Sept pages d’interviews dans le nouveau Casemate, c’était un peu juste pour Christophe Gans et Thierry Flamand, son chef déco sur le tournage de La Belle et la Bête (en salle le 12 février). Voici les suites, à lire en ligne ou à télécharger en pdf.

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Le projet Del Toro ? Même pas peur

gansbelleALe Mexicain Guillermo Del Toro prépare un Belle et la Bête made in USA. Ce projet ne vous a-t-il pas donné des sueurs froides ?
Christophe Gans : Non. Notre avantage était la légèreté. Ils font des films à 150 millions qui ne peuvent plus, sauf exception, être rentables par le seul marché américain. Il leur faut toucher les autres continents, notamment les pays émergents. D’où des machines très lourdes qui demandent un temps infini à mettre en route. Je savais que Guillermo Del Toro devait réaliser Pacific Rim avant de s’attaquer à La Belle et la Bête. J’ai imaginé la date de sortie du premier et me suis trompé de… deux mois. Pacific Rim ayant débarqué en France l’été dernier. Notre Belle et la Bête sort à la mi-février à peu près en même temps dans tous les pays d’Europe, d’Europe de l’Est, dans le Sud-est asiatique, la Chine, la Russie, il sera difficile au film américain de passer derrière.
BelleBAvez-vous déjà vendu votre film aux États-Unis ?
Non. Les acheteurs, en Europe de l’Est ou en Asie, se fichent qu’un film soit en français ou en serbo-croate. Ils doublent ou ils sous-titrent. Si vous proposez un film annoncé en français aux Américains, ils vous en offrent trois francs six sous. Donc, pour l’instant, on n’est pas vendeur. Nous attendrons la version anglaise. Derrière le succès ou l’échec de La Belle et la Bête, il y a un enjeu industriel, l’espoir de pouvoir refaire, ou pas, de grands films français visant notre marché cœur, le marché français avec nos acteurs, notre langage.
Pourquoi ne pas sortir une BD tirée de votre conte ?
Ce serait beaucoup de travail, un gros taf. J’en ai évoqué l’idée avec Thierry Ségur. Avec le nombre incroyable de dessins qu’il a réalisés pour La Belle et la Bête, il dispose de tout le matériel nécessaire.
Un message politique dans La Belle et la Bête ?
Le sujet ne s’y prête pas beaucoup. Mais j’ai retenu, du texte initial, un angle que Cocteau n’avait pas traité : la déchéance du marchand armateur, sa dégringolade au bas de l’échelle, les huissiers vidant sa maison de ses meubles, ses créanciers pillant les cales de son navire miraculeusement retrouvé. La force des contes de fées est d’être intemporels, de pouvoir changer d’éclairage selon les époques. J’ai mis l’accent sur la famille monoparentale à travers ce marchand qui a bien du mal à tenir ses trois filles et ses trois garçons. Angle très contemporain qui n’excitait pas le Cocteau de 1946. Les deux sœurs de Belle, très superficielles, passeraient leur temps aujourd’hui à regarder Secret Story.

Erratum
Dans l’interview de Christophe Gans, dans Casemate 67, il fallait lire :
Le producteur Richard Grandpierre savait que ça pédalait dans la semoule pour Fantômas. Sa société est basée à 30 mètres [et non 30 minutes] de chez moi, au Quartier latin.

bellebeteLa Belle et la Bête,
de Christophe Gans,
avec Vincent Cassel, Léa Seydoux…
Pathé Distribution, 1h50min,
au cinéma le 12 février.

 

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Nemo coulé par une endive

Pourquoi Nemo ne s’est-il pas fait ?
Christophe Gans : Je ne voyais qu’un acteur capable de l’incarner, Russell Crowe, alors vu dans deux films, un sur les skinheads et un western. On m’a répondu que ce type ne ferait jamais carrière et proposé Keanu Reeves. Une endive interprétant le héros de Jules Verne ! Ridicule. J’ai ri et suis parti. Le film se serait évidemment planté et j’aurais traîné longtemps cette casserole. Et ces casseroles-là font un bruit d’enfer. Le Pacte des loups est sorti quelques mois après Gladiator. Du jour au lendemain, tout le monde a réclamé Russell Crowe. Mais rien n’est définitif. Régulièrement, un de mes anciens projets remontre son doigt. S’ils se tournent un jour, tant mieux. Sinon tant pis, ces films je les ai story-boardés et savourés. Le problème c’est que j’étais seul dans la salle !

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Si tous les films étaient signés Cameron, Scott et Fincher…

Où James Cameron figure-t-il dans votre panthéon personnel ?
Christophe Gans : Tout en haut, à la première place. Je vais en agacer certains, mais j’ai chaque jour la preuve de son génie. Les autres ont beau emprunter les mêmes chemins, avec les mêmes moyens, ils ne sont jamais au niveau.
Malgré sa mégalomanie, Cameron est d’une très grande humilité dans son rapport au récit, au cinéma. Une immense candeur qui finalement emporte le morceau. Je le dis souvent d’une manière un peu provocante, si tous les films étaient réalisés par James Cameron, Ridley Scott et David Fincher, nous vivrions dans un monde formidable !
Votre admiration remonte à ses débuts ?
Non, à l’époque de Starfix, je défendais plutôt la voie suivie par John McTiernan que je voyais comme un intellectuel, supérieur à Cameron. Celui-ci m’apparaissait comme un grand artisan du cinéma avec un côté presque bricoleur, un fascinant mec en salopette qui fabriquait des trucs superbes, mais qui me passionnaient moins que Predator, Pièges de cristal ou Octobre Rouge. Il se trouve que McTiernan* a perdu et que Cameron a gagné.
Pourquoi ?
Quand j’analyse les films de Cameron, bout par bout, je n’y trouve rien d’extraordinaire. C’est la somme de tout qui est géniale. Quand j’analyse les films de McTiernan, la photo est géniale, le script est génial, la mise en scène est géniale. Et pourtant, cela donne parfois des films un peu brinquebalants. C’est une très grande leçon de cinéma.
bb_33_f65_v04__hdQuelle leçon ?
Il me semble que Cameron joue toujours la même martingale. Une histoire que tout le monde connaît, avec au milieu une histoire d’amour et en plus un défi technologique. Prenez Titanic et Avatar. Deux films très différents, voire antithétiques. Le premier referme le XXe siècle, le second ouvre le XXIe. Titanic critique la société postindustrielle et clôt une époque qui a vu naître des hommes comme Griffith – dont Chaplin disait qu’il était « le maître de nous tous » –, David Lynch, Sergio Leone. Avec, comme baisser de rideau, un grand spectacle, le naufrage à couper le souffle d’un paquebot représentant le sommet de la technologie.
Avatar ouvre sur le XXIe avec un handicapé jeté dans un corps qui n’est pas le sien. Symbole des temps à venir où les voyages ne nous emporteront plus vers des contrées lointaines, mais à l’intérieur de nous-mêmes. Les deux films partagent la même martingale, la même recette. Peut-être est-ce la recette magique.
Que vous appliquez dans La Belle et la Bête ?
Strictement. Mais avec mes moyens financiers et intellectuels. J’aime chez Cameron qu’il ait un pied dans le passé et un pied dans le futur, tout en enjambant soigneusement le présent. Il n’essaye jamais d’être dans le moment. Son langage cinématographique et le genre d’histoire qu’il aime raconter rappellent beaucoup le cinéma américain des années cinquante. On sent que c’est le cinéma qu’il a adoré môme, son côté westernien.
Le cinéma populaire…
Clairement. Il est le Cecil B. DeMille d’aujourd’hui. Titanic est un film biblique, la tour de Babel s’effondre sous nos yeux. Il mêle cela à sa passion des défis technologiques, ce qu’on appelle la dernière frontière. Du coup, on a le beurre, l’argent du beurre, le cul de la crémière et même celui de sa cousine. Une histoire bien racontée, des personnages bien campés, une connaissance quasi viscérale de ce qu’il est en train de nous raconter et en même temps un éblouissement causé par la vision qu’il propose. Cameron est un cinéaste vital.
bb_33_f65_v04__hdbComment avez-vous réagi à Avatar ?
Un coup en pleine figure qui m’a transporté littéralement ailleurs. En sortant, je repensais à mes lectures de môme. J’adorais les romans de science-fiction du Français Stefan Wul. Notamment L’Orphelin de Perdide, Oms en série qui a donné le film d’animation La Planète sauvage. L’univers décrit par Cameron me rappelait formidablement celui de Stefan Wul. Après Silent Hill, j’ai été contacté par les Américains qui ont les droits de La Planète sauvage et réfléchissaient à une adaptation live. Il y a chez Wul un rapport viscéral à la colonisation. Piège sur Zarkass est un grand roman que je rêve d’animer. Un Avatar cauchemardesque. Un Terrien s’y retrouve enfermé dans la peau d’un roi local ancien qui va finir par le phagocyter. L’Orphelin de Perdide décrit une biosphère épouvantable ultradangereuse. En découvrant Avatar, je sentais le spectre de Stefan Wul penché au-dessus de mon épaule.
Quel message voyez-vous dans les films de Cameron ?
Son œuvre est politique et, je pèse mes mots, marxiste. En tout cas violemment anti-impérialiste. C’est un Canadien, pas un Américain. Avatar a offusqué les républicains. En sortant du film, je me suis demandé combien de jours allaient passer sans qu’un connard à la télé ne le dénonce comme anti-américain. Ça n’a pas loupé !
Et encore, il prend soin de montrer une armée de mercenaires, pas des GI !
Il montre ce qu’il se passe en Irak ! Lorsque l’officier tient un discours à ses hommes, on n’est plus dans un film de science-fiction, on est en Irak. Les mecs, des latinos, font cette guerre pour obtenir la carte verte et devenir des Américains. C’est cela les guerres d’aujourd’hui. Cameron dit ce qu’il pense. Ça me plaît.

* John McTiernan purge, depuis le 3 avril dernier dans une prison du Dakota, une condamnation d’un an ferme pour une affaire d’écoutes illégales.

L’esprit Starfix toujours vivant

starfixY a-t-il encore une part du journaliste de Starfix* dans le réalisateur de La Belle et la Bête ?
Christophe Gans : Bien sûr, mes films sont starfixiens. Et les débats qui animaient notre magazine toujours présents. Par exemple, le fameux débat très français sur la belle image qui n’aurait pas de fond alors qu’une image moins belle, elle, en aurait forcément. Le rapport à la publicité, au clip, à la bande dessinée… N’oubliez pas que Starfix a été créé en partie par des gens venant de la BD, Métal Hurlant, Les Humanoïdes Associés.
Auriez-vous un certain élitisme dans le collimateur ?
Cinéphile, j’apprécie tous les genres. J’aimerais qu’on abolisse toute hiérarchie dans le cinéma. Des films les plus populaires aux plus grandioses, tous peuvent être regardés avec tendresse et admiration. Des spectateurs sont fanatiques d’œuvres mineures, d’autres méprisent des œuvres majeures. Les films, quels qu’ils soient, ont cette étrange particularité de n’exister que dans l’œil de leurs admirateurs.
Et l’œil de la presse ? Les magazines de cinéma ne sont-ils pas devenus bien aseptisés ?
La presse, pour survivre, avait besoin de publicité. Le cinéma pouvait lui en fournir. Résultat, une lente corruption de la presse cinéma. Heureusement, il existe toujours des revues à petit tirage pour maintenir la flamme. Et les débats animés ont émigré vers le Net.
StarfixCes liaisons dangereuses entre cinéma et presse ne viennent-elles pas des États-Unis ?
En France, il est de bon ton d’accuser les Américains de tous les maux, alors que nous pratiquons les mêmes péchés. Leur cinéma serait vendu à de grands groupes. Et chez nous ? Il existe aux États-Unis un cinéma indépendant comme il existe en France un cinéma d’auteur important. Et si les films américains ont quelques problèmes, tout le monde sait que le cinéma français de grande consommation est finissant. Dans mon taxi, j’entendais ce matin un débat rappelant qu’un film sur dix en France est rentable. Et pourtant, ces échecs n’ont aucun impact sur le rythme de sortie des films.
Évidemment, il y a les rediffusions télévisées, les DVD et Blu-ray, les subventions…
Non. La plus enracinée des idées préconçues est bien le financement du cinéma français par des fonds publics. Ce n’est pas vrai, mais les gens aiment le croire.
Alors qui finance le cinéma français ?
En partie le cinéma américain. Un pourcentage du prix des tickets perçu lors du passage des films venus des États-Unis est reversé à des films français difficiles à faire. Les entrées des grands succès de l’année alimentent la machine. Problème, en 2013, sur les vingt meilleures sorties, on ne compte que deux films français…
La culture est-elle un luxe ?
Non, même si elle n’est pas toujours rentable, elle rapporte à la France beaucoup plus que ce qu’on y investit. Des dizaines de millions de touristes viennent dépenser chez nous, fascinés par nos musées et autres manifestations culturelles. C’est une de nos dernières sources de devises étrangères. Ne la massacrons pas.

* Starfix, mensuel hors-norme, donna, de 1983 à 1990, la part belle au cinéma de SF et d’horreur. Ses créateurs furent Christophe Gans, 23 ans et Doug Headline, 21 ans.

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Comme un tsunami végétal…

flamandUn décorateur de jeu vidéo est-il pris au sérieux par le monde du cinéma ?
Thierry Flamand : Bien sûr, je me suis beaucoup diversifié ces dernières années, j’œuvre pour le cinéma, la publicité, le théâtre, le jeu vidéo. C’est très enrichissant. J’ai travaillé sur deux jeux, Heavy Rain et Beyond : Two Souls. Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’en faire d’autres, car dans le rendu réaliste du jeu, on est limité par la capacité du moteur graphique. Il y a toujours quelques polygones qui ne sont pas résolus. Mais, en revanche, c’est aussi un lieu de liberté complète. On peut rêver sans être confronté, comme un chef décorateur au cinéma, au problème du budget. Le seul budget est le poids en polygones. On peut dessiner tout l’univers des personnages, des quartiers entiers sans restrictions budgétaires !
beauty's room FaunsUn de vos collègues dit qu’on ne vous voit plus beaucoup dans le cinéma français parce qu’il n’a pas de gros budgets à vous offrir…
Je travaille, par fidélité et complicité avec Nicole Garcia sur des films à budget raisonnable, sinon, on m’appelle peu. J’ai la réputation d’aimer les films importants à budget conséquent. C’est pourquoi j’ai été ravi quand on m’a proposé La Belle et la Bête, un moyen gros film (budget 35 millions d’euros). Ce n’est pas tous les jours que naissent de tels projets en France. Mais s’il a une atmosphère à défendre, je suis partant pour des petits budgets.
Pas trop dépaysé ?
Avec Heavy Rain, produit par Sony et Quantic Dream, David Cage voulait faire davantage du cinéma que du jeu vidéo, sa narration est très cinématographique. Ils m’ont appelé pour amener un univers de cinéma dans leur jeu.
Entrance Hall First DrawingRêvez-vous de travailler sur un film américain au budget pharaonique ?
Ils ont de grands décorateurs et ne nous attendent pas. C’est l’occasion qui fait le larron. J’ai un projet avec Tamahori, un film en langue anglaise, un moyen peut-être de rentrer dans ce cinéma-là. Mais j’apprécie le côté artistique de la production française, avec une complicité, une flexibilité beaucoup plus grande. À Berlin, où nous tournions, nous avons dû imposer notre façon de travailler à des studios qui fonctionnent à l’américaine. Il s’y tournait alors un film doté d’un budget de 100 millions, autre chose que notre « petit » film français à 35. En tant qu’art director, j’étais bien sûr sur chaque décor, et parlais directement aux peintres, aux sculpteurs, chose impossible dans la structure américaine, beaucoup plus pyramidale, moins conviviale que la nôtre.
Sur quel autre film allez-vous travailler ?
Emperor, Charles Quint, la première moitié du XVIe siècle. Encore un film européen réalisé par le Néo-Zélandais Lee Tamahori. Un budget américain restera encore un mystère pour moi ! En tout cas pour l’instant.

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Donc un château de la Renaissance comme pour La Belle et la Bête ?
Nous voulions surtout un style magique, ni renaissance classique ni gothique. On voit le château avant qu’un sort soit jeté sur le prince. Le hall d’entrée, l’escalier monumental, la salle de bal, quelques couloirs et salons. Puis on découvrira les lieux vieillis de trois siècles.
C’est facile à vieillir, un château ?
On a par exemple construit un escalier flambant neuf, on a tourné, puis on l’a fait envahi par la végétation. Ces constructions physiques, qu’on appelle bios, sont ensuite enrichies à l’ordinateur. Tout est prévu, car il nous fallait aller très vite, le tournage ne durant que dix semaines. Par exemple, nous avons tourné toutes les scènes de la salle à manger, notre premier décor, en huit jours. Puis on l’a cassé pour construire le cottage à sa place. On a livré des décors d’opéra à un rythme infernal !
beauty's room PlansTout n’est donc pas né de la baguette magique informatique ?
Non, nous voulions des décors réalistes, puissants. Nous avons monté une dizaine de lieux bios, la salle à manger, la chambre de Belle, le grand escalier, la tanière de la Bête, la taverne, le cottage…
On est loin de Cocteau.
Lui avait choisi une ambiance hiératique, très grecque. Nous voulions nous intéresser beaucoup plus à l’histoire du prince, qu’une fois frappé par le sortilège, il s’intègre dans le décor, sorte de prémonition de ce qui va lui arriver. De même pour la végétation. Nous avons voulu une architecture extrêmement décorée, enluminée, avec énormément de volutes, prémonition de cette végétation qui va envahir le château au cours des siècles.

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Pour créer une sensation d’étouffement ?
Non, car les volumes du château sont gigantesques. Il fallait trouver un style, ni gothique flamboyant ni dépouillement à la Visiteurs du soir. J’ai cherché et découvert le style manuélin né au Portugal. Un style très lié à la marine – les Portugais sont de grands marins –, avec énormément de liens, de cordages, de symboles maritimes. Je m’en suis inspiré, ainsi que du monastère des Hiéronymites, à Lisbonne, une énorme construction, magnifiquement décorée, d’une puissance extrême avec des colonnes montantes de 30 mètres qui reprennent l’énergie gothique, mais avec un style beaucoup plus ornementé, plus riche.
Vous aimez conjuguer bestialité et monde floral ?
Exact, je mets dans beaucoup de mes dessins cette dualité, cette complicité entre côté très masculin et très féminin. À côté du château, très viril, on trouve la chambre de Belle, très féminine. En regardant le plan de cette chambre, je me suis aperçu qu’elle était construite comme un utérus et ses ovaires. Vaste débat ! On m’a fait remarquer que, dans mes travaux pour le projet avorté du film tiré de La Marque jaune (Casemate 2), beaucoup de sexes masculins et féminins apparaissaient dans les décors.

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La végétation, dans le film, est violente !
C’est vrai, il y a un envahissement végétal qui explose les murs, les fenêtres, un rosier géant envahit tout le château. C’est quasiment un tsunami végétal. J’avais même imaginé la salle de bal, la salle à manger envahies par une sorte de vague verte qui rentre et se fige. Avec un côté vénéneux.
Mais tout cela est couvert de roses. On en a fait venir des milliers d’artificielles, de Chine et d’ailleurs. Dans la lumière, elles brillent d’une espèce de lumière rouge et, dans la pénombre, se fanent et deviennent blanches ou beiges. D’où une grande mélancolie, sentiment très féminin. Et un grand contraste entre le château et la chambre de Belle. Ailleurs des plafonds très hauts, chez Belle une grande voûte très basse.
Les meubles sont-ils réels ?
Quand on n’en trouvait pas à notre convenance, je les dessinais le week-end et on les fabriquait la semaine suivante. Ainsi les consoles du xvie de trois mètres de long du hall. Quant au lit de Belle, Christophe le voulait énorme, 2,4 mètres sur 3,5…

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Des regrets ?
Non, je trouve simplement plus ingrate la période où les décors sont trop neufs. Notamment le hall du château, version 1600. Heureusement, ils ont rajouté de la lumière et du contre-jour. Un enchantement et 300 ans plus tard ce décor un peu plat devient dingue. Même contraste entre la version du cottage tout repeint, tout nickel de la première partie et le vieux cottage quand y entre la famille de Belle, toute désargentée.
Un chef déco, ça préfère la patine au rutilant ?
Non, mais mon chef peintre patine les choses d’une manière merveilleuse, très réaliste sans tomber dans l’ultra patine. Ainsi la pièce où vit la Bête, en haut de la tour : l’équipe qui en a fait les textures a imaginé des pierres parfaites.
Quel était le budget de la déco ?
Cinq millions d’euros. Contre dix-douze pour le numérique. Si les extérieurs du château sont tous numériques, nous avons tourné à Berlin pratiquement tous les intérieurs bios. À quelques exceptions près, telle la salle de bal avec deux colonnes qui sont devenues trente-six par la magie du numérique. À l’inverse, les comédiens jouaient en extérieur sur de la moquette verte que le numérique remplaçait ensuite par de grandes herbes. Leurs seuls repères étaient leurs dessins faits d’après les plans. Des moments très étranges !

* Le chef décorateur conçoit les décors d’un film et en gère le budget, qui peut être colossal. Son équipe réalise les plans des décors qu’il a dessinés et ceux-ci sont ensuite construits par un chef constructeur, un chef sculpteur, etc. Sur certains films très spectaculaires, les équipes de décoration peuvent représenter jusqu’à la moitié du personnel !

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Les images sont © 2014 ESKWAD – PATHÉ PRODUCTION – TF1 FILMS PRODUCTION ACHTE / NEUNTE / ZWÖLFTE / ACHTZEHNTE BABELSBERG FILM GMBH – 120 FILMS