Alors que le plus grand mystère des Arcanes du “Midi-Minuit” est enfin révélé (Casemate 82), le scénariste Jean-Charles Gaudin pique un coup de sang contre les politiques, les journalistes, et aussi contre le danger à considérer la BD comme un art soit pour vieux, soit pour intellos…
Pourquoi Vigilantes, cet hommage aux superhéros ?
Jean-Charles Gaudin : Les superhéros m’intéressaient moins que de retrouver une ambiance à la Stephen King qui a marqué mon adolescence. Celle de son roman sur l’enfance, Le Corps. Je l’ai adoré, ainsi que le film qu’en a tiré Rob Reiner. Le transfert de l’adolescence à l’adulte, l’adulte qui ne veut pas grandir ou qui ne grandit pas sont des thèmes récurrents dans nos obsessions. D’où l’envie de raconter une histoire fantastique, pas forcément spectaculaire, mais se focalisant plutôt sur les personnages.
Vous-même, vous sentez-vous vraiment adulte en racontant Vigilantes ou Les Arcanes du “Midi-Minuit” ?
Rassurez-vous, je ne me sens pas un éternel ado, mais en même temps je me refuse à devenir un adulte comme certains qui me font vraiment peur. Avec un côté égocentrique : « J’ai raison et tous les autres ont tort. » Ainsi on se demande ce qu’il se passe dans la tête de certains politiques qu’on entend soutenir des thèses aberrantes, écœurantes et même carrément débiles.
En général, ils se font tailler en pièces sur les réseaux sociaux.
Et alors ? Pensez-vous que s’exciter sur Facebook fasse vraiment avancer le schmilblick ? J’y vois plutôt une fausse liberté qui ne s’adresse qu’à des interlocuteurs déjà convaincus. Le Net peut être un contre-pouvoir dans des pays sous dictature, mais pas en France. Que représente-t-il face à des médias, à des hommes politiques qui à longueur de journée nous servent la même soupe ? En les écoutant, en les regardant, en les lisant, je ressens l’impression d’être cantonné dans le rôle du simple spectateur d’une pièce dont je ne serai jamais acteur.
Il existe tout de même une petite chose appelée droit de vote…
Il me semble clair que voter n’est plus suffisant pour faire changer les choses.
Je refuse de devenir un adulte comme certains, des égocentriques qui me font vraiment peur…
Quoi d’autre, la révolution ?
Trouver des moyens pacifiques pour arriver à s’exprimer. C’est difficile, on a l’impression de s’attaquer à des châteaux forts ou à des moulins à vent. Mais j’estime que l’expression artistique est aussi un contre-pouvoir. Des livres peuvent secouer le cocotier. Il faut donc s’investir, écrire, ne pas tout attendre des autres. Face aux thèses du Front national, par exemple, qui me hérissent le poil, que je n’arrive même pas à comprendre, on est obligé de se mettre en colère. Donc chacun, auteurs compris, doit prendre position. Sinon, il ne faudra pas, un jour futur, venir se plaindre.
Que détestez-vous le plus ?
Le systématisme. Être contre sans discussion possible. Sarkozy me semble porter une grande responsabilité en ayant ainsi pourri complètement le débat politique. Du coup, le discours démocratique est passé plus ou moins à la trappe et on saute d’une crise l’autre. Tandis que la colère monte. Il faudrait que le citoyen puisse retrouver la parole. Sinon il arrivera, dans les urnes, ce qu’il arrivera…
Une BD qui vous semble avoir contribué à ouvrir le débat ?
L’Affaire des affaires de Denis Robert et Laurent Astier. J’ai adoré. Mais qui en parle ? Finalement, sur les plateaux, on retrouve les mêmes extrêmes, les mêmes bêtises. C’est affolant. L’évasion fiscale est le problème n° 1 de notre pays. On ferait mieux de s’y attaquer, d’en parler plutôt que de montrer du doigt le chômeur qui reçoit ses allocations. Oui, je trouve les journalistes trop complaisants vis-à-vis des politiques. Allez au clash sur les plateaux ! Dénoncez les contrevérités qu’on vous assène. De quelque bord que vous soyez, devenez plus virulents, à la limite plus engagés ! On a besoin de vous pour faire bouger les choses. Je reconnais qu’on trouve à la télé davantage de magazines d’investigation qui vont au fond des choses. Mais on est encore loin du compte.
Le format traditionnel de la BD, le vôtre, est-il le meilleur pour traiter ce genre de sujets d’actualité ?
Pourquoi pas ? Il n’y a pas que le roman graphique pour faire passer des idées ! Il offre beaucoup plus de place, mais cela est utile si on a réellement beaucoup de choses à dire. J’ai lu dans Casemate que Jean Van Hamme demandait parfois aux scénaristes de XIII Mystery de condenser en cinq planches ce qu’ils avaient développé en dix. Cela me paraît un excellent exercice. L’auteur de séries classiques ne doit pas se laisser gagner par une routine qui peut devenir mortelle. L’auteur de romans graphiques a peut-être intérêt, parfois, à une véritable exigence de rythme.
Journalistes, allez au clash avec les politiques ! Dénoncez les contrevérités qu’on vous assène
BD classique, roman graphique, même public ?
Je n’ai pas l’impression que le second genre attire les jeunes. Le danger est là. De faire passer la BD classique, de genre, pour une BD de vieux, et le roman graphique pour une BD d’intello. Étonnez-vous alors que les jeunes plébiscitent les mangas ou les comics, qui leur paraissent bien plus fun. Attention aussi aux prix remis par certains groupements ou festivals, souvent en décalage avec la réalité du goût du public. La BD, c’est comme le cinéma. Il faut défendre les films et les albums de genre. Et donner parfois l’impression aux jeunes lecteurs qu’on s’adresse aussi à eux.
Envie de vous y attaquer au roman graphique ?
Bien sûr. Un premier projet a avorté lorsque l’éditeur et moi nous sommes aperçus qu’allait sortir en bande dessinée une histoire basée sur la même idée de départ. Nous avons donc arrêté notre projet, même si les développements des deux histoires divergeaient très vite. Mais il y a plein de sujets à exploiter. Tous les genres m’intéressent. L’aventure, la fantasy bien sûr, mais aussi le thriller, l’historique, des sujets plus psychologiques, plus personnels aussi que j’espère raconter un jour. Je me revendique scénariste de BD de genre, que j’espère distrayantes, mais faisant aussi réfléchir sur quelques petites choses.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 82 – juin 2015.
Vigilantes #4/4,
Super-héros,
Riccardo Crosa,
Jean-Charles Gaudin,
Soleil, 14,50 €,
dispo.
Les Arcanes du “Midi-Minuit” #12,
L’Affaire des origines – Jenna Mc Kalan,
Cyril Trichet,
Jean-Charles Gaudin,
Soleil, 14,50 €,
dispo.