Marre du Covid-19 ? Envie de replonger dans un monde de fêtes ? Alors lisez la conclusion d’Une nuit à Rome de Jim. Celui-ci raconte dans Casemate 135, en un dossier de 6 pages, cette histoire d’amour à travers les âges de la vie. Et dévoile, pour Casemate.fr, quelques clés de la romance mouvementée et épisodique de Marie et Raphaël.

Écrivez-vous en solitaire ou échangez-vous avec d’autres ?
Jim : Je travaille seul dans mon coin, mais en discute avec ma femme et quelques lecteurs que je connais. À travers mon blog, cette petite communauté, je fais parfois appel à des gens que je n’ai jamais rencontrés. Les cinq premiers qui répondent à mon message reçoivent le scénario que je suis en train d’écrire. Je leur demande ce qui les dérange, les défauts de mon histoire à ce stade. Ceux qui me répondent qu’ils la trouvent formidable, c’est très agréable, mais ça ne me sert pas à avancer ! Par contre, ceux qui repèrent des défauts m’aident beaucoup. Cette démarche est l’équivalent des projections-test au cinéma, finalement. Lorsque la première version de ma BD est bouclée, je prends deux ou trois mois pour la rebosser case par case, changeant telle ou telle chose, bougeant tel dialogue. L’opinion des lecteurs me permet de mieux discerner ce qui ne fonctionne pas bien. Et après, le but, c’est d’en faire qu’à ma tête. Mais l’album sorti, les lecteurs trouvent toujours des défauts facilement arrangeables, et… c’est trop tard.
Un exemple ?
Cet album s’ouvre sur une scène de sexe mettant en scène un homme, Alexandre, que connaît Marie. Au départ, le type était bien plus virulent envers sa partenaire qu’il abandonnait brutalement en pleine action. Dans mon esprit, je montrais un individu misogyne. En y réfléchissant, j’ai craint que, en pleine période #MeToo, certains y perçoivent une misogynie de l’auteur. J’ai donc supprimé – avec regret, car la scène en devient un peu moins forte – quelques vacheries qu’il balançait à la jeune femme (« Finis toute seule ! ») avant de disparaître.
Ces retouches sont souvent des réglages entre les personnages, dans leurs réactions, pour qu’elles sonnent le plus juste possible, sans tomber dans le trop lyrique.

“J’ai donc supprimé, à regret, quelques vacheries balancées à une jeune femme”

Pourquoi Marie se jette-t-elle régulièrement à l’eau, dans la vie comme dans ses rêves ?
Un scénariste, avec qui je travaillais sur un projet de film, me faisait remarquer que je fichais tout le temps mes personnages à l’eau. Dès qu’ils s’approchaient d’une piscine, ils se poussaient dedans. J’avoue adorer dessiner des gens trempés. Mais la vraie raison n’est pas là. Cette obsession de l’eau en rejoint une autre. Dans un de mes scénarios traitant du désir, de la difficulté d’avoir une mère disons inconfortable, certains personnages parlent beaucoup dans des tunnels. Je me suis rendu compte, après-coup, que cet environnement, cet isolement, symbolisait la place d’un bébé dans le ventre arrondi d’une mère. Que je tenais à ces images-là, qu’elles avaient du sens. Je ne suis pas quelqu’un de très cérébral, je réalise beaucoup de choses au feeling. Il faut que je sente les choses. J’essaie d’écouter l’instant. Et ne décortique mon travail qu’après.
Un copain de Raphaël, le seul gay de l’histoire, ne fait vraiment que passer. Comme s’il gênait ?
Pas du tout ! Cette scène est juste un clin d’œil à Hubert, un personnage gay inspiré d’un ami d’enfance, un des protagonistes de Petites Éclipses, roman graphique que Fane et moi avons publié en 2007. Je n’ai pas souhaité utiliser davantage ce personnage parce que l’homosexualité n’est pas le sujet de mon histoire. Et aussi parce que j’aurais trouvé gênant de faire vivre seul un personnage que nous avions développé sur un projet commun, avec Fane.
Où en est votre projet de comédie, qui s’appellera Emma, comme votre fille ?
C’est mon arlésienne à moi ! Un projet que j’ai beaucoup rebossé depuis si longtemps que, dans la première mouture, les téléphones portables n’existaient pas encore. Parti comme c’est parti, je me dis qu’un jour je devrai insérer quelques voitures volantes… En fait, ce projet fait partie des choses sur lesquelles je bosse de temps en temps, mais qui ne sont pas encore tout à fait bien calées.

“On me fait remarquer que, dès que les acteurs s’approchent d’une piscine, ils se fichent à l’eau”

Unité de temps, de lieu, dialogues efficaces, on se croit souvent au théâtre en lisant Une nuit à Rome.
Je viens d’écrire l’adaptation théâtrale de L’Érection. Une version pour quatre comédiens. Le théâtre est un genre tentant, mais dont je ne connais pas les réseaux. Et puis la BD consume tellement de temps ! Difficile de se lancer dans tant de choses différentes. Mais je me dis parfois que j’aimerais trouver un théâtre à Montpellier. J’imagine le bonheur de répéter avec des acteurs, les entendre prononçant mes mots. Ce serait passionnant. Hélas, faire progresser tous mes projets en cours me prend déjà un temps fou.
Par exemple ?
Des histoires sans écriture. Tendre vers des impressions. Plonger dans les milliers de photos de mon téléphone, regarder la vie s’écouler. Plonger dans des albums photo avec ma mère, et l’écouter… Parler de soi et donc du monde. Un projet pour Grand Angle avec Laurent Bonneau, le dessinateur des Brûlures (scénario Zidrou). On part sur 250 pages, librement. Un projet passionnant avec un mode de création vraiment différent.
Sur Allociné, le film tiré de L’Invitation est soit porté aux nues soit descendu en flammes par la presse. Dur, dur ?
Le cinéma est un monde très vachard, très cruel qui nous fait mieux comprendre que les auteurs de bande dessinée sont finalement très protégés à ce niveau-là. Quand quelqu’un n’aime pas notre travail, en général, il se contente de ne pas en parler. Au cinéma, c’est l’inverse. Les gens donnent l’impression qu’ils prennent plaisir à dire du mal.
Où en sont vos projets au cinéma ?
Deux films actuellement en développement, mais je ne fais plus le malin, n’annonce plus rien. Quand j’ai signé mon premier contrat pour un film, j’ai cru que, comme en BD, cela signifiait que la chose allait se faire. Je sais aujourd’hui que le producteur ne sait pas lui-même à ce moment-là si le projet ira jusqu’au bout. Parfois, il capote par manque de fonds. Parfois, à force de modifications, je ne reconnaissais plus mon bébé d’origine. Parfois, même le résultat final ne ressemblait pas à grand-chose et j’arrêtais. J’ai beaucoup appris. Au début, l’écriture pour le cinéma est passionnante et on sent que le récit progresse. Et puis plein de gens s’engouffrent, donnent leur avis et le niveau de l’écriture se rabaisse jusqu’à aboutir à une sorte de lissage qui rend tout un peu plus arrondi, plus mécanique. Donc, pour l’instant, fini les effets d’annonce. Je bosse sur plusieurs films, mais n’en parle pas. Et la complexité de leur parcours me fait énormément apprécier la BD et la liberté qu’elle nous offre.

“Le monde du cinéma nous fait comprendre combien les auteurs de BD sont protégés…”

Le cap des 60 ans, votre prochaine source d’inspiration après celui des 50 ?
Tous les évènements, toutes les époques m’inspirent. Donc, la soixantaine, je n’y échapperai pas. Mais à 54 ans, il me reste encore un peu de temps. Je pense que, peut-être dans vingt ans, en regardant mes albums, on verra défiler tous les âges… et tous les défauts des mecs ! Normal, je parle de moi et de mes proches dans chacun d’eux. Déjà, dans Détox, dessiné par Antonin Gallo – second tome en fin d’année –, on suit un personnage de 60 ans qui m’a été inspiré par un ami.
Si tout vous inspire, allez-vous vous attaquer au Covid-19 ?
On va peut-être porter des masques pendant des années, et il sera alors impossible de ne pas en tenir compte. Le virus va-t-il modifier notre manière de vivre pendant longtemps ? Pour l’instant, je ne ressens pas tellement l’envie d’y consacrer une histoire. Beaucoup d’auteurs vont probablement le faire et je n’ai pas envie d’en rajouter. Mais je reconnais que sortir l’histoire d’une bande de garçons et de filles partant faire la fête à Rome alors que les lecteurs la découvriront en pleine pandémie peut donner une impression de hors-sol un peu surprenante ! Comme le souvenir d’un paradis perdu.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°135 – juin 2020.

Une nuit à Rome #4,
Jim,
Bamboo – Grand Angle,
110 pages,
18,90 €,
10 juin 2020.

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