Reine de la danse, combattante antiségrégationniste, interlocutrice des grands de ce monde, Joséphine Baker fut aussi une femme au cœur gros comme ça. Tant avec les conquêtes qu’elle collectionna qu’avec les enfants. Elle en adopta douze, de toutes les couleurs. Suite de l’interview de José-Louis Bocquet et Catel qui, dans Casemate 95, racontent cette grande dame.

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Vous créditez Joséphine Baker d’un nombre impressionnant de conquêtes.
BocquetJosé-Louis Bocquet : Comme Georges Simenon, le père de Maigret. Un des couples mythiques du xxe siècle. Un marronnier pour tous les journalistes en mal de couples célèbres. « Le plus grand écrivain du siècle avec la reine Joséphine Baker ! » Mais la perspective historique écrase tout. Dans les années vingt, Simenon n’est alors personne. Il devient l’amant de Joséphine grâce à sa séduction naturelle. Elle, est une star. Il y a eu une véritable histoire entre eux. Il évoquera leur relation dans Mémoires intimes, puis des interviews au cours des années quatre-vingt.
Les histoires d’amour dont nous parlons sont avérées par au moins un des deux partenaires. Il y eut aussi Le Corbusier. Maintenant, il faut tenir compte des fantasmes des biographes et des écrivains… À se demander quand elle a le temps de danser ! En tout cas, la façon dont on évoque sa liberté, sa vie sexuelle fait comprendre à quel point elle est une femme libre.
De Gaulle, lui aussi, aurait-il eu des faiblesses pour la danseuse ?
Il existe une légende tenace à ce sujet. Cela fut écrit par certains aux États-Unis. Des textes non traduits en France. Nous avons rencontré des gaullistes qui le pensaient. Peut-être… Nous avons essayé de donner le moins possible dans le fantasme. Du temps où Pétain était le supérieur de De Gaulle, les deux hommes, jeunes, étaient assez portés sur la gaudriole.
Elle semble aussi avoir aimé les femmes.
On a aussi évoqué Colette et Frida Kahlo. J’ai essayé de retrouver les sources. Sur internet, tout le monde recopie tout le monde. J’ai fini par remonter sur un site gay et lesbien américain, source la plus ancienne sur le sujet, et qui date du début des années 2000.

Joséphine et de Gaulle ? Il existe une légende tenace à ce sujet aux États-Unis — José-Louis BOCQUET

Comment est-elle reçue en Amérique ?
Ses tournées souffrent du racisme ambiant. Son combat aussi. En 1951, au Stork Club de New York, on refuse de la servir. Elle en voudra beaucoup à Walter Winchell, le plus influent journaliste des États-Unis, habitué des lieux qui, d’après elle, ne l’a pas défendue. Lui répond qu’il était sorti du restaurant avant l’incident. De ce militant antiségrégationniste, elle se fait un ennemi mortel. Cela va lui causer bien des ennuis aux États-Unis, car Walter Winchell travaille pour des journaux, des radios, des chaînes de télévision. Il va la diffamer, affirmant qu’elle couchait avec des Allemands, était une militante communiste. Joséphine a énormément de détracteurs aux États-Unis.
CatelCatel : L’actrice Grace Kelly, qui cinq ans plus tard épousera Rainier de Monaco, est présente ce fameux jour au Stork Club. Choquée par la scène, elle s’en souviendra des années plus tard. Quand Joséphine n’aura plus rien, Grace Kelly sera là et la sauvera de la ruine.
Brigitte Bardot aussi l’aida…
Bocquet : En 2009, Catel a illustré Les Animaux de ma vie, un livre de Mylène Demongeot (Casemate 84) pour Flammarion. Mylène, trouvant les dessins de Catel géniaux, a envoyé le bouquin à BB. Catel et Bardot ont commencé une correspondance, et évoqué l’épisode où Brigitte Bardot, en juin 1964, lança un appel dramatique à la télévision pour sauver Joséphine qui allait être expulsée des Milandes, avec sa tribu. Et l’a aidée elle-même financièrement. Catel a envoyé les deux planches de notre album racontant cet appel télé et la réaction de Joséphine. Et joint à son envoi, en cadeau, un grand dessin de l’actrice, à l’époque. Brigitte lui a renvoyé le dessin, après l’avoir retouché, expliquant : « Voilà comment je me maquillais à l’époque, je mettais par exemple plus de noir à tel endroit, etc. »

Quand Joséphine n’aura plus rien, Grace Kelly sera là et la sauvera de la ruine… — CATEL

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L’Amérique se souvient-elle encore de Joséphine ?
Les États-Unis sont un pays sans mémoire culturelle. Le show-biz, c’est ici et maintenant. Là-bas, Joséphine Baker n’existe plus. Sauf dans la mémoire du combat antiségrégationniste. Elle est restée une icône comme femme noire qui s’est battue contre le racisme. Mais pas comme star du music-hall. En France, elle laisse aussi le souvenir d’une dame au grand cœur et à la tribu arc-en-ciel aux douze enfants.
Catel : Et de la danseuse aux bananes !
Qu’est devenue la tribu ?
Bocquet : Séparée de son mari, Jo Bouillon qui vit en Argentine, Joséphine s’est occupée de ses petits enfants qui, après les rebellions de l’adolescence – elle avait du mal à les tenir ! – sont devenus des ados normaux. Lorsqu’elle meurt en 1975, le plus âgé doit avoir une vingtaine d’années. Leurs liens sont restés forts et ils continuent à appliquer le crédo de Joséphine ; venus de pays différents, tous de couleurs différentes, ils se considèrent comme frères et sœurs. En grandissant, ils ont voulu connaître leurs origines et leur mère biologique. Jean-Claude, qui fut notre éclaireur, le raconte dans sa petite biographie en annexe de notre livre. Retrouver sa vraie mère n’a pas changé son amour pour Joséphine.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 95 – août-septembre 2016.

JoséphineJoséphine Baker,
Catel, José-Louis Bocquet,
Casterman,
512 pages,
26,95 €,
7 septembre.