Autrice de Impénétrable, Alix Garin raconte dans Casemate 182 la reconquête de sa libido perdue à cause du vaginisme. Et explique comment elle a trouvé refuge dans les livres d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022. Et dans un petit guide pratique, La Salope éthique*, histoire de réorganiser son couple malgré ses troubles. Vive les livres !

Votre perte totale de libido fait penser aux malades du Covid qui ont perdu le goût des choses, parfois pour longtemps.
Alix Garin : Oui, cela y ressemble. Au début, on panique, surtout qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer. Avec l’impression de n’avoir aucune prise sur ce qui arrive. C’est quand quelque chose disparaît qu’on se rend compte à quel point c’était agréable !
Le vaginisme pourrait donc trouver son origine dans le port de jeans trop serrés ?
Ou simplement par une petite blessure, qui comme lorsqu’on se coupe et qu’on se frotte trop parce que cela démange, finit par s’envenimer. Au départ, si on ne se rend pas compte qu’on est blessé – la zone concernée n’étant pas franchement visible –, et qu’on a des rapports douloureux, les choses peuvent très vite échapper. L’ignorance, l’incompréhension, qu’on ne sache pas très bien vers qui se tourner pour en parler rend ce problème, bénin à l’origine, complexe à gérer. Et il va prendre des proportions plus compliquées. Il me paraît important que les gens entendent au moins une fois dans leur vie le mot « vaginisme ». J’espère que la prochaine fois que des femmes auront mal, elles ne se diront pas seulement : « Tiens, je suis de mauvaise humeur ! »
Avez-vous connu un épanouissement sexuel précoce ou plutôt tardif ?
Plutôt dans la moyenne des jeunes, en France et en Belgique, autour de mes 16 ans.
Comment avez-vous vécu votre transformation hormonale à la puberté ?
Sans poser aucune question et sans en sentir le besoin. Les choses se sont faites d’elles-mêmes de manière fluide.

“L’ignorance, ne pas savoir à qui en parler, rend ce problème, bénin au départ, complexe à gérer”

Que vous a apporté la lecture du prix Nobel de littérature, Annie Ernaux, et du guide de La Salope éthique ?
J’admire Annie Ernaux depuis très longtemps pour sa capacité à regarder la réalité en face, à partager sans fard. Elle a levé le voile sur ce qui peut se passer dans la tête des femmes. À la lire, découvrir qu’il était légitime de raconter ces choses-là m’a fait beaucoup de bien. En tant qu’écrivaine, j’étais bouleversée de lire des expériences si proches des miennes et si bien racontées. Annie Ernaux m’a fait m’orienter vers une démarche autobiographique. Le guide de La Salope éthique, dans un autre registre, m’a éclairée sur la liberté de soi, celle de jouir de son corps, le fait de laisser à l’autre sa liberté, l’évidence que personne ne nous appartient, qu’on ne doit faire jurer la fidélité de son corps à personne. Que l’amour se porte sur bien d’autres choses que promettre de ne coucher avec personne d’autre, que s’aimer relève de beaucoup d’autres domaines que tout cela. Toutes ces réflexions-là ont nourri la mienne et m’ont permis de cheminer avec des armes presque philosophiques vers l’ouverture du couple. Une ouverture menée non par le désir de se jeter sur le premier venu, mais plutôt par une réflexion sur « mon corps n’appartient qu’à moi et à personne d’autre » et « le corps de mon partenaire ne m’appartient pas ». Ce n’est pas parce que je couche avec d’autres gens que j’ai moins de valeur. Miser notre propre valeur en tant qu’humain, sur la fidélité de son partenaire c’est quand même drôlement tordu, quand on y pense !
L’autodérision, un bon principe de narration ?
En tout cas indispensable, surtout dans une autobiographie. Ne pas se moquer un peu de soi-même ou se mettre en difficulté, raconter des trucs qui vont moins bien, peut rendre hyper égocentrique. Ma démarche autobiographique venait moins du fait de vouloir parler de moi que de montrer que je savais de quoi je parlais pour l’avoir vécu. Tout le monde a des failles. C’est souvent en les découvrant que les gens vont le plus sourire et se sentir en empathie. C’est ce que j’adore, par exemple, chez Annie Ernaux, qui ne s’épargne pas dans ses livres et ne se donne pas le bon rôle. C’est pour cela que ce qu’elle dit est aussi vrai, aussi juste.
Ne m’oublie pas, votre premier roman graphique au Lombard, s’est-il bien vendu ?
Autour de 40 000 exemplaires, je crois.
Déjà un autre projet ?
Je ne vais pas faire l’erreur de me remettre trop vite au travail à tout prix. Et plutôt attendre qu’une histoire me paraisse valoir la peine d’être racontée.

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°182 – août-septembre 2024

* Guide pratique pour des relations libres sereines, Dossie Easton et Janet W. Hardy, Tabou, 2013. Essai sur comment mettre en place le couple libre, pourquoi et à quelle philosophie de vie cela se rattache.

Impénétrable,
Alix Garin,
Le Lombard,
300 pages,
29,90 €,
6 septembre 2024.

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