Avec son Café de la plage, il fit le bonheur de la gauche cachemire, comme il l’appelle, qui fin des années 70 s’apprêtait à connaître enfin les délices du pouvoir. Puis il chroniqua les années Mitterrand avant de peu à peu délaisser la BD pour se pencher sur la littérature et le cinéma, son amour depuis toujours. Aujourd’hui, il raconte longuement dans Casemate 160 (en vente jusqu’à fin septembre) son expérience de cultivateur dans un domaine agricole très ancien dont sa femme hérita. Du bon grain d’antan qui, ressuscité, donne aujourd’hui un si bon pain. Mais Régis Franc a aussi tâté de la vigne, et du goulot, avec bonheur. Il raconte ici cette autre facette d’une vie aux multiples visages.

En 2004, vous voici vigneron !
Régis Franc : J’avais fini ma rubrique hebdomadaire dans le magazine Elle. Chaque fois que je m’asseyais à la planche à dessin, je souffrais. Marre, marre, ce travail me gavait. Une, deux, trois, on rigole… Mais dix ans, c’était trop. Ma femme travaillait dans le cinéma à Londres. Nous nous y sommes installés avec l’idée de mettre nos deux garçons et notre fille une année dans une école anglaise. Nous sommes restés quinze ans ! J’y ai écrit un roman : London Prisoner, scènes de la vie d’un Français à Londres, sorti chez Fayard en 2012. À cette époque, j’ai trouvé une petite maison qui me plaisait bien dans l’Aude. Le gars qui me la vendait a insisté : « Prenez donc le terrain attenant avec, vous n’aurez qu’à arracher la vieille vigne ! » Mon épouse, qui avait hérité deux ans auparavant du domaine agricole de Soizy-sur-l’École, m’a poussé à y faire du vin. Une rencontre avec des spécialistes a fini de me persuader qu’on pouvait y produire un cru d’exception. L’œnologue qui travaillait avec un voisin était venu nous inspecter. Et son verdict était encourageant : « Si vous ne faites pas les cons, vous aurez une bombe ! » C’est devenu Chante-Cocotte*.
Une découverte, ce monde du vin ?
Les gens sont merveilleux ! Ceux de la BD ? Un délice, mignons comme tout. Les gens du cinéma ? Les frères de la côte, des pirates ! Ceux de la littérature ? Des bâtons dans le cul ! Pour qu’un auteur dise du bien d’un autre auteur, il faut quasiment l’égorger. En revanche, y a pas mieux que les vignerons pour vous mettre en joie. Lorsqu’on boit un coup, le sphincter se détend, et là on peut commencer à bien déconner. Il m’est arrivé de me retrouver à table avec cent mille balles de flacons. À chaque gorgée, on se demande : « Mais comment a-t-on pu faire ça ? Et qui ? C’est le doigt de Dieu qui s’est posé dans ce verre. » Époustouflant.

“En buvant un coup, le sphincter se détend  et, là, on peut commencer à bien déconner…”

Plus vous goûtez des grands jus, plus vous le faites en bonne compagnie avec des gens hyper compétents qui ont les bons mots pour vous les raconter. Le ciel s’entrouvre et, alors, vous apercevez l’Olympe des Dieux. Ma très grande joie, ce sont les vignerons. Quand je les vois, l’hiver, emmitouflés dans le blizzard, la goutte au nez, les yeux rouges, en train de tailler leur vigne, quelle joie ! Le soir, je vais parfois visiter un copain vigneron au cul de la vallée, un Bordelais qui ne se chauffe qu’à la cheminée. Trois kilomètres de chemin de terre pour y arriver. On entend le bruit du torrent coulant le long de la maison. Autour, un paysage pelé, des sangliers gros comme des rhinocéros, un vrai dessin de Rembrandt ! Et sur les braises rissolent des carcasses de canards. Mon pote sort un Pichon-Comtesse 1982… Le voilà, mon bonheur. Je me dis alors que j’ai vraiment du bol ! Toute ma vie, j’ai eu de la chance sans l’avoir vraiment cherchée. Le hasard fait bien les choses.
Pourquoi mettre bientôt un terme à ces quinze années dans les vignes ?
Aujourd’hui, Chante-Cocotte tourne autour de dix mille bouteilles. Mais, hélas pour moi, cette page va doucement se tourner. Je ne suis plus tout jeune et le vent me pousse maintenant vers un projet de production de whisky avec le grain d’orge de Montaquoy. Une autre aventure commence…

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°160 – août-septembre 2022.

* Voir chantecocotte.com et instagram.com/chantecocotte


Sa Sainteté Georges Dargaud

Un souvenir avec Georges Dargaud ?
Régis Franc : Un jour Guy Vidal me dit : « Il faut que tu connaisses Georges Dargaud, viens vendredi. » J’arrive, on monte « au ciel » dans les étages et nous pénétrons dans un bureau… Comment dire, à côté, le bureau ovale du Président des États-Unis à la Maison-Blanche semblerait minable. On s’installe, Guy parle comme s’il s’adressait à Sa Sainteté le pape. Mais, le week-end approchant, je voyais bien que Monsieur Dargaud n’avait qu’une envie : se casser. Il me fait un compliment poli, genre « j’aime bien ce que vous faites ». Puis, un épais silence s’installe. Guy me lance une injonction muette aussi souriante que comminatoire : « Parle donc, toi qui es si bavard ! » Et je reprends : « Vous avez peut-être un rendez-vous ? Vous voulez partir ? On peut arrêter là, si vous voulez… » Fin de l’entretien. En sortant, dans l’ascenseur, Vidal m’accable : « Mais pourquoi es-tu si arrogant ? » « Je ne suis pas arrogant, je voyais bien qu’il se faisait chier ! » Le grand homme à Pilote, c’était Goscinny bien sûr !


« Mes débuts en litté-ratures »

Régis Franc : Un jour, en vacances à Cadaqués. L’endroit où je finirai ma vie, rien ne me plaît plus au monde. Une île, Picasso, Miró, Duchamp, Salvatore Dalí, le père du pop art, disait Andy Warhol… Donc un jour, à Cadaquès, je rencontre l’éditeur Robert Laffont par l’intermédiaire d’un ami. En octobre, de retour à Paris, je lui envoie vingt-cinq pages qu’il confie à sa meilleure directrice littéraire, Élisabeth Samama. Trois semaines après, je vois revenir le manuscrit tout raturé, noirci de corrections. Elle me précise : « Vous en gardez ce que vous voulez, c’est vous l’auteur. »
Je relis la première page et, tout d’un coup, je trouve que l’orchestre sonne formidablement juste. Alors que mon texte initial ne montrait que des braillards s’exprimant dans tous les sens. Deuxième page pareil, troisième idem… Finalement, n’ayant jamais eu de problème avec mon ego d’auteur, j’ai tout gardé. Et depuis n’ai jamais travaillé qu’avec Elisabeth. Aujourd’hui, elle me dit : « Regarde où nous en sommes arrivés : à présent, je lis tes manuscrits et c’est moi qui garde (presque) tout ! »

La Ferme de Montaquoy,
Qui court la campagne trouve le chemin,
Régis Franc,
La Cité graphique,
210 pages,
25 €,
25 août 2022.

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