Stephen Desberg poursuit sa seconde vie de scénariste. Après Les Anges d’Auschwitz, il publie avec le dessinateur Yannick Corboz un diptyque hors-piste qui mêle France moyenâgeuse du 20e siècle et mise en cause du monothéisme. Casemate 142 consacre un dossier de 32 pages à ce premier tome des Rivières du passé*. Mais le Desberg des locomotives à succès continue à faire chauffer la machine. I.R.$ a encore de beaux jours à venir, « même si ce n’est sans doute pas pour une dizaine d’albums ». Et Le Scorpion vient de prendre un nouveau départ, désormais sans son cofondateur Enrico Marini. Explications pour les lecteurs de casemate.fr.

Marini et le Scorpion, est-ce bien fini ?
Stephen Desberg : Avec Enrico, nous avons construit une très longue histoire en douze albums à une époque où cet esprit feuilletonesque convenait tout à fait. Aujourd’hui, le lecteur a envie de bouquins plus longs, sans en attendre la suite des années. D’où l’idée de diptyques, deux albums paraissant dans un temps assez rapproché – que Jean Van Hamme a développée très tôt avec Largo Winch. Problème, Enrico voulait continuer Le Scorpion, mais sans être tenu par des dates de sortie strictes. Il désirait toucher à d’autres domaines, écrire ses propres histoires. Il a bien tenté de dessiner un Scorpion tous les deux, puis trois ans. Avant d’en arriver à cinq. Réaction de l’éditeur : d’accord, mais ne nous demandez pas d’en faire un enjeu commercial super important. Luigi Critone (dessinateur du François Villon de Jean Teulé) a donc repris le flambeau au tome 13, Tamose l’Égyptien, qui vient de sortir.
Et dans lequel il n’essaie pas de faire du Marini.
Au départ, le Scorpion est un archéologue un peu sensationnaliste, un peu pilleur de tombes sur les bords. Les circonstances ont fait que ce côté du personnage a été éclipsé par son histoire avec les neuf familles, la recherche de son identité dans un tourbillon d’aventures si bien mises en valeur par Enrico. Aujourd’hui, le Scorpion a réglé son problème avec son passé, est séparé de Méjaï la Gitane, a eu un enfant qu’il cherche désespérément… et se pose beaucoup de questions. Ce nouveau Scorpion correspond bien au trait de Luigi, à qui on a surtout demandé de ne pas faire un copier-coller de celui d’Enrico, même s’ils sont tous deux de la même famille de dessin. Le Scorpion restera une série de grande aventure, mais avec davantage de sensibilité. Ce qui rejoint tout à fait mon orientation actuelle. Le tome 14 est annoncé pour octobre 2021.
Et si Marini, qui sait, découvrait un jour un trou dans son emploi du temps ?
Il est prévu qu’il puisse écrire des histoires du Scorpion, mais elles ne feront pas partie du tronc principal de la série. Cela pourra être une jeunesse du Scorpion, le développement d’un personnage secondaire, ou encore une histoire avec apparition du Scorpion. Des albums avec sans doute la maquette existante, mais avec possibilité de davantage de pages et un plus grand format. Je garde espoir – nous ne sommes pas fâchés – qu’un jour nous retravaillerons ensemble… Et pourquoi pas sur un Scorpion !

“Marini pourrait imaginer la jeunesse du Scorpion, traiter un personnage secondaire”

Marini a-t-il eu une influence importante sur le parcours du Scorpion ?
Nous travaillions d’une manière très proche et amicale. Enrico s’impliquait beaucoup dans le scénario, amenait des idées sur lesquelles je rebondissais, etc. Je m’étais adapté à son rythme. Son départ m’a donné l’opportunité de reprendre la main sur certains points. Je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir dit tout ce que j’avais envie de dire.
Combien de temps Desberg 2 va-t-il laisser Desberg 1 continuer I.R.$ ?
Vu ce qu’il se passe aux États-Unis, j’ai encore envie de parler de ce pays. Évidemment, je n’ai pas la latitude de changer complètement le ton d’I.R.$. D’où une certaine dichotomie dans ma tête ! Je pense qu’on s’achemine vers les derniers cycles de la série. Je ne compte pas en écrire encore dix albums.
N’avez-vous pas l’intention d’en faire un amnésique ?
Quelle idée ? Non, pourquoi ?
Ça semble être le joker préféré des scénaristes ! (Voir Casemate 141, page 61.)
C’est un ressort, une manière de relancer la machine au nom de l’efficacité. Et ces termes, ressort, efficacité, me lassent terriblement. Pendant des années, on a raconté des histoires en suivant ce schéma. But, surprendre le lecteur. Ce qui à la longue devient artificiel. J’ai été un des premiers à utiliser tous ces ressorts. Aujourd’hui, je pense qu’on n’écrit pas une histoire pour qu’elle soit efficace, mais pour amener le lecteur quelque part, essayer de partager quelque chose avec lui.
Et le dessinateur dans tout cela ?
Dans cette optique, il ne s’agit pas de lui demander de se plier à une sensibilité qui n’est pas forcément la sienne, mais de travailler sur un sujet qui le concerne et auquel il apportera ses propres émotions. C’est ainsi que je vois dorénavant mon travail. Un travail où deux auteurs se complètent. Loin des histoires très formatées.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°142 – janvier 2021.

* Les Rivières du passé #1/2, La Voleuse, Yannick Corboz, Stephen Desberg, Daniel Maghen, 64 pages, 16 €, 4 février 2021.

Le Scorpion #13,
Tamose l’Égyptien,
Luigi Critone, Stephen Desberg,
Dargaud,
46 pages,
12 €,
dispo.

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