Dans une exposition qui s’est tenue à Bordeaux et dans un carnet, Italiques, il croque trois villes d’Italie qui occupent une grande place dans sa vie. Mais Alfred le dessinateur cohabite avec Alfred le comédien et Alfred le musicien. Suite et fin de l’interview de l’auteur de Come Prima (meilleur album Angoulême 2014) publiée dans Casemate 75.

Italiques s’ouvre sur de hauts murs, des portes fermées. Curieuse présentation de Venise la magnifique !
AlfredpAlfred : Je ne cherchais pas l’originalité à tout prix. C’est sur ces visions que j’ai découvert cette ville. Tout dans Venise a été représenté des millions de fois, je savais que je n’aurais rien à raconter de nouveau. En montrant ce que j’ai découvert en premier, il me semblait apporter quelque chose de sincère à défaut d’être nouveau. Et, c’est vrai, mes premiers pas ont été dans des rues-couloirs, dessinant un labyrinthe parsemé de portes closes.
Tristounet ?
Non, nous avons découvert au fil des mois que ces portes s’ouvraient sur des jardins, des maisons, où des gens bien vivants nous ont invités, accueillis.
Ces labyrinthes ont donné des idées à votre ami Olivier Ka*.
Nous sommes très proches. Olivier nous a rendu visite plusieurs fois durant notre séjour en Italie. Lors de l’expo à Bordeaux, des haut-parleurs diffusaient un conte, écrit et dit par lui, dans une sorte de labyrinthe où évoluaient les visiteurs. Je lui ai proposé d’en inclure une version dans Italiques. Il y évoque, bien sûr, le Minotaure.
À chaque livre vous changez de style. Ici, c’est à chaque ville…
Une des choses qui m’amuse le plus dans l’écriture est d’essayer de trouver à chaque fois ce qui, graphiquement, racontera, servira le mieux ce que je veux raconter. Quitte à changer complètement d’outil, ou de partir dans une direction opposée à celle prise auparavant. L’expo, me sortant du cadre d’une page de BD, m’a permis d’utiliser des formats différents, de faire cohabiter des techniques, de réaliser de grands écarts qui ne colleraient pas forcément en bande dessinée. Je ne suis pas sûr du tout de maîtriser tous ces outils, mais j’adore mettre les mains dans des choses que je ne connais pas, ou très peu.

Des portes, mais qui un jour s’ouvrent sur des jardins, des maisons et des gens bien vivants

Alfred1
Venise, la nuit, vous fascine également.
J’ai passé des nuits entières à arpenter la ville. Une passion que je partage avec Ila Bêka, un ami vénitien réalisateur. Nous nous sommes livrés à une expérience rigolote : marcher une nuit dans Venise et chaque heure nous arrêter. Moi pour dessiner, sur mon carnet, lui pour me filmer tandis que nous parlions de la ville, du dessin, de la nuit. On en a tiré un film d’une heure qu’on a pu voir à l’exposition de Bordeaux. Dans Italiques, le livre, on découvre mes petits dessins réalisés à heures fixes.
Qu’est-ce que le spectacle Crumble Club ?
Mes parents sont comédiens et j’ai grandi dans ce milieu. C’est mon terreau, comme c’est celui d’Olivier Ka qui, lui, était comédien avant de devenir auteur. Il y a quinze ans, lorsque nous nous sommes rencontrés, cet amour du théâtre nous a soudés. L’envie de monter sur scène ne nous a plus lâchés.
Après Pourquoi j’ai tué Pierre, réalisé ensemble, on a eu envie de continuer à collaborer, mais sur un autre projet qu’un livre. Résultat, un spectacle, Crumble Club, à l’époque à destination des adultes. Un cabaret noir un peu grinçant où nous faisions vivre d’étranges personnages. Dont un majordome à l’anglaise qui racontait des histoires. Après avoir abandonné ce spectacle il y a quelques années, nous y sommes revenus avec l’idée de nous adresser, cette fois, aux gamins. Et on a commencé à écrire des chansons idiotes.
Pourquoi idiotes ?
Parce que c’est ce que nous faisons de mieux. Et Crumble Club a ressuscité. Il prend des formes différentes en fonction de nos envies. Le majordome raconte et chante nos histoires idiotes.

Sur scène, je suis l’homme-orchestre, avec guitare, piano et plein de petits instruments

Alfred2
Où donnez-vous ce spectacle ?
Dans des petits théâtres, dans des festivals. En décembre, nous donnerons à Bordeaux un spectacle qui tournera l’an prochain dans pas mal de festivals du livre jeunesse.
Avec un message ?
Absolument. À la fin du spectacle, nous invitons les enfants à ne jamais oublier de « rester imbéciles » ! Ce sont les deux mots d’ordre de nos chansons et de l’univers que nous développons avec Olivier. Ça marche plutôt bien. Leur demander de rester idiot les fait bien rire.
Pas envie de dessiner de nouveau pour les enfants ?
Si ! J’ai par exemple dessiné Octave, scénarisé par David Chauvel, en pensant à des enfants, mais sans être papa. Aujourd’hui, ma fille lit désormais des bouquins toute seule. J’aimerais en faire en pensant à elle, en m’adressant à elle. Sans doute l’année prochaine.
Alfred3
Votre fille, qui y a vécu ses premières années (Casemate 75), ne regrette-t-elle pas Venise ?
Le retour a été assez compliqué. Au bout de trois ans, cela va mieux. Mais elle se sent toujours partagée entre Bordeaux et Venise. Il n’est pas dit que nous ne repartions pas vivre là-bas… ou ailleurs !
Dessinateur, comédien et musicien ?
Bien sûr, depuis mes 10 ans, la musique ne m’a jamais quitté. Je joue beaucoup de guitare et tripatouille un peu tous les instruments. Je partage ma vie entre musique et dessin, même si celui-ci a toujours rempli 80 % de ma vie. Sur scène, je suis l’homme-orchestre, avec guitare, piano, percussions et plein de petits instruments qui font du bruit, comme les appeaux.
Vous avez déclaré que votre carrière d’auteur de BD pourrait s’arrêter en deux jours. Étiez-vous sérieux ?
C’était une formule pour rappeler que j’aime l’idée de ne pas savoir à l’avance ce que je vais faire. Aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose que raconter des histoires avec des dessins. Parce que c’est ce qui me porte. Effectivement, si un jour ce n’était plus le cas, je crois que je préférerais arrêter. Mais ce n’est absolument pas d’actualité !

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 75 – novembre 2014.

* Ensemble, ils ont signé Pourquoi j’ai tué Pierre (Delcourt), Les Contes imbéciles (L’Édune) et la série de livres jeunesse Monsieur Rouge (Petit à Petit).

ItaliquesItaliques,
Alfred,
Delcourt,
29,90 €,
19 novembre.