Comment Kergan, qui fit frémir la BD entre 1994 et 2001 le temps de six albums magistraux, est-il devenu vampire ? Yves Swolfs le raconte dans Casemate 79. Il révèle aussi vouloir poser ses crayons, au moins un temps pour se consacrer au scénario. Sur Casemate.fr il explique n’avoir pas cédé aux tentations du vampire light à la Twilight. Et revient sur le seul vrai bide de sa longue carrière.

TETIERE_Swolfs

Le mythe du vampire a-t-il évolué depuis les débuts de Kergan ?
SwolfsYves Swolfs : Le Chasseur, premier tome du Prince de la nuit, remonte à 1994, plus de vingt ans… Le vampire romantique des romans d’Anne Rice m’a toujours agacé, mais a donné un bon film, Entretien avec un vampire. Depuis, le thème est décliné à toutes les sauces. Jusqu’à Twilight que je qualifierais de Beverly Hills avec des vampires. Une péripétie du cinéma et du feuilleton américain pour ados. J’ai vu le premier film avec ma fille et ça m’a suffi. Le mythe du vampire est totalement détourné. J’en suis resté aux fondamentaux. Le vampire est un être malfaisant qui tue des gens. Je respecte le mythe en y apportant une lecture au second et au troisième degré en fonction de ce qu’il représente dans l’inconscient collectif.
Comment cela ?
Le Prince de la nuit est l’histoire de la lutte entre le Bien et le Mal absolu avec des implications un peu psychologiques. On va chercher un peu plus loin, au niveau de la psychanalyse, ce que le gentil et le méchant représentent. Et cela en conservant les poncifs et les atmosphères du genre, le gothique en particulier, toutes choses très agréables à dessiner.
Avez-vous toujours eu dans l’idée de réveiller Kergan ?
Oui, en prévoyant plusieurs possibilités. À l’issue du tome 6, Retour à Ruhenberg, une des protagonistes s’enfuit avec les mémoires de Kergan. Ce qui ouvrait la voie au récit de sa longue carrière à travers les siècles. Et dont La Première Mort, qui voit sa transformation, forme les prémices. D’un autre côté, un nazi emporte les cendres mêlées du vampire et du chasseur de vampires. Une voie dans laquelle je m’engagerai plus tard, mais que je ne dessinerai sans doute pas.

L’informatisation générale est probablement la plus grande dictature que le monde ait connue

003 PRINCE DE LA NUIT T07[BD].indd

Pas de résumé, n’est-ce pas un peu sévère pour une série sans nouveauté depuis 2001 ?
Glénat réédite les six premiers albums et les met en avant, à l’attention d’une nouvelle tranche de lecteurs plus jeunes, généralement branchés sur d’autres genres, et que la nouveauté interpellera peut-être.
Vous dites dans Casemate 79 vouloir prendre du champ avec le dessin. Une question d’âge ?
Non, je vais avoir 60 ans et je me prévois encore de longues années de travail. Mais je m’imagine volontiers travailler désormais sur quatre, cinq ou six projets différents. J’ai compris que je n’étais pas assez présent, assez disponible pour les dessinateurs qui collaborent avec moi. Je vais donc passer plus de temps avec eux, descendre de ma tour d’ivoire de dessinateur.
Vous évoquez aussi dans Casemate 79 une série parallèle avec Kergan dans notre futur. Comment le voyez-vous ?
Pas très optimiste, je me fais du souci pour la génération de ma fille de 20 ans. Nous sommes en pleine mutation à différents niveaux et nous préparons des périodes difficiles.
De quoi avez-vous peur ?
L’hyper technologie de la communication nous pousse à une surconsommation absurde qui nous entraîne à laisser tomber l’essentiel dans une course à la possession du dernier écran, du dernier téléphone. Même si j’ai toujours du mal avec les ordinateurs, je suis bien conscient qu’il faut s’adapter à l’évolution du monde, mais il me semble que l’informatisation générale est probablement la plus grande dictature que le monde ait jamais connue. Elle a rendu tout le monde dépendant de quelque chose qui nous met sous surveillance et peut diffuser toutes sortes de rumeurs instantanément. Ainsi que toutes les propagandes. On s’en aperçoit chaque jour.

L’informatisation générale est probablement la plus grande dictature que le monde ait connue

003 PRINCE DE LA NUIT T07[BD].indd

Auteur à succès, vous avez connu l’échec avec Rémission. Avez-vous compris pourquoi ?
Rémission raconte l’histoire d’une fille souffrant d’un cancer qui se retrouve face à son père. Ils vont régler un certain nombre de choses familiales. Après cette expérience, l’héroïne découvrira qu’elle est entrée en rémission.
À l’époque, avant que ma vie personnelle ne soit un peu bousculée, j’avais imaginé une collection de one shots fantastiques avec une pagination supérieure. J’avais écrit, ils sont toujours dans mes tiroirs, quelques one shots dont Rémission était le premier. Finalement, la collection ne s’est pas faite et seul Rémission a été publié.
Ce one shot dessiné par Brice Cossu et paru en 2008 chez Soleil a été à peu près mon seul échec éditorial. Pour moi, une histoire comme celle-là aurait dû paraître dans une collection comme Aire Libre chez Dupuis, ou encore Signé au Lombard par exemple, et non pas comme un album non-authentifié chez Soleil. Brice Cossu et moi avons eu de bons retours de spécialistes du cancer, de psychologues, de gens souffrant de cette maladie et qui trouvaient une résonnance à leurs problèmes dans notre album. Mais le public BD, et le monde de la BD, sont complètement passés à côté. Je pense qu’il en aurait été différent si le phénomène collection avait joué et si nous avions édité plusieurs titres.
Vos trois séries, Durango, le Prince, Légende vous suffisent-elles aujourd’hui ?
Je réfléchis à une ou deux autres. Oui, je me verrais bien à la tête de quatre ou cinq univers ! Plus une collection de one shots (on y revient). Certains dessinateurs, déjà lancés dans des séries, feraient bien, en revanche, un bout de chemin avec moi. Avec eux, je me lancerais bien dans une collection western composée de one shots ou de diptyques. Des westerns atypiques qui n’auraient rien de copier-coller de Durango.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 79 – mars 2015.

501 PRINCE DE LA NUIT T07[BD].inddLe Prince de la nuit #7,
La Première Mort,
Yves Swolfs,
Glénat,
13,90 €,
11 mars.
Nouvelles éditions
des tomes 1 à 6.

Archives Casemate
Swolfs recentre son tir, Casemate 54,
Cherche jumeau désespérément, Casemate 33,
Nouveau carnet de balles, Casemate 12

003 PRINCE DE LA NUIT T07[BD].indd