Raconter la Révolution française en suivant des anonymes, « faire entrer par la grande porte tous ceux qui ont été chassés volontairement des livres ». C’est le but et la force de Révolution, immense fresque historique et romancée signée Florent Grouazel et Younn Locard dont paraît le deuxième tome. Suite et fin de leurs interviews (dossier de six pages dans Casemate 164, en vente).
Comment expliquer ce regain d’intérêt pour la période révolutionnaire ?
Younn Locard : L’époque passionne à tous les étages. Plusieurs auteurs, quand notre livre est sorti, nous ont dit : « Et moi qui pensais faire un bouquin sur la Révolution ! » Il y a une envie d’autres récits que ceux tenus par l’État sur la Révolution, le plus souvent réactionnaires.
Quelles sont les intentions du roi quand il fuit en juin 1791 ?
Rejoindre les troupes autrichiennes afin d’écraser la révolution par les armes. S’attendant à être envahis de toutes parts, les Français s’arment. Certains députés tentent d’installer la République avec ses nouvelles institutions. Le roi capturé, ils seront de nouveau obligés de composer avec lui.
Ne vouliez-vous pas mettre en scène les révoltes d’esclaves à Saint-Domingue ?
Il nous semblait inconcevable de raconter la Révolution française sans aborder ce qu’il se passe à Saint-Domingue, qui deviendra Haïti. Car toute la manne financière de la Révolution vient des industries du sucre et du café de nos colonies. Tout ce projet démocratique repose donc sur l’esclavage. Nous avons écrit des scènes se déroulant à Saint-Domingue, recalées faute de place. Mais Isabelle de Cabanel, inspirée d’une métisse jamaïcaine, libre de couleur (personnes pas esclaves, mais sans droits civiques), nous permet d’incarner ces enjeux coloniaux au sein de la situation révolutionnaire. L’histoire de Saint-Domingue mériterait une série à elle seule, tant son indépendance a été un évènement de premier plan. Elle est devenue la première République noire, au sein des Caraïbes où les puissances occidentales asservissaient des milliers d’esclaves venus d’Afrique.
“Toute la manne financière de notre Révolution vient de nos colonies et repose sur l’esclavage” — YOUNN LOCARD
Florent Grouazel : Des gens comme le député Augustin Kervélégan déclarent que leur combat est universel, alors qu’ils en excluent les femmes, les pauvres et les esclaves. Notre universalisme à la française représente donc surtout les hommes blancs riches âgés d’au moins 30 ou 40 ans. Nous tenions à prendre en compte cela dans notre lecture historique de la Révolution française.
Quelle est-elle ?
Locard : Nous postulons que l’Histoire n’est pas faite par les grands hommes, mais par des individus aux aspirations multiples. Louise affirme : « Ma vie n’est pas de celles qui méritent qu’on les raconte. » On cherche justement le contraire. L’intérêt romanesque gagne aussi au récit de moments de vie collective, d’alliances contradictoires entre des anonymes, plutôt que suivre des personnages tout-puissants qu’on s’attend à voir triompher ou chuter.
Grouazel : Parmi les historiens, existe depuis quelque temps l’idée d’une histoire « par le bas ». Ses promoteurs les plus connus, Howard Zinn et Gérard Noiriel, ont respectivement écrit des histoires populaires des États-Unis et de la France. Ces études font entrer par la grande porte tous ceux qui ont été chassés volontairement des livres.
La documentation vous donne-t-elle souvent des idées ?
C’est souvent l’inverse : elle valide certaines de nos inventions fictives. Ainsi avons-nous imaginé que notre monarchiste de Laigret utilise dans sa feuille de chou des codes de la caricature révolutionnaire pour prôner des idées réactionnaires. J’ai récemment lu dans un compte-rendu de colloque que des royalistes ont réellement eu cette démarche.
“Notre universalisme à la française représente surtout les Blancs riches d’au moins 30-40 ans” — FLORENT GROUAZEL
Quel ouvrage d’Histoire grand public conseillerez-vous pour approfondir ses connaissances sur la Révolution française ?
Une histoire de la Révolution française d’Éric Hazan.
Locard : Une résidence au musée de la Révolution française de Vizille, avec le centre de ressources Albert Soboul, nous a permis d’accéder à toute une nouvelle documentation. On achète des vieux livres des années 20, on se plonge dans des études toutes récentes comme celle d’un jeune chercheur qui nous a envoyé sa thèse pas encore publiée sur la police à Paris pendant la Révolution.
Ceux de 1789 ont-ils des héritiers ?
Grouazel : Les Gilets jaunes sont les premiers depuis longtemps à se revendiquer de l’esprit révolutionnaire. Les voir s’organiser entre eux alors qu’on travaillait sur le premier tome fut magique. Ces gens qui n’ont jamais voix au chapitre se sont mis à revendiquer de nouvelles idées, à faire de la politique. C’était précisément l’ambiance que nous cherchions à retranscrire dans notre BD.
Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°164 – janvier 2023.
Révolution #2/4,
Égalité – livre 1,
Florent Grouazel & Younn Locard,
Actes Sud – L’An 2,
300 pages,
28 €,
4 janvier 2023.