1758. C’est la guerre entre Français et Britanniques au Nouveau Monde. Pour Jean, le héros de Patrick Prugne dans son nouvel album Tomahawk, c’est aussi la traque d’un grizzly monstrueux qui a fait son malheur. Dans le 32 pages que lui consacre Casemate 136, l’auteur montre comment les Français ont tenté d’arriver à vivre en bonne intelligence avec les Indiens, mariages mixtes compris. Un rêve qui s’est envolé au son des canons. Suite et fin de son interview.

Pourquoi les Britanniques appelaient-ils la guerre de Sept Ans « French and Indian War » ?
Patrick Prugne : Parce que les Français combattaient beaucoup avec leurs amis amérindiens. Les deux pays colonisateurs pratiquaient des politiques très différentes. Les Français s’implantaient beaucoup plus dans le milieu autochtone, cherchaient à sympathiser avec les tribus. Je reprends, dans le cahier d’illustrations qui complète Iroquois, une citation de Champlain, fondateur de Québec, s’adressant aux Hurons : « Quand notre grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles et nous ne serons plus qu’un peuple. » Je crois qu’il était sincère, que lui et ses hommes ont vraiment essayé de se fondre dans ce nouvel univers. Avec évidemment tout ce qui va avec. Dont les jésuites qui parcourent les tribus pour les évangéliser. Ces gens-là ne considéraient pas ces territoires comme des terres de conquête à la mode anglaise. Je ne voudrais pas faire du cocoricoïsme, mais cela s’est réellement passé ainsi. Les Anglais, eux, appliquaient la méthode du rouleau compresseur : on avance et on installe des colons.
Pourtant, les Anglais ont bien fait alliance avec les Iroquois !
Oui, mais surtout dans le but de ne pas avoir de problèmes avec eux, et aussi de commercer. Champlain a laissé pas mal de documents. Le Canada était toute sa vie. Hélas, son rêve de faire vivre en symbiose deux mondes si différents n’a pas marché.
Ces Français amenaient quand même leur monde avec eux, ainsi les bâtiments que vous montrez semblent sortir de terre normande.
Vous ne vouliez tout de même pas qu’ils vivent dans des tipis ! Les bâtisses du Vieux-Québec sont carrément bretonnes. Le Fort Carillon qu’on découvre dans Tomahawk est typiquement une construction à la Vauban. J’ai aimé mélanger ce style architectural très typé et ces immenses forêts quasiment vierges.

Champlain : “Alors nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne serons qu’un peuple.”

Dans Casemate, vous dites inventer vos histoires, en collant à la réalité. Pas tenté de raconter simplement cette réalité qui souvent dépasse la fiction ?
Je l’ai fait une fois et me suis juré de ne plus recommencer. Dans Iroquois, j’ai collé à la lettre aux carnets de Champlain, très précis, où il note quasiment chaque détail de son expédition, décrivant exactement les endroits, les trajets de sa troupe partie donner une leçon aux Iroquois un peu trop agressifs. Du coup, je m’interdisais toute digression. Impossible, par exemple, de faire attaquer la colonne, ou même – alors que j’en avais très envie – d’y glisser un affrontement avec un grizzly ! Je ne regrette pas du tout d’avoir procédé ainsi, car je tenais à raconter cet épisode. Mais une fois suffit tant je me suis senti ligoté.
Un autre album vous a-t-il aussi laissé frustré ?
Vanikoro. J’avais très envie de raconter l’expédition La Pérouse. Mais, moi qui adore dessiner les animaux – vous en découvrirez beaucoup dans Tomahawk –, n’y ai pas trouvé mon bonheur. La majorité de l’album se passe sur l’eau donc, à part quelques requins et crocodiles marins, sans faune sauvage. Sur terre, j’ai dû me contenter de croquer des cochons de brousse. Alors, de temps en temps, je dessinais quelques oiseaux, une grenouille, mais c’était très limité.
Et maintenant ? Vous aviez évoqué la possibilité de retrouver les personnages de Pawnee dix ou quinze ans plus tard.
Vrai, mais je me méfie du temps qui passe. Et de l’envie de faire du neuf avec du vieux. Il faudrait vraiment que cela soit justifié. Pawnee existe parce que j’avais laissé trop de choses en suspens à la fin de Frenchman. J’aurais pu ensuite suivre Toussaint et Alban lors de l’expédition Lewis et Clark, la première à tenter de rallier les côtes du Pacifique par la terre. J’ai estimé que cela serait un peu trop facile.
Vous pourriez aussi raconter la bataille de Fort Carillon qui s’annonce aux ultimes planches de Tomahawk !
Je pourrais. Mais, désolé, je ne suis pas un auteur à sagas.

“Donner une suite à Pawnee, à Tomahawk ? Faire du neuf avec du vieux ? Je me méfie”

Existe-t-il des objets d’époque, des masques, broches, porte-bébés indiens ?
La littérature sur la culture indienne est très importante. Mais il reste peu de vestiges indiens dans les musées. Ainsi à celui du Quai Branly, à Paris, dans sa partie amérindienne, il n’y a rien sur les Hurons du 17e siècle. Il faut attendre le 19e siècle pour admirer surtout des colliers et des parures sioux de l’époque. C’est dommage. En revanche, des livres répertorient avec dessins à l’appui des objets de ce temps-là, par exemple les massues, casse-têtes, etc.
Dessinateur dans des magazines, vous cantonnez-vous à votre période favorite ?
J’ai travaillé pour Guerres & Histoire, bimestriel sur l’histoire militaire, et Le Figaro Magazine, mais sans jamais toucher aux conflits modernes. Pour un numéro spécial du second sur les Français qui ont marqué le Nouveau Monde, ils m’ont demandé Montcalm et un chef indien. Ils savent bien que, par exemple pour la Seconde Guerre mondiale, il vaut mieux s’adresser à quelqu’un comme Philippe Jarbinet, l’auteur complet de la série Airborne 44. Guerres & Histoire a aussi publié des illustrations d’attaque des tuniques rouges par des Indiens tirées de Canoë Bay.
Tiens je vais vous faire plaisir. Mes couvertures sont le plus souvent sans mouvement, à l’exception de celle d’Iroquois, où l’on voit des Indiens courir sur un tronc d’arbre au-dessus d’un précipice. J’ai vu la couverture de Casemate et des projets pour celle de votre 32 pages. Toutes en mouvement, elles. Eh bien, je trouve qu’elles fonctionnent très bien, j’aime ça. Et donc j’avais tort !

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°136 – juillet-août 2020.

Tomahawk,
Patrick Prugne,
Éditions Daniel Maghen,
96 pages,
19,50 €,
3 septembre 2020.

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