Saviez-vous que des peintures préhistoriques ont pour auteurs des autrices ? Que les chasseurs de l’époque préféraient, et de loin, la chasse aux escargots à la traque au mammouth ? La dessinatrice Anna Conzatti et le scénariste Fabien Grolleau racontent, dans Casemate 177, le parcours d’une artiste-peintre vivant il y a quelque 38 000 ans. Fin de leurs interviews.
Depuis quand avez-vous ce projet en tête ?
Fabien Grolleau : Si je ressors mes fichiers, je vois que les premiers documents pour l’écriture de ce scénario datent de 2012. J’avais déjà envisagé de choisir une femme préhistorique comme personnage principal, avec la motivation de briser les clichés par une fiction. Après plusieurs essais et des concertations avec différents dessinateurs, j’ai pensé à Anna Conzatti qui a un dessin plutôt lyrique correspondant au sujet. Je voulais par ailleurs que ce soit une femme qui dessine cet album.
Anna Conzatti : Après plusieurs publications jeunesse, Peindre avec les lions est ma première BD adulte, si on excepte les fanzines que j’ai publiés pendant un séjour en Italie. Fabien m’a proposé ce projet en 2018. On s’est connu en atelier à la Maison Fumetti de Nantes. J’étais alors une jeune autrice intimidée par l’ambition du récit, mais j’ai relevé le défi en continuant mes activités de coloriste et de prof de BD en parallèle. Au moment de signer le contrat avec Dargaud en 2019, j’ai appris que j’attendais mon premier enfant. Tout cela a ralenti la réalisation de l’album.
“Comme admettre que des peintures rupestres soient dues à des femmes, ce qui est” — Anna Conzatti
Qu’est-ce qui a changé dans les versions ultérieures du scénario ?
Grolleau : Anna a apporté sa patte, osant par exemple des scènes de nudité que je n’aurais pas pris l’initiative d’inventer. Je voulais d’abord que l’action se déroule dans une grotte moins connue près de Poitiers, le Roc-aux-Sorciers. Mais je me suis rabattu sur la grotte Chauvet en Ardèche, la plus belle à mon sens. On y trouve des dessins d’ours, de chevaux, et surtout un panneau constellé de lions chassant des buffles. Ces dessins représentent la vie animale avec des détails saisissants.
Conzatti : Fabien a eu l’intelligence de me laisser plus de liberté sur des scènes qui font intervenir mon expérience de femme, comme celle qui représente la gestation d’un enfant. Cette BD ne se revendique pas féministe, mais fait passer des choses en filigrane. Nous voulons battre en brèche certains clichés, comme celui qui attribue uniquement aux hommes la création des peintures rupestres. Alors que rien ne le prouve ! D’anciennes analyses préféraient conclure que certaines traces de mains étaient celles d’adolescents plutôt que d’admettre qu’il pouvait s’agir de mains féminines, ce qui a depuis été démontré.
Vos autres sorties ?
Grolleau : En même temps que Peindre avec les lions, je sors Le Chantier dessiné par Clément C. Fabre dans une réédition augmentée d’une dizaine de pages. Il s’agit d’un récit sur une autre femme artiste, mais qui est plutôt architecte durant notre période contemporaine.
Conzatti : Je travaille actuellement sur un album prévu au Lombard avec la scénariste Karine Parquet sur une histoire d’amitié entre cinq femmes. Une d’entre elles se fout dans la panade et ses copines tentent de l’en sortir en menant une enquête resserrée sur trois jours.
Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°177 – mars 2024
Peindre avec les lions,
Anna Conzatti, Fabien Grolleau,
Dargaud,
184 pages,
22 €,
dispo.