L’Avenir est avancé #2, c’est cinq histoires – dont quatre totalement inédites – qui s’inscrivent et se glissent dans la grande saga de Valérian et Laureline, née il y a plus de cinquante ans. Les auteurs en révèlent les dessous, et son avenir possible. Suite de leurs interviews à découvrir dans Casemate 122.
Cinq ans entre les deux tomes, c’est bien long.
Pierre Christin : Oui, j’ai écrit ces histoires courtes il y a six ans. Valérian n’est pas la seule grande série à n’avoir pas gardé le rythme très rapide du départ. Dans les années soixante, Jean-Claude Mézières et moi travaillions sous la contrainte pour alimenter un Pilote alors hebdomadaire. Pendant des années, nous avons sorti pratiquement un album par an. Puis Pilote est passé mensuel et ce fut un album tous les deux ans. Puis un peu plus…
Ces dernières années, même si nous n’étions pas directement impliqués dans le film de Besson, celui-ci nous a bien occupés pendant deux ans. Interviews, promo, mais aussi remise en marche du fonds Valérian par Dargaud. Tous les titres ont été repris, refaits, toutes les intégrales retravaillées, etc. L’éditeur a également lancé d’innombrables traductions supplémentaires, sans compter les traductions retravaillées. Et l’excellent petit gros bouquin de Christophe Quillien* avec qui j’ai passé un grand nombre d’heures. Sans oublier le Pilote spécial Valérian qui a prépublié l’histoire en douze pages qui ouvre L’Avenir est avancé #2… Tout cela a contribué à retarder Jean-Claude. Le temps est passé vite.
Toute cette mobilisation pour quel résultat ?
Spectaculaire. Dargaud affirme qu’il s’agit du plus grand succès de réanimation d’un fonds sans l’appui d’un album inédit. Un succès basé uniquement sur la sortie du film de Luc Besson. Valérian a acquis alors une renommée mondiale, traduit en Chine, en Corée et, plus incroyable vu mon passé littéraire, en Russie. Je n’y attends pas des ventes spectaculaires, mais voir imprimé, sur une couverture, Valérian en caractères cyrilliques, quand on a signé Partie de chasse avec Enki Bilal, fait un peu bizarre.
Cette aura extraordinaire autour de Valérian et Laureline, je la ressens souvent. Ainsi avais-je écrit un petit roman, un Valérian jamais dessiné en album, Lininil a disparu – je pense envoyé au pilon depuis bien longtemps. Eh bien, je viens de le découvrir en vente sur le net. Premier prix, plus de 80 euros. Un exemple de l’effet boule de neige dû au film de Besson.
“grâce au film de luc besson, valérian a acquis une renommée mondiale”
Heureux ?
Bien sûr, d’autant que ce film fut le deuxième succès français de l’année derrière un Dany Boon, et des critiques positives dans l’immense majorité des titres. Sauf, bien sûr, comme d’habitude, dans le triangle magique spécialiste du Besson bashing – Libération, Le Monde, Rock & Folk – qui fait la pluie et le beau temps dans le micro-milieu parisien.
Les auteurs de science-fiction, finalement, arrivent-ils à prédire notre avenir ou se plantent-ils tous régulièrement ?
George Orwell (auteur de 1984, La Ferme des animaux…) a imbibé toute ma vie et ma manière d’écrire. Il a annoncé, avec 1984, tout ce qui se passe à l’heure actuelle, les fake news, le mensonge généralisé, le bien qui veut dire le mal, l’abnégation des vérités scientifiques, mais il a eu le tort d’imaginer que tout cela arriverait en régime communiste, alors que cela se produit en régime capitaliste. Donc, pour Valérian, je pense que ce que nous envisageons se produira, mais pas dans les mêmes conditions ni aux endroits imaginés.
Donc plutôt satisfait de votre boulot ?
Fondamentalement, nos albums, à Bilal et moi, sont ce que j’ai écrit de plus dystopique, des cris d’alarme sur le terrorisme, la déviation totale du marxisme, etc. La partie utopique de mon travail est plutôt Valérian.
Son univers n’est pourtant pas à l’eau de rose !
Vrai, mais si on considère l’état de notre planète et ce qu’il s’y passe aujourd’hui, montrer des Terriens encore présents dans un lointain avenir est ce que j’appelle une belle utopie. Comparez les histoires de Valérian avec tant de films de SF américains, très négatifs, très catastrophiques – sauf évidemment quand leur président mouille personnellement sa chemise pour sauver le monde. Valérian me semble une BD optimiste dans la mesure où elle n’est pas une histoire de fin du monde, mais une histoire qui croit au futur.
“montrer des terriens présents dans un lointain avenir est une belle utopie”
À propos des présidents américains, un album n’est pas tendre pour le rôle de Kennedy lors du débarquement à Cuba (Casemate 122). Nous a-t-on raconté tant de blagues ?
C’est vrai, il y a eu beaucoup d’intox de toutes natures, une espèce de mythologie extraordinaire créée autour de Kennedy. Qui est pour beaucoup liée à sa personne et celle de son épouse. Cela éclipse d’autres présidents loin d’avoir son aura, mais n’étant pas forcément des maladroits. Nixon était incontestablement malhonnête. Mais il a su notamment s’entourer de très bons, comme Kissinger. Et a contribué à faire entrer la Chine dans le concert des nations. Tout le monde méprise et déteste Johnson alors qu’il a lancé des programmes sociaux courageux.
Et le bilan de présidents que nous aimons bien n’est pas toujours très brillant. Avant-hier, je suis tombé sur un documentaire se déroulant à Selma, en Alabama. Dans cette ville se sont déroulées, durant les années soixante, les grandes marches pour les causes noires. Aujourd’hui, Selma est redevenue une des villes les plus ségrégationnistes, les plus racistes des États-Unis. Ça paraît effrayant. Cette ville, emblème plutôt positif sous Johnson, redevient un emblème négatif, alors que dix années Obama sont passées par là. Sans que rien ne soit fait pour empêcher ce retournement. C’est pourquoi j’ai un avis assez nuancé sur les personnalités qu’on juge d’un seul bloc, d’une manière positive ou négative.
Pourquoi avoir changé le titre de votre album ?
À cause d’un problème d’homonymie qui a échappé à Dargaud. Le paradoxe est que j’avais déjà modifié le titre du premier tome. Apprenant qu’une manifestation en Suisse s’appelait Souvenirs du futur, je l’ai appelé Souvenirs de futurs. Je croyais être tranquille. Pas du tout, rebelote avec le tome 2. J’ai gambergé, pas facile parfois de trouver un bon titre ! J’ai fini par me décider pour L’Avenir est avancé, un peu polysémique, à plusieurs sens, et assez rigolo. Bizarrement, pour les éditions en langue anglaise, m’est venu finalement un bien meilleur titre, Early future. Le futur arrive tôt. En français, ça ne gaze pas, mais en anglais oui, et même en Danois.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate n°122 – février 2019.
* Valérian – Le Guide des mille planètes, Chistophe Quilien, Dargaud.
Valérian,
L’Avenir est avancé #2,
Jean-Claude Mézières,
Pierre Christin,
Dargaud,
54 pages,
12 €,
1er février 2019.
Lever de rideau avec Bilal
Christin, auteur d’opéra enfin heureux ?
Pierre Christin : Oui, La Citadelle de verre a enfin été jouée. Tout a commencé il y a vingt ans. Connaissant mon amour pour l’opéra, Enki Bilal m’avait envoyé un copain cherchant un librettiste. J’ai évidemment dit oui. J’ai toujours trouvé de grandes ressemblances entre le métier de librettiste et le métier de scénariste. La musique n’a rien à voir avec l’organisation des mots ni avec le dessin, d’ailleurs. Mais cet opéra, à l’époque, ne trouva pas son financement.
Qui n’a rien à voir avec celui d’une BD…
Oh non ! Lorsque le projet fut relancé dernièrement, Bilal – qui en a dessiné les décors – et moi avons vu débarquer à Neuchâtel l’orchestre national de Tbilissi (cinquante et quelques clampins), un chœur (vingt personnes), les chanteurs (dix personnes), les techniciens (quinze personnes)… Un opéra, c’est une centaine de gens travaillant pour vous sur une scène. Émouvant. Cette Citadelle de verre fut une expérience magique. Nous sommes dans la gare d’un pays imaginaire, très Europe centrale. Dernier bastion de liberté. Dehors, c’est la guerre civile, les balles commencent à siffler. Quelques responsables de la gare et des voyageurs y sont pris au piège.
Une écriture très différente de celle d’une BD, d’un roman, d’un film ?
Disons relevant d’une autre logique. Avec ses contraintes. Il faut parsemer son histoire de duos, de trios. Tout cela m’intéressait beaucoup. L’histoire et son écriture me sont venues assez facilement. Je me suis beaucoup amusé à faire de la rime, même s’il ne s’agit que de vers de mirliton. Une première pour moi, très rigolote.
Combien de fois La Citadelle de verre a-t-elle été jouée ?
C’est toujours le problème des opéras ! Pour l’instant, trois représentations en mai et juin dernier. La production vient d’éditer un DVD, même si opéra et petit écran ne vont pas vraiment ensemble. Ce DVD sert à démarcher tous les opéras qui pourraient le mettre à leur répertoire.
Donc un bon souvenir ?
Bien sûr, retrouver Bilal et travailler sur un projet commun fut un bonheur. Nous avons vraiment tout fait ensemble, de la BD, des livres illustrés, un film et maintenant un opéra.
Direction Pigalle
Les prochains Christin à paraître ?
Pierre Christin : Sébastien Verdier termine le dessin de notre George Orwell. Sortie en avril, chez Dargaud. Et Jean-Michel Arroyo, dessinateur de la série Buck Danny Classic, réalise un diptyque sur le Pigalle des années cinquante. Une plongée dans le monde des cabarets d’alors, dans le Paris du réalisateur Jacques Becker (Casque d’or, Touchez pas au grisbi, Le Trou…) que j’ai toujours adoré. Pigalle est un des quartiers de Paris que je connaissais le moins. Je suis allé y traîner, même si celui d’aujourd’hui n’a pratiquement plus rien à voir avec le Pigalle des années cinquante. Je m’amuse à plonger dans cette atmosphère, me régale à jouer avec l’argot du milieu parisien que j’ai toujours aimé parler. J’ai pensé devoir me plonger sérieusement dans de la docu. Pas du tout, l’histoire m’est venue sous la plume naturellement. Je suis heureux de travailler avec ce dessinateur, un petit gars bosseur, hyper consciencieux, passionné par son travail. À ce jour, il s’agira d’un roman graphique de 110-120 pages, format légèrement plus petit que le format classique.
Noir et blanc ?
C’était l’idée de Jean-Michel, mais il lui vient l’envie de travailler genre lavis, un peu à la Di Marco. Nous allons en reparler.
Guerrière, la couverture ?
Il paraît que cela a chauffé pour la couverture ?
Pierre Christin : Jean-Claude fulmine depuis des années après Lucas qui a emprunté certaines choses à Valérian. Incontestablement, c’est vrai. Et que remarque-t-on en regardant la couverture de L’Avenir est avancé #2 ? Qu’il y a du Lucas dedans ! Un retournement freudien extraordinaire au moment où nous plions les gaules de la série. Ces guerriers viennent de Star Wars. Surprenant de la part de Jean-Claude d’en finir ainsi, lui qui exècre tout ce qui est militaire !
Jean-Claude Mézières : Enfin, ce sont simplement des figurants, des gardes comme on en trouve dans plein de films et de bandes dessinées ! On n’a pas attendu Star Wars ou Valérian pour montrer des gardes faisant le pied de grue ! Et mon vaisseau n’est pas un vaisseau de guerre ! Ce qui est vrai, c’est que j’ai réalisé cette couverture en octobre, alors que j’avais quelques petits problèmes de santé. J’ai encore une pile de calques et de bouts d’encrage impressionnante. Aujourd’hui, ça va mieux, puisque j’ai arrêté de dessiner !
Christin : Il m’a toujours semblé qu’en science-fiction, ces histoires de pillage, de pastiche, de copiage n’ont pas lieu d’être puisque nous sommes dans des mondes imaginaires. Dans un polar, pas de problème. Un mec monte dans une voiture, vous choisissez un modèle de voiture, et roule. En SF, il va prendre une fusée ou une soucoupe. Interchangeables. Tous les auteurs piochent dans le pot commun. Les appareils volants de Valérian, même très signés Jean-Claude, sont eux aussi influencés par tout ce qu’on avait pu voir auparavant. Et nos albums ont alimenté à leur tour les univers de SF qui ont suivi.
Laureline rentre dans le rang
Cette fois, pas de Laureline poitrine nue. Y a-t-il eu des réactions à la sortie du premier tome ?
Jean-Claude Mézières : En France, non. Dans la version américaine, plus de tétons. Ça ne me gêne pas. Contrairement à leur traitement de la planche 27 des Otages de l’Ultralum. Les Américains avaient carrément collé un soutien-gorge à Kistna, la belle extraterrestre à quatre yeux. Là, non, c’était trop. J’ai repris le dessin et dissimulé sa poitrine derrière une ombre noire, tout à fait plausible. En fait, c’est l’aréole des seins qu’ils ne peuvent pas supporter. Normal, elle suffit à faire basculer une BD dans la catégorie réservée aux plus de 18 ans. En revanche, côté mitrailleuses déchaînées, les auteurs ont quartier libre. Pareil sur le marché chinois.
À l’ordi, première !
Jean-Claude Mézières : Je travaille toujours en traditionnel, sur papier, mais sur la couverture du dernier, pour la première fois, je suis passé à la palette graphique. J’en avais tellement marre, tellement peur de recommencer cent fois. Une fois élaboré péniblement le dessin noir et blanc, je me suis dit que sa mise en couleurs allait être l’horreur absolue. Je réalise mes fonds, mes petits dégradés à coup d’aéro. Le mien était bouché depuis des années. Du coup, comme je m’entends très bien avec les dessinateurs du Studio Dargaud, je suis allé m’installer chez eux. Et joué simplement les copilotes, assis à leurs côtés. « Un petit peu plus de ce côté-là, un petit peu moins de ce côté-ci. » Sans toucher à rien. Je leur indique les différences entre les ombres. J’ai bien aimé. Mais toutes les couleurs de l’album sont faites à la main, à la gouache, comme d’habitude, par ma sœur, Évelyne Tranlé. J’y reviens parfois, pour de petites retouches, rendre une colline un peu plus bleue par exemple. Mais c’est tout.