Souple le bonhomme ! Et pas près d’être écartelé… Sortie quasi simultanée à la rentrée du sixième opus de Silex and the City, de la saison 4 en dessin animé pour Arte, d’un tome 2 de La Planète des sages… tout en continuant 50 nuances de Grecs pour Philosophie Magazine et en commençant l’écriture d’un long-métrage. Suite de l’interview de Jul publiée dans Casemate 84.

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Vous avez parfois la dent dure. Pas de retour de flamme ?
Jul : Il y a toujours une ingénuité dans la cruauté qui fait que ça passe. Et je disperse de façon assez partagée. C’est l’avantage d’une histoire au long cours en album par rapport au dessin de presse. Et encore davantage d’une saga comme Silex, qui permet de dépeindre une époque et l’histoire d’une famille sous tous leurs aspects. D’un thème à l’autre, je traite à charge. Ainsi, on ne peut pas me reprocher de maltraiter tel groupe, telle communauté, ou telle religion plus mal qu’une autre. Tout le monde en prend pour son grade !
Donc, chez Jul, tout le monde peut rire de tout le monde ?
J’espère qu’à travers Silex on peut rire de soi-même et balayer devant sa porte. Le point de départ des histoires de Silex est un monde que je connaissais bien : le milieu des profs, cette classe moyenne un petit peu intello-prétentieuse et, en même temps, pleine de contradictions, politisée mais prête à différents arrangements avec le réel. C’est vraiment le monde qui nous entoure sur lequel j’avais envie de taper. Ensuite, j’ai regardé ce qui m’entourait, pris les thèmes un par un et me suis mis au boulot.
Faire rire est-il un outil ou un véritable besoin ?
Parler du monde qui nous entoure en utilisant la dérision, le rire est curatif pour moi. Une protection et une façon de vivre indispensable. Sans cette distance, je serais terrorisé par le monde qui m’entoure, perpétuellement malade. Avant même le lecteur, les éditeurs ou qui que ce soit, j’écris, je dessine pour moi, pour m’aider à vivre dans cet univers violent, terrifiant, injuste, absurde. C’est ma façon de respirer. Une des raisons de la fidélité des lecteurs de Silex est son côté vengeur et le côté vivant de ce type d’approche. À défaut de changer le monde, cela permet de vivre un petit peu plus libre et un peu moins courbé. Si je n’avais pas le dessin, encore plus après les horreurs de janvier, je serais totalement recroquevillé au fond de mon lit.
Une attitude commune à d’autres dessinateurs ?
Regardez le travail de Riad Sattouf, de Luz, de Joann Sfar. Le côté cathartique de leur dessin est évident. Comme celui de Mathieu Sapin, qui dédie son album Le Château aux gens de Charlie, etc. Chacun, selon son approche, avec son humour, son univers personnel réussit à vivre et à continuer à avancer grâce à cela.

Écrire m’aide à vivre dans cet univers violent, injuste, absurde. C’est ma façon de respirer

La folie des réseaux sociaux ne vous coupe-t-elle pas trop l’herbe sous le pied ?
Je suis content de ne plus être dans la rapidité du dessin de presse et du trait d’esprit immédiat. C’est effectivement très difficile de faire une blague originale quand il y a déjà eu 200 tweets en direct sur la question ! Le travail de dessinateur en devient encore plus exigeant. Il faut désormais être meilleur que tous ces tweets. Une injonction permanente au dépassement. Mais c’est usant. Je suis content de ne plus avoir à me coltiner la concurrence de ces médias.
En général, un épisode de Silex sort sur Arte un an après que je l’ai écrit. Le travail de dessinateur de presse m’a un peu dressé à l’anticipation. Je sais qu’il va y avoir tel ou tel évènement prévisible. Mais c’est parfois délirant. Arte programme parfois certains épisodes à brûle-pourpoint, cassant leur grille pour caser tel épisode correspondant mieux à l’air du temps. Épisode existant parfois depuis un an et demi. Tout le monde pense alors « incroyable cette réactivité » ! Et voilà comment on devient une série pro-phé-tique !
Tout le monde passe par la case Silex ?
Je voudrais parler de tous les sujets, tous les thèmes, sans discrimination. Inviter des gens très différents comme Bernard Pivot, le gynécologue René Frydman, ou encore la chanteuse Julie Zenatti montre que tout le monde a sa place. L’esprit d’autodérision de Silex fonctionne dans les deux sens : en général, les gens qui viennent prêter leur voix savent se distancier et rire d’eux-mêmes.
Votre histoire d’amour avec Arte est-elle programmée pour longtemps ?
Ils sont très contents aussi bien en termes d’audience que de retombées médiatiques. Silex correspond bien au rajeunissement de l’image que Véronique Cayla, la présidente d’Arte, voulait impulser. J’adore. Je gagnerais beaucoup plus d’argent sur une plus grosse chaîne. On fait tout à l’économie, mais en revanche avec une liberté incroyable. La plupart du temps, les responsables d’Arte découvrent mes dessins animés lors de leur diffusion. Je peux aller très très loin, faire des trucs vraiment incroyables à une heure de grande écoute. Cool !

Silex correspond au rajeunissement de la chaîne Arte que sa présidente voulait impulser

Depuis 2009, vous vous êtes construit une belle notoriété. Avec tous vos diplômes, la voyiez-vous vraiment ainsi votre vie ?
Je ne me suis jamais posé la question. J’ai quitté le monde académique de la recherche universitaire, de la philologie, qui me passionnait. Il fallait faire un choix de vie. Je me suis dit que, en dessinant, j’aurais une vie sympa en faisant ce qui me plaisait quand ça me plairait. Mais je n’imaginais pas publier chaque fois un succès de librairie. C’est toujours la divine surprise !
Le succès a-t-il changé beaucoup de choses pour vous ?
Pas fondamentalement. Depuis mon premier titre, Il faut tuer José Bové, je suis probablement devenu un peu moins stressé. Je peux proposer des séries à de nombreuses chaînes télé, et des projets divers à plein d’éditeurs. Mais, au fond, ça ne change pas grand-chose. Je fais le même travail et me marre toujours de la même façon. Je ne me dis pas : « Il faut absolument que cela fonctionne, donc tirer telle ou telle ficelle… » Quand j’ai fait des albums sur la philo, je ne pensais pas que ça cartonnerait.
J’ai un album sur la mythologie en cours de prépublication dans Philosophie Magazine, qui sortira dans deux ans. 50 nuances de Grecs est une espèce de panthéon des grands mythes grecs à la façon de La Planète des sages. J’aime mélanger vie quotidienne, cultures populaire et classique.
Que lisez-vous en ce moment ?
Le Fleuve guillotine d’Antoine de Meaux chez Phébus. Un super bouquin très à contre-courant, 500 pages de roman historique sur le Lyon contre-révolutionnaire de la fin du 18e, racontant comment les sans-culottes ont rasé la ville. Du sérieux qui fait écho à mon traitement de la Révolution française version préhistorique dans le dernier Silex où la plancha (la guillotine) décapite les céphalopodes aristocrates à tour de bras.
Votre dernier fou rire ?
Ne fut pas très charitable : observer mon voisin à la campagne essayant de parler anglais à notre nouveau voisin britannique. Un grand moment ! Mon sujet préféré, ce qui m’intéresse le plus, ce sont les autres. J’adore les gens. J’ai une frénésie de discussion avec ceux de tous horizons. Les trucs les plus intéressants et les plus drôles que je traite viennent de là.

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément gratuit de Casemate 84 – août-septembre 2015.

SilexSilex and the City #6,
Merci pour ce Mammouth !,
Jul,
Dargaud,
13,99 €,
4 septembre.