L’esclavage fut aboli à La Réunion fin 1848… Appollo et Tehem racontent cet épisode historique dans Vingt Décembre, auquel Casemate 176, en vente, consacre un dossier de six pages. Leur récit se base sur une masse de documents consultés sur place, mais raconte à travers une histoire de vengeance au long cours, inventée, dans la foulée de Django Unchained. Et tout aussi instructive.

Comment a démarré ce projet ?
Appollo : Les archives départementales de La Réunion nous ont proposé, à Tehem et moi, une résidence en 2020. La majorité de mes bandes dessinées se déroulant à La Réunion, j’ai accepté sans hésiter. Accéder à tous les documents de l’histoire de l’île sans formation d’historien fut passionnant. Très peu de gens s’y rendaient durant le confinement. J’ai accumulé la documentation concernant la période autour de 1848. L’île comptait alors 100 000 âmes. Dont deux tiers d’esclaves. Nous en avons tiré un petit livre compte-rendu intitulé Aux archives, édité sur l’île.
Quelle est son histoire ?
L’île est déserte quand les Français la colonisent en 1665, avec des Malgaches. Ils la nomment île Bourbon. Au bout d’une trentaine d’années, esclavage et Code noir sont en place, appuyant la culture et l’exportation du café. Les esclaves sont acheminés d’Afrique de l’Est jusqu’à la fin de la traite négrière en 1815. Elle continuera via un trafic illégal. Une première abolition de l’esclavage, en 1794, échoue : les émissaires de la République sont expulsés manu militari par les propriétaires d’esclaves. La culture de la canne à sucre remplace le café au début du 19e siècle.
Quand l’île est-elle renommée La Réunion ?
Pendant la Révolution, puis elle devient île Bonaparte durant le Premier Empire. Retour à île Bourbon à la Restauration, avant de trouver son nom définitif île de La Réunion en 1848. Les deux tiers de la population, esclaves pour la plupart d’origine africaine, sont affranchis et obtiennent leurs noms d’hommes et de femmes libres. 1848 reste la date fondatrice de l’île. D’ici un an, Tehem et moi aborderons une autre période de son histoire. Pour cela, je ne peux collaborer qu’avec un dessinateur tel que lui. Il provient de l’île et la connaît bien.

“Autour de 1848, l’île comptait 100 000 âmes. Dont les deux tiers étaient esclaves”

Qui est Makouta, l’ancien esclave partant se venger de ses oppresseurs ?
C’est une histoire totalement inventée. Elle relève du « revenge movie » à la manière de Django Unchained de Tarantino. J’imagine, qu’une fois affranchi, Makouta effectue le chemin retour du commerce des esclaves en trucidant tous les esclavagistes à chaque étape du voyage. Et cela jusqu’à son village natal.
Vous évoquez le parcours de Roussin et Potémont, deux dessinateurs de l’époque. Les considérez-vous comme vos ancêtres ?
En quelque sorte. Tehem et moi, réunionnais, avons créé une revue de bande dessinée sur place il y a trente-cinq ans. Et découvert leurs nombreuses gravures publiées, lors de l’abolition, dans le journal satirique La Lanterne magique. Roussin est connu pour avoir illustré toutes les fêtes populaires de la seconde moitié du 19e siècle à La Réunion. La proclamation de la République en 1848 a permis une multiplication des journaux diffusés sur l’île. Dont au moins trois illustrés satiriques. Leurs dessins restent une source incroyable de documentation. Et figurent parmi les premières bandes dessinées de ce siècle.
Explication ?
Les récits en images de Potémont ressemblent fortement à ceux, à la même époque, de l’inventeur de la bande dessinée Rodolphe Töpffer. Une de ses œuvres raconte ainsi, en une succession de vignettes accompagnées de textes, la venue du gouverneur Sarda Garriga à La Réunion pour abolir l’esclavage. Le tout sur un ton satirique. On peut penser qu’il s’est directement inspiré de Töpffer. Roussin et Potémont restent des personnages secondaires dans notre récit. Nous voulions privilégier le point de vue des esclaves affranchis sur celui des colons. Qui ne sont pas absents pour autant !

Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°176 – février 2024


Le malaise et la légèreté

Comment vous êtes-vous orienté vers des récits historiques ?
Tehem : Issu plutôt de la bande dessinée jeunesse et humoristique (Malika Secouss, Zap collège…), j’ai publié en 2010 Quartier western*, mon premier roman graphique. J’y raconte mon enfance à La Réunion. Cela m’a donné envie de m’adresser à un public adulte. Ce que je fais avec Appollo. Incapable de m’aventurer dans le dessin réaliste, je m’amuse dans ce style semi-réaliste qui apporte un décalage intéressant sur un sujet aussi chargé que l’esclavage. Par un effet paradoxal, un dessin léger peut augmenter la gravité du propos et le malaise ressenti.
* Éditions Des bulles dans l’océan, 120 pages, 22 €.

Vingt Décembre,
Chroniques de l’abolition,
Tehem, Appollo,
Dargaud,
144 pages,
21,50 €,
dispo.

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