En 2008, dans Casemate 4, le grand maître Gotlib confiait son admiration pour Chauzy : « Il a une patte, des expressions et surtout une mise en couleurs dont je suis jaloux. Regardez comment il joue magnifiquement avec les blancs sur les visages. J’aimerais vraiment être capable d’en faire autant ! » Comment réagit aujourd’hui à ces propos l’auteur de Sang neuf, qui a eu Larcenet comme élève, entre autres, et auquel Casemate 177 consacre un dossier de six pages ?

Flatté par cet hommage de Gotlib ?
Jean-Christophe Chauzy : Je ne le connaissais pas. Ça va me faire ma journée ça !
Où vos inspirations graphiques prennent-elles leur source ?
Chez des gens comme Edmond Baudoin, Jacques de Loustal, José Muñoz, Max Cabanes. Ou dont je suis proche, parce que de la même génération, comme Nicolas Dumontheuil. Je me reconnais aussi chez Jean-Marc Rochette lorsque je fais de la couleur. J’espère arriver enfin à quelque chose qui me ressemble vraiment.
Avez-vous repris l’enseignement ?
Oui, au lycée de La Martinière Diderot, à Lyon. J’enseigne dans le pôle design. Donc, je suis professeur de graphisme, pas de BD.
Manu Larcenet a été votre élève. Il y en a eu d’autres ?
Il y a très longtemps, à Sèvres. Dans la même classe, Luc Jacamon. En débarquant, j’étais un peu intimidé devant des élèves âgés d’à peine quelques années de moins que moi. Et ce fut génial. Tout au long de mon parcours, j’ai eu la chance, de temps en temps, de voir passer des gens qui sont devenus auteurs et autrices, Manu Larcenet, Luc Jacamon, et j’en passe. Des dessinateurs de presse aussi, comme Thibaut Soulcié dont j’adore le travail, Lucile Gomez, Margaux Motin…

“Manu Larcenet a été un de mes élèves, comme Jacamon. J’avais un peu peur, et ce fut génial…”

Les retrouvez-vous dans les salons, en dédicace ?
Toujours avec plaisir. À Angoulême, dernièrement, j’ai revu Luc Jacamon et Guillaume Dumont. Des gens dont j’aime bien le boulot. On ne manque jamais l’occasion de se rappeler qu’il y a très, très, très longtemps, j’ai pu jouer un petit rôle de déclencheur dans leur aventure.
Vous qui donnez matière à réflexion dans vos albums, auriez pu faire un prof de philo tout à fait sympathique…
Peut-être parce que, lorsqu’on traverse le genre d’emmerdes que je raconte aujourd’hui dans Sang neuf, et qui m’ont fait très peur, on n’a plus trop envie de réaliser des bouquins de pur divertissement.
N’auriez-vous pas envie d’écrire des romans ?
Non, j’ai trop d’admiration pour l’écriture. C’est trop dur. Je ne suis pas Gainsbourg, qui pensait qu’on est capable d’exprimer des choses un peu costaudes dans plusieurs domaines. En tout cas, je n’ai pas assez confiance dans mes capacités. Enseigner la BD, ça, je le regretterai, étant plus près de la retraite que de mes débuts. Cela étant, je forme des jeunes, parfois de moins de 20 piges, dont je sais qu’ils se tourneront vers la BD. Du coup, je prends un malin plaisir à leur mettre dans les mains des bouquins qui vont les secouer. Faire découvrir à d’autres des œuvres qui m’ont changé, passer le témoin, c’est vraiment cool.

Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Supplément offert de Casemate n°177 – mars 2024


Pas de couleur, elle déconcentre

Jean-Christophe Chauzy : J’avais déjà touché à l’autofiction avec Petite Nature*. Son personnage est une sorte d’avatar qui me ressemble, mais qu’on suit dans des aventures que je n’ai pas vécues. La tonalité de Sang neuf est si grave que je craignais que les effets de la couleur distraient le lecteur que je souhaite concentré sur mon récit.
Mon noir et blanc hérite de tout mon travail, depuis des années, sur le rapport entre le pigment, la couleur et le papier. J’y ai trouvé, au fur et à mesure, une logique avec ce qui m’arrivait physiologiquement. Le dessin de tas de pages est relativement net. Alors que sur bien d’autres, moments d’incertitude, l’encre s’infuse dans le papier. Et cela en parallèle avec ce qui se produisait à l’intérieur de mon corps où des fluides s’asséchaient. Ces couches de fluides différentes m’ont donné l’idée de travailler l’intérieur en bichromie et l’extérieur en monochromie. J’ai gagné en temps à la réalisation sur ces planches plus courtes à faire, mais plus périlleuses. Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai dû refaire pas mal de pages du bouquin.
* Petite Nature – Intégrale, Jean-Christophe Chauzy, Fluide Glacial, 180 pages, 24,90 €, dispo.

Sang neuf,
Jean-Christophe Chauzy,
Casterman,
256 pages,
26,90 €,
dispo.

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