L’Ouest, en convoi et en solitaire 3/4

Comment expliquer la différence de culture sur les armes entre la France et les États-Unis ?
Tiburce Oger : D’abord par un état d’esprit. Depuis le Moyen Âge, les Français ont pris l’habitude d’être défendus par un pouvoir central, à l’époque par les gens d’armes du seigneur. Les pionniers du nouveau continent ont dû, eux, se débrouiller longtemps tout seuls. Il faut quand même rappeler qu’un Français a le droit de posséder une arme, à condition de ne pas être un délinquant, de n’avoir jamais été condamné à de la prison. Une enquête suit chaque demande avant la délivrance d’un permis de chasse ou d’une licence de tir. Et le contrôle est plus ou moins sévère en fonction de l’arme détenue. Aux États-Unis, c’est en gros la même législation, parfois même encore plus restrictive qu’en France, notamment dans les États côtiers, à l’est comme à l’ouest. Ainsi, il est très difficile de posséder une arme en Californie, à moins qu’il ne s’agisse d’une antiquité fabriquée avant 1900.
Mais dans le Middle West, au Texas, en Arkansas, par exemple, États traditionalistes, on peut, à condition d’avoir un permis, porter une arme sous sa veste ou dans sa voiture. C’est très souvent le cas d’agriculteurs, d’éleveurs vivant en pleine campagne et pouvant se retrouver face à une bête dangereuse, ou dans l’obligation d’abattre du bétail blessé. Règne encore dans ces régions un état d’esprit très pionnier, très cow-boy.
Ce n’est pas tout à fait l’image que donnent films et séries policières.
Qui, à mon avis, véhiculent une image fausse de la réalité. Regardons les chiffres : la plupart des morts par arme à feu aux États-Unis se produisent dans des États où leur possession est la plus réglementée, c’est-à-dire, les États côtiers et les grandes villes. À Los Angeles, Chicago et New York, les guerres de gangs font énormément de morts, à coups d’armes souvent interdites aux États-Unis.
M’intéressant aux armes depuis toujours, j’observe que des journalistes français sont la plupart du temps extrêmement mal informés sur le sujet. On parle toujours des lobbys pro-armes aux États-Unis. Mais les lobbys anti-armes en Europe sont tout aussi virulents.
Une arme n’est tout de même pas un hochet !
Non, c’est un outil. Comme une hache. Hache avec laquelle aujourd’hui on coupe du bois, mais qui a servi à tuer son prochain pendant des milliers d’années. Et nul besoin d’un permis pour en acheter une à Castorama. On en arrive, lors d’un meurtre à coups de Kalachnikov, à accuser l’arme. À la diaboliser. Il faudrait peut-être rebasculer dans la réalité. C’est l’homme qui se sert de l’arme qui est coupable.

“La plupart des morts se produisent où leur possession est la plus réglementée”

Extrait de Ghost Kid, album paru en août 2020.

Un outil quand même plus que dangereux !
J’en conviens. Comme une voiture. À Nice, un fou furieux a tué des dizaines de personnes en fonçant dans un spectacle avec un camion. On n’a pas interdit les camions que je sache, alors qu’à chaque drame on réclame l’interdiction des armes. Arrêtons, nous ne sommes pas dans un monde de béni-oui-oui. Interdites ou pas, les armes circulent, les assassins de Charlie Hebdo ne possédaient pas de port d’armes à ma connaissance. Et sans revenir à la hache, en ce moment les djihadistes tuent des pauvres gens au hasard des rues avec de simples couteaux.
Donc il faudrait laisser aller ?
Non, bien sûr, mais le plus important me semble l’éducation, l’apprentissage par la société et les religions de tous bords du respect de l’autre. L’arme n’est que le bouc émissaire de nos gros problèmes de confrontation, tant au niveau culturel que religieux.
Le principe français de la réplique proportionnelle à l’attaque existe-t-il aux États-Unis ?
Effectivement, je pense que les lois y sont plus tolérantes qu’en France. Si plusieurs hommes entrent chez un Américain avec visiblement l’intention de s’en prendre à sa famille et qu’il sorte son fusil du dessus de l’armoire et les descende, je pense qu’il bénéficiera de grosses circonstances atténuantes, des associations prendront sa défense. Je ne dis pas qu’on lui décernera forcément une médaille, mais on considéra assez vite qu’il n’a fait que se défendre.
Maintenant, il existe aussi des excès dans certains États. On y considère que si un inconnu entre sur le terrain d’un habitant sans y être invité, ne serait-ce que pour demander son chemin ou parce que sa voiture est en panne, l’habitant est dans son bon droit en lui tirant dessus. On passe là d’un extrême à l’autre.

“Les journalistes français sont la plupart du temps extrêmement mal informés sur le sujet”

Extrait de Ghost Kid, album paru en août 2020.

Quid des armes de guerre, pas vraiment indispensables pour se défendre des cobras, qui ont permis de vrais massacres en série dans les universités américaines ?
Oui, c’est effroyable, mais je mettrais le système éducatif américain en premier fautif. La frustration de gamins élevés comme des petits dieux, puis se prenant l’enseignement par la compétition en pleine face, ça fait plonger les plus fragiles dans la came ou dans un délire de vengeance envers cette société implacable. Que les armes automatiques soient interdites ne changera pas le problème.
Au Japon, les dingues attaquent des maternelles au couteau… Il y aura toujours des cas instables, et les contrôler tous est impossible, sauf chez Oui-Oui.
Il faudrait, comme en France, établir un système d’autorisations et de contrôle dans les États qui autorisent leur détention. Les adhérents de la Fédération française de tir peuvent détenir des armes en semi-automatique, sous autorisation préfectorale renouvelable tous les cinq ans et destinées au tir sportif. Les armes automatiques sont réservées à la police et l’armée. Les pères fondateurs de l’Amérique, au temps des fusils à silex, ne pensaient pas que les armes modernes seraient si redoutables. Je préfère les armes anciennes pour leur gueule inimitable et cette poudre noire qui vous parfume un stand de tir rapidement. J’essaie depuis des années de montrer qu’on peut aimer les armes et le tir sans être un facho ni un psychopathe. Je pratique le tir de compétition, principalement à l’air comprimé et la 22 L. Mais je pense que, côté arme létale, le mépris est plus efficace.
Vos projets après le marathon Go West Young Man ?
J’ai de plus envie de privilégier l’écriture au dessin. Celui-ci est laborieux, prend du temps alors qu’en une phrase, une minute, je peux raconter ce que je mettrais une journée à dessiner. Mais je ne laisse pas tomber le dessin qui me passionne toujours. J’ai fini le premier tome d’une collaboration avec Philippe Pelaez (Dans mon village, on mangeait des chats) qui, il y a trois ou quatre ans, m’a envoyé un scénario se déroulant notamment à Paris durant la Commune. J’ai dit oui tout de suite alors que je n’envisageais pas de retravailler avec un scénariste. Et moi qui suis heureux avec un désert, deux cactus et trois cailloux, me voilà dessinant les rues de Paris, les immeubles haussmanniens, le métro en construction. Soleil attend que le second tome soit pratiquement terminé pour sortir le diptyque à quelques mois d’intervalle. Je pense en avoir fini à l’automne, donc publication au printemps ou à l’automne 2022.
Puis je m’attaquerai à la suite de Ghost Kid. Et je réfléchis à un autre album western coscénarisé avec Hervé Richez. Nous avons le même âge, les mêmes goûts, la même culture cinématographique, le même amour de la bande dessinée d’aventure intelligente pour grand public, ce qui ne veut pas dire con-con. Merci Casemate !
Pardon ?
Il y a quelques années, je passe en touriste au salon d’Angoulême que pourtant je boycotte. Au stand Casemate, un copain me dit que l’éditeur Grand Angle adore la BD populaire, comme moi, et me passe le numéro de Sulpice. On a vite sympathisé et j’ai signé pour un western. Alors oui, merci Casemate !

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°149 – août-septembre 2021.

Go West Young Man,
Collectif, Tiburce Oger,
Bamboo – Grand Angle,
110 pages,
19,90 €,
3 novembre 2021.
Tirage luxe à 29,90 €.

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