Cuba si ? Cuba no ? Le sujet continue à diviser ceux qui se rendent sur cette île qui a fait la nique à l’Amérique, et en a subi les conséquences pendant des décennies. Division qui s’affiche aussi dans le monde de la BD. Dans Casemate 114, Thierry Cailleteau, longtemps porté disparu dans les eaux profondes d’Aquablue, refaisait surface avec un album tout fou tout fou se déroulant dans un Cuba futuriste. Et profitait de l’occasion pour dire tout le bien qu’il pensait du régime castriste. Il estimait par exemple que les pauvres Cubains avaient tout à fait raison de pressurer le touriste à la manière d’un citron bien mûr (voir encadré).

Changement de ton le mois suivant avec Davy Mourier (La Petite Mort) qui raconte dans Casemate 115 un voyage familial à Cuba : Cubains collants, tornade dévastatrice, pas d’infos et, horreur pure, des liaisons internet plus que minimalistes dès qu’on s’éloigne des grands hôtels de La Havane. Un voyage qu’il veut oublier. Pour Casemate.fr, il fait le point sur ses projets. Loin d’une île au large de la Floride…

Votre carte postale d’un Che très en forme sexuellement qui exulte « Los bitas o muerte », une provocation ? Elle a passé la poste ?
Davy Mourier : Oui, enfin je ne suis pas sûr de la traduction. Pas sûr qu’une bite se dise bitas en espagnol. J’avais surtout envie de dessiner un nez de Pinocchio sur les grands portraits de Fidel Castro. Mais l’important était de rentrer sans avoir d’emmerdes avec la police. Cela dit, on ne les a quasiment jamais vus. Même après l’ouragan. Ils sont arrivés trois jours après…
Pourquoi des nez noirs ?
Mon éditrice naturelle, celle qui m’a le plus édité, est Marion Amirganian. J’avais commencé à lui proposer des BD dont les personnages avaient des nez noirs. Elle m’avait alors lancé : « C’est nul ! Je n’aime pas les nez noirs. Ça ne veut rien dire, pour moi ce n’est qu’une béquille graphique, tu n’en as pas besoin ! » Je me suis senti frustré. Du coup, j’ai enlevé tous les nez noirs des BD que je faisais avec elle. Quand Lewis m’a proposé de faire cet album sur notre voyage à Cuba, j’ai remis mes nez noirs… et Lewis ne m’a rien dit, lui !
C’est quand même une drôle d’idée !
Peut-être, mais pas gratuite. Graphiquement, ils me permettent de trouver un équilibre dans mon dessin. Mon personnage est chauve, je suis chauve, donc sans cheveux pour équilibrer les masses. C’est pour cela que mes barbes sont aussi soulignées. Pas mal de gens y ont vu une allusion à l’excès de boisson. Raté. Je n’ai jamais bu d’alcool de ma vie !

“L’important était de rentrer sans emmerdes avec la police – qu’on n’a quasiment jamais vue”

Pourquoi ne pas dessiner de manière réaliste ?
Tout simplement parce que je ne sais pas ! Le dessin n’est pas ma grande force. Mon plaisir, à la base, est davantage de raconter des blagues que de dessiner. En plus, Lewis tenait à ce que je m’investisse un petit peu plus dans les décors. Que cela attire l’œil. Je me suis vraiment sorti les doigts du cul pour cette BD !
Lewis, c’est Lapinot et les carottes de Patagonie qui l’ont aidé à apprendre le dessin, moi c’est dans Davy Mourier vs Cuba que j’ai appris à faire des gens qui marchent. Représenter des gens statiques, aucun problème. Des gens qui courent, j’ai appris au fil des années. En revanche, des gens qui marchent, je n’avais jamais réussi jusqu’alors. Grâce à cette BD, j’ai enfin pu trouver l’angle des jambes qui permet de comprendre qu’un personnage marche.
Que préparez-vous ?
Un album sur les coulisses de la télé. Je me suis inspiré d’une interview qu’un magazine « spécial » de France 2 m’avait consacrée pour illustrer un sujet sur les « adulescents ». Ils m’ont fait passer pour un con… (1) Mon but n’est pas de clouer le journaliste au pilori. Simplement de dire : regardez, ces gens qui ont pignon sur rue, qui sont les chantres de l’information politique, économique, etc., eh bien, même lorsqu’ils traitent un petit sujet de merde – moi, en l’occurrence –, ils trichent. Alors, imaginez ce que cela doit être lorsqu’ils s’attaquent à des sujets beaucoup plus profonds…

“Un mag de France 2 triche en parlant de moi. Alors, imaginez sur des sujets plus profonds…”

Finies vos histoires avec la mort ?
Pensez-vous, cet été sortira Davy Mourier vs la Mort, toujours dans la collection Shampooing. Avec La Petite Mort (2), j’ai été invité dans des trucs fous, des salons spéciaux réservés aux professionnels. J’ai connu, si l’on peut dire, le côté merchandising de la mort. J’ai rencontré des croquemorts, suis allé faire un stage en thanatopraxie (technique d’embaumement des cadavres) il y a trois semaines. J’ai même aidé à vider un mort. Ça, c’est du vécu ! Je n’avais jamais réalisé de la BD entre autobiographie et information. J’y prends beaucoup de plaisir.
C’est tout ?
Dans la collection que je dirige pour Delcourt, Une case en moins, sortent mes deux premières BD en tant qu’éditeur : La Soutenable légèreté de l’être avec Éléonore Costes au scénario et Karensac au dessin. Et Janski Beeeats, avec Janski au dessin et au scénario. D’autres vont suivre. L’idée est d’amener à la BD des gens de talent. Eléonore Costes vient du web, elle réalise des sketches pour Golden Moustache. Janski est un musicien de concerts. GiedRé, musicienne très drôle, va publier une BD autobiographique autour du communisme dans les années quatre-vingt en Lituanie, dont elle est originaire. Avec M. Poulpe, je signerai une BD participative – le dessinateur sera aussi le public –, un ovni ! Dédo, un humoriste de one man show va signer aussi une BD. Anaïs Vachez publie Les Petites Cartes secrètes…

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément gratuit de Casemate n°115 – juin 2018.

1. Ce reportage et la réponse.
2. Chez Delcourt et en dessin animé sur YouTube.

Davy Mourier vs Cuba,
Davy Mourier,
Delcourt,
190 pages,
9,95 €,
6 juin.


Faut les comprendre…

On n’est pas en train de parler d’une dictature, là ?
Thierry Cailleteau (extrait de Casemate 114) : Mais il n’y a rien de méchant à Cuba ! Bon, d’accord, ils sont un peu collants. Sur la route, des fermiers vous tendent un régime de bananes. Si vous vous arrêtez, six autres jaillissent du fossé pour vous placer citrons, café, miel… Il faut comprendre. Leur niveau de vie n’est pas gras. Les 120 euros que vous sortez pour louer une voiture la journée représentent trois ou quatre mois d’un salaire de neurochirurgien sur place. Il est donc assez logique qu’ils considèrent le touriste comme une vache à lait. Mais, si les salaires sont faibles, il y a pharmacie et dispensaire pour dix ou quinze fermes. En revanche, l’internet tourne à 3 ko/seconde.
Côté policiers ?
Les choses ont changé. Aujourd’hui, pour se faire arrêter à Cuba, faut vraiment sortir dans la rue avec un drapeau américain et crier : « À bas la dictature ! » Vous ferez trois heures de garde à vue. Alors qu’en France, un copain catho intégriste s’est payé 8 heures après une Manif pour tous.

Habana 2150 #1,
Vegas Paraiso,
Héloret, Thierry Cailleteau,
Glénat,
46 pages,
13,90 €,
dispo.

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