Pas de quoi s’extasier devant le bilan écolo des cinq grosses boîtes américaines qui règnent sur la technologie : une conso d’énergie phénoménale, un tiers-monde pillé et servant de poubelle, explique Philippe Squarzoni dans Casemate 162 (en vente), alors que sort son Saison brune 2.0. Suite de son interview et annonce de sa prochaine cible. Et, là, il porte le fer loin, mais vraiment très loin.

Comment les entreprises GAFAM* se sont-elles imposées au monde en quelques décennies ?
Philippe Squarzoni : Nées dans la Silicon Valley des années 70 et 80 avec une idéologie soi-disant libertaire, elles promettaient un internet horizontal et accessible. Finalement, elles privatisent le monde comme les autres multinationales, posent leurs propres câbles sous-marins, avec une mainmise totale sur l’économie numérique. On s’inquiète lorsque la Russie ou l’Iran contrôlent internet au détriment de leurs citoyens. Mais de notre côté, de grands groupes privés les régulent. Le bras de fer avec eux en devient de plus en plus compliqué.
Quelles sont les vertus environnementales dont se vantent les GAFAM ?
Remplacer par le numérique des usages lourds et polluants, comme le papier, les transports pour se rendre au travail, etc. Les GAFAM se donnent une image verte en plantant quelques arbres. Poudre aux yeux. Les technologies ne se remplacent pas, mais s’empilent. L’aspirateur n’a jamais remplacé le balai !
Comment faire payer les GAFAM ?
Ces entreprises, les plus riches de la planète, ont une influence occulte sur nos vies. Les États, qui ont besoin de sous, veulent récupérer une part des impôts non payés par les GAFAM. Sans trop prendre de risques : quelques centaines de millions de dollars alors qu’ils gagnent des milliards. Pas vraiment une réponse radicale, vu la concentration des pouvoirs autour des GAFAM. Il faudrait plutôt freiner leur collecte de données, en contrôlant les algorithmes qui s’insinuent dans la vie des gens.

“Ses promesses d’aventure martienne semblent  inconcevables au regard de leur coût écologique…”

Dans les années 90, vous étiez engagé à ATTAC. Aujourd’hui ?
Mon militantisme s’est déporté vers ma pratique d’auteur. Mes bandes dessinées, toujours en phase avec mes convictions, me donnent l’impression de continuer mon travail politique. Quand j’arrête le soir, j’ai davantage envie de me poser que d’ouvrir un autre espace d’action politique.
Pourquoi tant de pages muettes ?
J’ai cherché une narration différente de mes précédentes productions. L’aérer, jusqu’à l’interrompre par ces interludes, est une autre façon d’exprimer mes inquiétudes. J’ai mis du temps à élaborer ces scènes sans paroles, autre façon de faire de la bande dessinée documentaire. Surcharger les planches de texte au détriment de l’image se révèle un piège récurrent.
Vos projets ?
Delcourt et La Découverte veulent lancer une collection où collaboreraient écrivains et dessinateurs. Je compte travailler à l’adaptation BD de l’œuvre du sociologue Bruno Latour. Et envisage un troisième Saison brune qui s’intéresserait aux satellites d’Elon Musk, patron de Tesla et SpaceX, et aux promesses d’une aventure martienne qui apparaissent inconcevables au regard de leur coût écologique.

Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°162 – novembre 2022.

* Acronyme dont les lettres correspondent aux cinq firmes numériques dominantes du marché : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.


« Avec 4 degrés de plus… »

Comment expliquer les vagues de chaleur cet été en France ?
Philippe Squarzoni : Ces canicules étaient prévues. Les rapports du GIEC avaient annoncé leur plus forte intensité et régularité. Pendant longtemps, on s’est répété que le réchauffement climatique concernerait les générations suivantes. C’est bon, on y est. Les scénarios de réchauffement à 1,5 ou 2 degrés sont dépassés, on se dirige tout droit vers 4 degrés. Cela induit des catastrophes climatiques bien plus fréquentes, une montée des eaux catastrophique pour de nombreuses régions du globe. Les conséquences seront lourdes en termes de déplacements de population et d’instabilité sociopolitique.
Les questions écologiques ont gagné en légitimité depuis dix ans. Une victoire ?
En demi-teinte. Elle vient tard et ne résout pas tout. Une grande partie du débat public reste un pur divertissement mené par des pseudo-experts qui nient le dérèglement climatique. C’est pourquoi je mets en scène des types comme Zemmour et Finkielkraut. En une décennie, il ne s’est pas passé grand-chose de concret en faveur de l’écologie.

“Comment imposer des restrictions à notre mode de vie sans laisser la population sur le carreau ?”

Comment expliquer l’inaction de Macron dans ce domaine ?
Notre président n’a pas le logiciel écologique, mais plutôt celui de la performance et de la compétitivité. Mais il ne peut plus passer sous silence certaines évidences. Il déclare que refuser la 5G nous obligera à nous éclairer à la bougie. Cela dénote une méconnaissance phénoménale du problème.
Est-il déjà trop tard pour agir ?
Non, mais il va être difficile de changer à temps une machine, un modèle de société aussi opposé à notre survie sur le long terme. Autre problème : comment imposer des restrictions à notre mode de vie sans laisser la population sur le carreau ? Si on s’y était pris plus tôt, la transition aurait pu se faire à un rythme acceptable. Je disais à la fin du premier Saison brune, en 2012, qu’on pouvait y arriver, mais que ce ne serait pas simple. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’on y arrive.

MJ

Saison brune 2.0,
(Nos empreintes digitales),
Philippe Squarzoni,
Delcourt,
206 pages,
21,90 €,
2 novembre 2022.

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