Auteur de la série K.O. à Tel Aviv, racontant son expérience quotidienne avec une bonne dose de fantastique et de surréalisme, Asaf Hanuka a expliqué dans Casemate 88 comment l’on vit dans une ville où la menace terroriste est réelle depuis des décennies. Pour Casemate.fr, il revient sur son amour de la France et pourquoi il n’y vit pas.

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Connaissez-vous bien la France ?
AsafAsaf Hanuka : Je suis resté trois ans à Lyon pour y suivre les cours de l’école Émile Cohl, puis un an à Paris. C’est pourquoi j’ai été très fier quand Casemate, que je lis, a publié en grand mon dessin en couverture du spécial Charlie, après les attentats de janvier.
Paris et Tel Aviv sont-elles des villes très différentes ?
Le mot est faible. Paris est pour moi un endroit magique où tout me plaît, des chefs-d’œuvre de l’architecture aux choses les plus simples qu’on déniche dans les plus petites rues. Un illustrateur est sans cesse inspiré par cet univers si riche. Je m’y étonnais de tout, tout le temps, et passais ma vie à dessiner.
Tel Aviv est une ville très laide. Tout y est beaucoup moins vieux, mais très mal conservé. Le sel de la mer proche abîme tout et les gens ne font pas d’effort pour conserver par exemple des façades blanches. C’est une ville construite à la hache, à la va-vite.
Alors, pourquoi y vivre plutôt qu’à Paris ?
Parce qu’à Paris, je ne trouvais pas vraiment ma place, j’y étais un étranger fasciné par sa beauté. J’ai quitté la France à 27 ans pour Tel Aviv. Cette ville me permet une réflexion sur moi-même beaucoup plus juste. Elle m’a fait comprendre que je me sens mieux dans la laideur que dans la beauté.
Et dans un petit logement humide ?
Notre immeuble date des années soixante et n’a jamais été vraiment rénové. On fait juste ce qu’il faut pour qu’il tienne. Il y a beaucoup d’infiltration d’eau, et parfois un petit bout de plafond nous tombe sur la tête ! Le logement n’est pas grand – nos enfants dorment dans la même chambre –, mais le coût du loyer est beaucoup moins élevé qu’à Paris. Pour quelqu’un de marié, avec deux enfants, qui vit de ses illustrations, c’est appréciable. D’autant que je me demande toujours comment finir le mois ! Un vrai stress.

Tel Aviv m’a fait comprendre que je me sens mieux dans la laideur que dans la beauté…

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Attendez, vous êtes publié dans de grands journaux occidentaux !
Depuis quinze ans, je travaille avec un agent à New York, et j’ai vraiment fait des illustrations pour de nombreux grands journaux. Mais très peu de publicité. Et, vu l’état de la presse écrite, l’illustration éditoriale est de moins en moins bien payée. S’en sortent ceux qui savent faire bouger leurs dessins. Or je ne suis pas du tout branché dessin animé.
N’avez-vous pas un projet, vous et votre jumeau, avec Canal+ ?
Oui, mais nous avons simplement réalisé trois minutes pour en définir la direction artistique. J’ai imaginé les personnages, les décors, mais ne sais pas les animer. J’ai aussi travaillé sur le dessin animé Valse avec Bachir. J’aime faire des recherches sur un univers, mettre au point une gamme de couleurs, un design. Mais, pour moi, rien n’est au-dessus de la bande dessinée. C’est en faisant des livres que je me sens chez moi.
Pas envie de travailler pour des journaux français ?
Commenter l’actualité n’est vraiment pas mon truc. Je vous ai raconté le mal que j’ai eu à réaliser un dessin pour votre Casemate spécial Charlie ! J’essaie simplement de parler des choses à travers mon prisme personnel.
Et votre métier d’enseignant ?
Je donne des cours d’illustration et de bande dessinée à l’université de Tel Aviv, un jour par semaine. J’aime ça. Je me sens un peu comme un vampire qui prendrait la force de vie des jeunes dessinateurs que j’y rencontre. Ils fourmillent d’idées et cela m’inspire souvent.

Un policier n’est pas l’ennemi, mais quelqu’un qui est là pour aider les gens. Nous le payons !

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À Paris, après les attentats Charlie, des manifestants ont fait la bise à des policiers. Cela vous a-t-il surpris ?
Ce qui m’a surpris, c’est que l’on s’en étonne ! Ici, tout le monde a un parent, un ami dans la police. Un policier n’est pas l’ennemi, mais quelqu’un qui est là pour aider les gens. Son salaire c’est notre impôt, c’est nous qui le payons. C’est juste un mec qui fait son job.
Y a-t-il beaucoup de contrôles d’identité à Tel Aviv ?
À Jérusalem, oui, dans le reste du pays non. Je ne sors jamais ma carte d’identité, mais c’est vrai, Tel Aviv est une ville plutôt tranquille.
Existe-t-il beaucoup de magasins refusant de vendre aux clients non orthodoxes ?
Non, j’en connais un que j’ai dessiné. Mais il existe des quartiers orthodoxes où habitent des religieux habillés de noir, avec leur culture, leurs synagogues, leurs écoles et leurs magasins. Des quartiers complètement fermés. Des ghettos. Un type comme moi, sans kippa ni barbe, pas habillé en noir, donc pas croyant, est regardé comme quelqu’un de différent. Ces gens mènent une vie à part.
D’autres idées de bande dessinée ?
Avec Tomer, mon frère, nous travaillons sur une histoire fantastique. Mais Tomer et moi sommes très occupés par nos propres travaux. J’ai 42 ans. J’espère que cette bande dessinée sortira avant mes 50 ans…
Avez-vous l’intention de revenir en France ?
Fin janvier à Angoulême, si tout se passe bien. J’aime autant y rencontrer les dessinateurs qu’admirer les monuments de Paris !

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 88 – janvier 2016.

koK.O. à Tel Aviv #3,
Asaf Hanuka,
Steinkis,
18 €,
13 janvier.