L’auteur du Chat du Rabbin, dont le septième épisode vient de sortir, rêve d’un office commun auquel appelleraient rabbin, curé et imam. Mission impossible ? Aussi impossible que celle qui consista, en vain, à tenter de convaincre son chien de ne pas boulotter ses chats ?

Comment les religieux jugent-ils votre Chat ?
Joann Sfar : J’ai dix-sept ans de fréquentation de rabbins, curés et imams. J’ai trouvé ceux qui viennent me voir brillants, marrants, ouverts. Le problème n’est pas forcément les prêtres, mais bien souvent les gens qui n’y connaissent pas grand-chose, mais utilisent la religion. Un rabbin m’a dit un jour se considérer comme un garagiste de la foi. Le judaïsme du Maghreb est très terre à terre, tourné vers la vie quotidienne. Ses rabbins ont un côté assistante sociale. C’est un peu la même chose pour les imams que j’ai rencontrés. Ils sont là pour les croyants en détresse.
Ne les énervez-vous jamais ?
Non. Mes dessins politiques en agacent certains. Mais le Chat a toujours suscité beaucoup de bienveillance dans les milieux religieux. D’abord parce que je montre des Juifs qui ont l’air Arabes. Je ne vois pas la différence physique entre un Juif et un Arabe, il faut arrêter de se mentir là-dessus. Ensuite, je ne me prononce jamais sur le sacré, je ne dis jamais de mal des textes saints. Le Chat m’a offert la chance de tourner dans beaucoup d’écoles, de collèges, de lycées. Je veille à jamais offenser ni blesser gratuitement. Non pas parce que je suis couille molle, mais parce que cela ne sert à rien. Je veux simplement créer un espace de discussion et que les lecteurs s’en emparent. N’oubliez pas qu’être maghrébin en France, c’est souvent la peine multiple. « D’où viens-tu ? Que fais-tu ? N’oublie pas qu’on peut te renvoyer ! »
Le Chat est un conte de fées maghrébin qui, je crois, fait du bien à beaucoup de monde. Ce qui explique aussi la bienveillance qu’il rencontre.
Partout dans le Maghreb ?
Le Chat du Rabbin est traduit dans le monde entier sauf dans les pays arabes. Plein de gens y adorent mon boulot, mais la politique de ces États consiste à ne pas traduire un livre quand le mot rabbin figure dans le titre. L’Algérie répète la légende d’un pays arabe et musulman. En réalité, il n’y a pas plus cosmopolite. C’est une terre à l’origine berbère, qui a été francisée puis arabisée. Je ne me sens pas juif arabe, mais juif berbère.
Qu’est-ce qui pourrait être un pas symbolique vers une paix entre religions, ou plutôt entre religieux ?
Qu’un imam, un curé et un rabbin, par exemple, décident de faire une prière ensemble. Depuis tous les attentats qu’on se cogne depuis quinze ans, peut-être cela s’est-il produit dans d’autres pays, mais en France je n’en ai jamais entendu parlé. Les religieux ne font pas leur boulot.
Vous les montrez discutant ensemble, mais au bistrot.
C’est une scène que je trouve très jolie. Un beau rêve. En rigolant, je précise que l’imam, évidemment, ne boit pas d’alcool, mais du thé.

« Le Chat est un conte de fées maghrébin qui, je crois, fait du bien à beaucoup de monde ! »

Si la seule solution est de partir en quête du saint Graal ou de la pomme du paradis terrestre, on n’est pas sorti de l’auberge.
Évidemment. On peut seulement, par une histoire, un récit, tenter d’apaiser nos angoisses. C’est pourquoi Le Chat du Rabbin raconte une histoire commune aux juifs, aux chrétiens, aux musulmans, une histoire qui trouve ses racines dans le Maghreb et singulièrement en Algérie qui a toujours accueilli toutes sortes de populations. On raconte à beaucoup de petits Arabes et de petits Juifs que leur origine est la Palestine ou Israël. On leur fait croire qu’une guerre millénaire oppose juifs et musulmans. Ce n’est pas vrai !
Vouloir apprendre à votre chien à ne pas tuer les chats, n’est-ce pas aussi difficile que réconcilier Juifs et Arabes ?
Sur le tournage de Gainsbourg (Vie héroïque), nous avions un bull-terrier formidable. Un chien de la SPA qui a ensuite trouvé un maître. Plus tard, ma fille a voulu le même. Une éleveuse nous en a trouvé un adorable. Seul problème, ce clébard n’aimait pas les chats. À la seconde où il a vu les nôtres, il a voulu les bouffer. J’ai fait venir le meilleur éducateur pour chiens du monde. Il a tout essayé avant de jeter l’éponge. Rien à faire. Aujourd’hui, ce chien habite à Limoges, dans une maison avec jardin. Il a changé de nom et va très bien. Mais ce n’est plus mon chien.
Ne tirez-vous de cette histoire aucune morale sur l’avenir entre Juifs et Arabes ?
Aucune. Je reste optimiste. Et puis s’ils s’entendent un jour, je n’ai plus de boulot !
Vous dites qu’une certaine gauche, après avoir perdu le pouvoir, se retrouve KO debout. Comme vous. Comment se relever ?
Je n’ai pas d’idée précise sur ce qu’il faudrait faire, j’essaie juste d’aller vers toujours plus de métissage, plus de mélange, plus d’ouverture. J’essaie de dire à mes lecteurs, et singulièrement à la jeunesse, que c’est très joli le métissage. La preuve, il représente ce que les extrémistes détestent le plus ! Ma BD se rapproche un peu du travail de Magyd Cherfi avec le groupe Zebda. Il appelle toujours au mélange, à la rencontre, et même à la dispute. On a le droit de se disputer, ça peut être très enrichissant les disputes !
Un autre exemple ?
Omar Sy. Intraitable sur tout ce qui est saloperie, intolérance, méchanceté, il n’a jamais un mot contre la religion. On voit tout de suite que ce n’est pas un fanatique, mais un bon référant pour la jeunesse qui en manque terriblement. Quitte à paraître naïf, j’ai encore le souvenir de la fraternité exprimée lors de la coupe du monde de foot en 1998. On avait envie de ressembler à ces mecs-là.

« On a provoqué une identification entre Merah, ce tueur, et la jeunesse paumée de notre pays »

Un contrepoids à Mohamed Merah et à ses clones ?
Et surtout à cette photo de lui, solaire, souriant dans sa voiture, ressortie article après article. On a provoqué une identification entre ce tueur et la jeunesse en difficulté de notre pays. À l’inverse, les photos du papa, des enfants, des policiers tués ont été peu montrées, et bien après. J’aurais voulu voir, bien vivante, sur une pleine page, la photo de la petite fille assassinée. Que le lecteur se demande ce qu’il fallait avoir dans la tête pour flinguer une gamine comme elle.
En voulez-vous à la presse ?
Je ne crois pas à une malignité de la part des journalistes. Mais une énorme maladresse, une envie de chercher le scoop, et toujours, c’est vieux comme le monde, une plus grande fascination pour le tueur que pour sa victime. Même chose pendant le procès récent d’Abdelkader Merah, le frère du tueur. Pendant deux ou trois semaines, on a entendu parler du mode de vie et du mode de pensée de la famille Merah. C’est pathétique. Les récits des victimes, sans doute parce que ce qu’elles racontaient était insoutenable, n’ont eu droit qu’à de petits articles.
L’islam en France ?
L’idéal serait évidemment un islam non inféodé à l’argent des pays étrangers. On n’a pas réussi à le construire. Pendant longtemps, nous avons eu, et c’était plutôt bien, un islam financé par le Maroc dont le roi est, quoi qu’on dise, plutôt modéré. Le jour où vous lui coupez l’accès et laissez Qataris et Saoudiens, vous avez autre chose. Je crois qu’il y a eu un vrai laisser-faire dans ce domaine. On a acheté la paix civile dans les banlieues et dans les prisons. Apporter une réponse n’est pas mon métier, mais le politique aurait dû réagir depuis longtemps.
Droite, gauche, centre, les frontières ne se brouillent-elles pas ?
En tout cas, hier, les choses étaient plus claires, plus simples. Il était facile d’être idéologiquement contre un Front national et ses gros drapeaux limite pétainistes. Hier, les sexistes qui veulent la femme à la maison, qui s’en prennent aux juifs, qui définissent les gens par leur religion, se revendiquaient d’extrême droite. Aujourd’hui, des gens s’affirmant d’extrême gauche disent à peu près la même chose. Je n’ai pas de réponse. Je considère simplement que les bouquins servent à créer des zones de discussions apaisées.
Et ça marche ?
En tout cas, bonne nouvelle : les librairies indépendantes, de BD ou autres, se portent bien. Depuis les attentats, on y achète des bouquins de plus en plus pointus. Les gens s’intéressent à l’Histoire, à la théologie, à la sociologie. Je pense que nous sommes un des pays au monde où on lit le plus. Que la population française est avide de sens, de récits.

« Des gens dits d’extrême gauche racontent à peu près la même chose que l’extrême droite  »

De réponses ?
Peut-être pas, on sait bien que les auteurs ne sont pas plus malins que leurs lecteurs. Mais en tout cas d’espaces de discussion. Qui aurait dit, avant que Marjane Satrapi montre la voie avec Persepolis, que Davodeau commence ses reportages, que la BD s’ouvrirait tant à notre société, à ses problèmes ? Ce combat a été gagné et je trouve cela extraordinaire.
À part l’abandon du sacro-saint trois strips de deux cases, quoi de neuf dans le dessin du Chat ?
Lors des précédents albums, je me sentais très esclave de ma documentation. Ça ne se voit pas au premier regard tant mon dessin est tout tordu, mais lorsque je ne trouvais pas de doc sur un objet précis, je ne le dessinais pas. Fini. Ça me saoulait. Désormais, je m’autorise à placer mon monde du Chat dans un décor qui pourrait être aussi imaginaire que celui de Donjon.
Vos vampires vont-ils finir par déferler sur Nice ?
Ça fait cinq ans que je bosse dessus. Les producteurs ont annoncé officiellement cette mini série télé. Mais bon, tant que je ne vois pas une caméra à l’horizon… Il s’agit d’une série d’horreur de huit heures, pour adultes, avec plein de monstres. J’espère montrer qu’avec une très bonne équipe on peut faire du surnaturel et des monstres très impressionnants pour le budget d’une série télé française tournée en langue anglaise.
Du vrai gore ?
Promis, de l’horreur pure. Pas celle, élégante, à la française où on ne voit pas les monstres. L’action se déroulera après mon roman L’Éternel.
Côté bouquins ?
Avant que cette série n’arrive, je tiens absolument à publier deux livres. Le huitième Chat du Rabbin et la suite de L’Éternel qui se passera après la série télé.
L’adaptation du Chat du Rabbin ?
On a Omar Sy pour faire le Chat, Christian Clavier pour le rabbin, un producteur, un scénario fini et accepté. Manque plus que le pognon.
Un carnet ?
Il sortira au printemps, et sera malgré moi très politique, puisqu’il commence avec les attentats du 13 novembre et se termine par l’élection de Macron.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI & Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate n°109 – décembre 2017.

Le Chat du Rabbin #7,
La Tour de Bab-El-Oued,
Joann Sfar,
Dargaud,
80 pages,
14,99 €,
dispo.

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