’il s’agit d’une comédie et que je voulais éviter le côté gentille aventure humaine où tout le monde s’entraide. On m’aurait alors reproché d’être à côté de la plaque. J’ai vraiment ressenti, tout au long de ces débats, que les gens ont envie de dire ce qu’ils ont sur le cœur.
Cela tournait-il parfois au débat politique ?
Très rarement. Pour ça aussi Alexandra est une superpro. Une star qui prend le temps de répondre aux gens, tout en se gardant toujours de tout commentaire politique. Elle n’a aucune envie d’être récupérée par l’un ou l’autre côté.
On la découvre dans un rôle dur de méchante, une première ?
Je crois. Elle est beaucoup plus sympa dans la vie. Du coup, à la fin du film, son public traverse un moment de stupeur. Mais dès qu’elle parle, les gens se détendent. Ouf, ils retrouvent celle qu’ils considèrent comme une bonne copine, qu’ils tutoient. Et ils prenaient vite la défense d’Agnès, son personnage, seule dans un milieu d’hommes où l’on ne s’attend à aucun cadeau. Il est donc normal qu’elle fasse deux fois plus d’efforts, se montre deux fois plus dure. J’étais ravi d’entendre cela. Au début, Agnès est forte, redoutable, impitoyable, mais tout ceci cache une faiblesse. Du coup, elle finit par nous émouvoir. Personne n’est un robot.

“Les gens se disent intéressés par la politique et plutôt désespérés par l’image qu’elle donne”

Avez-vous connu l’angoisse du débutant ?
C’est sûr, se dire chaque matin que quatre-vingts personnes vous attendent met la pression. Je me disais alors que ce n’était qu’un film et que nous étions là pour prendre du plaisir. Je me répétais « Ça ira, ça ira » et jamais « Mais dans quelle merde me suis-je fourré ? » Le soir, avant de me coucher, je regardais un épisode de Twin Peaks et dormais ensuite comme un bébé. À la fin, évidemment, j’étais crevé. Je suis parti passer une semaine au Portugal et après tout allait bien.
Avez-vous laissé un peu de liberté à vos acteurs ?
Parfois, Gilles Cohen, qui joue le rôle de Prenois, en est l’exemple parfait. Je lui ai proposé le rôle du candidat à la présidence, qui n’est pas le personnage principal de l’histoire. Il s’y est donné à fond. J’ai tenu à ce que l’on tourne dans les conditions les plus réelles possible. Quand il parle avec Laurence Ferrari, sur le plateau télé, il est vraiment face à elle. Quand il visite une usine, c’est une vraie usine, qui, entre parenthèses, avait reçu peu avant la visite de Laurent Wauquiez. Les ouvriers sont les vrais ouvriers. Les migrants de vrais migrants arrivés depuis peu. Le labo avec cette espèce de bras articulé existe et celui-ci est une prouesse technique. Quant à Gilles, on l’a fait habiller par le tailleur de Macron. Il arrive dans l’équivalent d’une voiture présidentielle. Et le voilà qui commence à discuter avec les migrants, chose pas prévue au scénario. Et c’était bien plus intéressant que mon dialogue entre Arnaud et Agnès ! J’ai gardé l’improvisation et coupé le dialogue.
Gilles m’a fait ce genre de coup, que j’appelle un hold-up, dans plusieurs scènes. Sans Gilles, je pense que le rôle de Prenois aurait été un peu fadasse. C’est la différence entre un film et un téléfilm. Dans le second, on n’a pas le temps de dessiner autant les personnages secondaires.
Gilles, perfectionniste, m’avait demandé s’il serait possible de rencontrer François Hollande. J’ai posé la question à l’Élysée, réponse : « Oui, on déjeune ensemble cette semaine. » Tout, dans la politique, passionne Hollande, y compris sa représentation au cinéma. Pendant tout le déjeuner, il a répondu aux questions de Gilles : « Quelle est la première chose que fait un président en se levant le matin ? » « Comment monte-t-on sur scène ? », etc. Ce fut génial.
Du coup, vous avez engagé Gaspard Gantzer, son ancien conseiller à l’Élysée !
Peu de temps avant le début du tournage, je n’avais toujours pas d’acteur pour ce personnage de conseiller. Tous les comédiens testés avaient tendance à la jouer sérieux, un peu à la manière des séries américaines traitant de la Maison-Blanche. Pendant mon long séjour à l’Élysée pour réaliser le Château qui raconte ses coulisses, je n’avais pas eu du tout cette impression. Les conseillers ont le chic pour parler d’une manière très légère, voire désinvolte, de sujets super graves.
Vous ne vouliez pas d’un croque-mort.
Voilà. Je désirais qu’Edwin étonne. J’ai alors pensé à Gaspard, un vrai personnage avec une voix, un physique, une manière un peu sautillante. Vous le remarquez tout de suite. Je lui ai envoyé le scénario, deux jours après il m’a dit OK.
Vous preniez des risques, il aurait pu être très mauvais !
Absolument. Je réalise a posteriori que je fus parfois un peu inconscient. Le tournage s’est très bien passé, nous avons respecté délais et budget, mais parfois ce fut chaud.

“Nous avons fait habiller Gilles Cohen, qui joue le candidat à l’Élysée, par le tailleur de Macron”

Exemple ?
Un truc tout bête. Dans une scène, Arnaud et Agnès discutent dans une voiture roulant la nuit. On a tourné à Montpellier et a priori trouver une route toute droite ne devait pas poser problème. Eh bien si, c’est plein de pièges ! Il ne faut pas de feux rouges, la scène est censée se passer à Paris, donc attention à ce que l’on discerne derrière les vitres, etc. L’équipe technique finit par trouver un tronçon de route adéquat. On prévient la mairie qu’on va tourner telle nuit entre telle et telle heure. Tout est parfaitement organisé. Seul petit problème, la mairie oublie de nous prévenir que des travaux se déroulent justement cette nuit-là sur la moitié du parcours ! Ce qui chamboule tout. Le tournage va prendre le double de temps, on va devoir passer en heures sup (attention au budget), le lendemain l’équipe sera crevée et les scènes suivantes compromises. On s’en est sorti parce qu’il nous restait une demi-journée de battement sur la totalité du plan de travail. En cas de nouveau pépin, nous n’aurions plus eu de marge de manœuvre ! Un film, c’est comme traverser une tempête. On ne comprend vraiment qu’après ce à quoi on a échappé.
Avez-vous tenu à rencontrer beaucoup d’hommes politiques ?
J’ai vu Emmanuel Macron, Nathalie Kosciusko-Morizet (Casemate 118)… Je suis allé à des meetings de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, mais, malheureusement, pas de François Fillon.
Vous avez suivi la campagne de Hollande en 2012. Qu’est-ce qui la différenciait de celle de 2017 ?
L’évolution des médias. En 2012, il y avait déjà Twitter, les chaînes info, mais tout cela n’occupait pas la place prépondérante qui est la leur aujourd’hui. Je voulais montrer cette immédiateté. Aujourd’hui, tout se sait tout de suite. Aujourd’hui, le sacro-saint 20 h des grandes chaînes télé a beaucoup moins d’impact. À chaque instant, un texto peut faire partir l’actualité dans une direction que personne n’a prévue. Cela crée un sentiment d’instabilité dans tout le petit monde politique.
L’épisode montage, pas trop stressant ?

J’avais suivi Joann Sfar sur celui de son Gainsbourg (vie héroïque). Et je ne voulais pas me retrouver à passer des journées à Boulogne ou Montreuil, dans une pièce noire, sur un canapé, à attendre que le monteur me sollicite. Ne rien faire est usant. Avec Christophe Blain, nous avions récupéré un studio sur le même palier que notre atelier, près du canal Saint-Martin. J’ai proposé à la production d’y installer la salle de montage. Je pouvais travailler dans notre atelier et être toujours dispo pour le monteur sans perdre de temps. J’avais ma Cintiq, mon ordi et pouvais faire des maquettes, des textos, des génériques. On voit dans le film un texto envoyé par la copine d’Arnaud pour lui dire qu’il lui manque. Il n’est pas dans le scénario.

“J’aimerais, dans mon prochain film, parler de la presse. Mais pas sous un angle caricatural”

Quel regard portez-vous sur les journalistes politiques ?
Je tenais à les montrer parce qu’ils font partie du décor. Pas de politiques sans journalistes. Je ne parlerai pas de connivence – je n’en ai jamais vu faire des bouffes le soir avec des politiques –, mais d’une espèce de fausse proximité. Ils se voient tout le temps – ce ne sont pas des métiers à 35 heures ! –, se connaissent par cœur. Un copain photographe sait dans quel ordre Hollande lit la presse.
Le public a tendance à voir quelque chose de consanguin entre eux, tous copains comme cochons. Ou, au contraire, reproche à la presse d’être injuste, de s’acharner sur les politiques. Je tenais à montrer que leurs relations étaient un peu plus compliquées que cela. C’est un peu tôt pour en parler, mais tant pis : j’aimerais beaucoup, dans mon prochain film, parler de la presse. Un sujet passionnant. Très souvent traité aux États-Unis et très peu en France, où le journaliste est présenté sous un angle caricatural. Moi, j’ai tenu à utiliser de vrais journalistes. Sur le plateau de Bruce Toussaint, on voit des journalistes de Libé et de Reuters.
Pas de carnet de tournage du Poulain comme vous en avez fait un sur Gainsbourg ?
Non, ça me démangeait trop d’écrire et de dessiner Supermurgeman. Mon vrai métier, c’est la BD. J’ai un peu honte de l’avouer alors que certains tueraient père et mère pour réaliser un film, mais le ciné n’est pas un de mes rêves de gosse. J’ai adoré réaliser Le Poulain, j’adorerais en monter d’autres, mais encore une fois, mon métier c’est la BD. Ce film est une chance que je me suis donnée, servi par des rencontres, comme tout ce qui m’est arrivé ces dernières années, l’Élysée, Depardieu…*

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI et Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate n°118 – octobre 2018.

* À lire de Mathieu Sapin : Campagne présidentielle – 6 mois dans les coulisses de l’équipe de campagne de François Hollande. Le Château – Une année dans les coulisses de l’Élysée. Gérard – Cinq années dans les pattes de Depardieu, Dargaud.

Le Poulain,
de Mathieu Sapin,
avec Alexandra Lamy,
Finnegan Oldfield,
Bac Films,
1 h 37.

Supermurgeman #4,
Opération Sheila,
Mathieu Sapin,
Dargaud,
48 pages,
12 €,
dispo.

Supermurgeman – Intégrale,
Mathieu Sapin,
Dargaud,
160 pages,
24,99 €,
dispo.

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