Redessiner, réinterpréter trente planches de trente auteurs célèbres, et y glisser quelques brins de folie. Comme faire changer de sexe Blueberry et Angel Face… Fallait oser. Blutch a osé. Car les grands auteurs osent tout. C’est d’ailleurs à cela qu’on les reconnaît. Fin de l’interview publiée dans Casemate n° 107.

Avez-vous l’impression d’être redevable vis-à-vis de vos anciens ?
Blutch : Bien sûr ! Ils m’ont tiré de ma cambrousse. Goscinny, Morris, Uderzo et quelques autres m’ont sauvé la vie en m’ouvrant les fenêtres. Ils sont mon oxygène. Je les recopie depuis toujours. Ma première bande dessinée publiée dans Fluide, en 1988, s’appelait Les Aventures de Tintin. Une espèce de pastiche de Tintin au Tibet. Mes dessins de 1975 ou 1977 sont des cases recopiées, de Donald, Achille Talon. En fait, Variations n’est que le prolongement de ce que je faisais à 8 ou 10 ans.
Vous avez regretté que beaucoup de ceux qui ont fait avancer la BD aient jeté l’éponge un peu tôt à votre goût…
Il ne me viendrait pas à l’idée de juger Gotlib parce qu’il a arrêté de dessiner à 50 ans. Il avait ses raisons, multiples. Mais j’ai une tendresse pour toutes ces voix que j’ai écoutées, qui m’ont appris, m’ont fait grandir. Oui, j’aurais aimé que Gotlib ou Lauzier continuent à me parler. Que Gotlib dessine d’autres livres. Oui, je n’ai pas assez de bouquins de Lauzier. J’aurais aimé que lui aussi me dise plus de choses. Son dernier album, Portrait de l’artiste, date de 1992. Il est mort une bonne quinzaine d’années après. Les bouquins qu’il n’a pas écrits, dessinés, me manquent.
Mais il a continué à faire des films !
Oui, mais je suis plus sensible à sa BD. J’ai vu ses films à leur sortie, La Tête dans le sac, Mon père ce héros, etc. Mais – interlocuteurs multiples, capitaux en jeu obligent – le cinéma pousse à certaines concessions. Ses adaptations sont édulcorées, moins piquantes, moins féroces, plus policées que ses BD. La chose la plus précieuse dans la BD est peut-être la liberté.

« En fait, Variations n’est que le prolongement de ce que je dessinais quand j’avais 8-10 ans »


Confronter votre style aux leurs aurait été intéressant.
Ce n’était pas l’idée. Un livre n’est pas un spectacle. Récemment, dans une école d’art de New York, j’ai confronté mes pages et les originaux. Là, j’ai fait mon show, expliquant aux élèves ce que j’avais essayé de faire, etc. Voir les changements les faisait rigoler. Ainsi, dans l’original, des Tuniques Bleues voient une fille dans l’eau. Moi, j’ai mis un mec à la place. Blueberry et Angel Face, dans leur bagarre finale, sont deux filles. Des petites astuces qui m’amusent. À raconter, c’est amusant, mais un livre, c’est autre chose.
L’avez-vous réalisé d’une traite ?
En fait, ce fut un travail imprévu que j’intercalais au milieu d’un autre travail sur Tif et Tondu. Finalement, le bouquin s’est imposé presque sans que je le veuille.
Pourquoi avoir gardé partout votre propre lettrage ?
Il est la chose la plus personnelle, la plus intime. J’aurais eu beaucoup de mal à le changer, et je craignais que cela se sente, qu’il ne paraisse pas naturel, qu’on croie que j’imitais le style des auteurs.
Parce que Variations n’est pas un exercice d’imitation ?
Non, de réinterprétation. Et parfois très fidèlement. Avec Les Pieds Nickelés, je suis très près du travail de Pellos. Peut-être parce que son graphisme m’est plus proche. Ça marche au feeling. Je ne voyais pas trop ce que je pouvais rajouter. Je me suis laissé entraîner par sa verve. J’ai appris quelque chose avec chacun des trente auteurs. Rentrer dans le dessin de quelqu’un, c’est un peu entrer dans sa tête. Entendre sa voix. Des choses pas vraiment traduisibles, des choses mystérieuses.

« J’aimerais en faire un sur les modernes, Sattouf, Blain… En espérant les faire rire ! »


Dans l’avant-propos, vous dites collectionner les fausses pistes, les impasses.
Parce que je ne sais jamais quoi faire. Je suis capable de commencer un livre, puis voyant que ça ne va pas, de m’arrêter.
Exemple ?
Le reportage dessiné, qui ne correspond pas du tout à mon tempérament. Pour moi, la BD est plus un travail littéraire que de sucer la roue au journalisme. Envoyé Spécial en BD n’est pas mon truc.
Et le dessin de presse ?
Il nécessite d’écouter la radio en continu, de lire les journaux. Franchement, j’ai deux amis qui l’ont pratiqué, Catherine Meurisse et René Pétillon. Ça pompe l’air. Je veux pouvoir couper le son. J’ai passé deux mois sans ordinateur, sans rien. Ça m’allait très bien.
Contrairement à pas mal de confrères, vous lisez beaucoup de BD.
Je reste amateur, lecteur et même collectionneur de bouquins. Pas d’originaux, ils sont trop chers. J’aime beaucoup le livre, j’ai besoin de m’en nourrir tout le temps, en allant aussi bien vers les classiques que vers les BD d’aujourd’hui. Tout me passionne.
Aucun de vos trente n’est un perdreau de l’année.
C’est pourquoi j’aimerais bien réaliser un deuxième livre où je me confronterais à mes contemporains. Faire du Sattouf, du Blain, en espérant les faire rire.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 107 – octobre 2017.

Variations,
Blutch,
Dargaud,
30 planches,
29,99 €,
13 octobre.

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