Casemate, on nous le reproche parfois, n’est pas le champion de la nécro, cet art qui consiste à dire du bien de nos chers disparus. Nous préférons, et de loin, quand un auteur de la pointure d’un René Pétillon s’éclipse sur la pointe des pieds, à 72 ans, lui redonner une dernière fois la parole. Facile, car le papa de Palmer, le privé plus bête que ses pieds, le dessinateur prodigieux du Canard enchaîné qui à ce jour n’a pas été remplacé, a toujours ouvert toutes grandes ses portes à ceux qui y frappaient en disant « Bonjour, c’est BoDoï », « Bonjour, c’est Casemate ».
BoDoï 44, août-septembre 2001
BoDoï, facétieux, organise un déjeuner entre deux auteurs ayant passé la Corse à la moulinette de l’amour plus ou moins souriant, plus ou moins vache. Entre la poire et le fromage, face à un Albert Uderzo hilare, Pétillon se lâche…
La Corse ? Je l’aime moi non plus
René Pétillon : Je conservais le souvenir d’un voyage à Corte. Une scène m’avait beaucoup impressionné. On avait repéré une terrasse de bistrot en surplomb de la rue. On est entrés, personne ne nous a dit bonjour, évidemment. Alors on s’est dit qu’en allant sur la terrasse, on avait des chances d’être vus par le patron, voire même servis. À ce moment, un type est sorti d’une Golf, a ouvert tranquillement le coffre et en a tiré… un flingue !
Des journalistes ont demandé à des élus locaux s’ils avaient lu mon album, et tout le monde dit avoir adoré. Mais je ne suis pas dupe. Il y a là une opération de relations publiques visant à montrer que, tout indépendantistes qu’ils sont, ils ont de l’humour. Ce qui m’a amené à serrer la main à des personnalités très… contrastées et diverses.
La traduction de l’album en corse vient de sortir. Et deux lettres de protestation sont déjà parvenues chez Albin Michel ! Il paraît que leur traducteur a commis plein d’italianismes, je n’aimerais pas être à sa place… Le plus étonnant est que j’ai reçu plusieurs lecteurs corses me racontant des histoires de famille insensées que je ne pourrais pas utiliser dans un scénario. Personne ne voudrait avaler ça ! Le genre de lettre qui commence par : « Son père n’est pas son père, c’est le curé du village… »
La Corse est une île qui semble cultiver les particularismes. Quand j’ai été invité à Bastia, le maire fit un speech expliquant qu’il n’avait pas mal pris ma petite histoire, car visiblement, l’histoire se déroulait à Ajaccio !
À Bastia, lors d’une séance de dédicaces, un gars s’est pointé avec un air martial, et m’a fait : « Hem… c’est pour un gendarme. » J’ai su après que pas mal d’indépendantistes notoires étaient passés devant ma table sans se faire connaître.
Propos recueillis par Jean-Marc VIDAL
Jack Palmer #12, L’Enquête corse, Dargaud.
BoDoï 92, janvier 2006
Pétillon s’attaque au voile, dont le port ou non déchire notre société. Un sujet chaud bouillant qui lui tient au cœur. Et aux tripes.
Le voile et le string
Étiez-vous pour l’interdiction du voile à l’école ?
René Pétillon : Évidemment ! Il fallait une loi pour plusieurs raisons. Jusqu’à son vote, les sanctions face aux élèves voilées étaient laissées à l’appréciation des directeurs d’établissements. D’où des décisions contradictoires qui donnaient lieu à des procès en série. Et à des jugements contradictoires. Une situation ubuesque !
Deuxième raison, j’ai longtemps habité à Belleville et je m’y balade encore souvent. On croise des jeunes filles voilées qui n’ont pas 12 ans ! Des jeunes qui passeront directement de l’enfance à l’âge adulte sans savoir ce qu’est ne pas porter le voile. Le seul moyen de leur donner la possibilité d’avoir au moins le choix, c’est l’école.
Troisième raison : je m’inquiétais des conséquences du port du voile à l’école. Ça a commencé par des exemptions pour les cours de gym, puis des problèmes de visites médicales, puis une remise en cause de l’enseignement de l’Histoire. À Lyon, dans des écoles où les filles voilées étaient assez nombreuses, les filles non voilées se faisaient traiter de salopes ! À Lille, la maire, Martine Aubry, a accepté de réserver certains horaires de la piscine municipale aux femmes musulmanes. Je n’ai jamais compris cette erreur. Elle voulait sans doute avoir la paix. C’est une illusion. On n’achète pas la paix ainsi.
Donc il fallait arrêter ça. L’interdiction du voile dans les établissements scolaires me semble être la moins mauvaise solution. En tout cas, elle est efficace.
Quelle est votre bible ?
La loi de 1905 qui a scellé la séparation de l’Église et de l’État, et institue l’école de la République pour tous. Il ne faut pas y toucher et l’appliquer complètement. Elle fait partie des choses fondamentales, comme la démocratie. Un État doit se faire respecter. Quand il fait preuve d’autorité, ça marche. La preuve, le voile dans les écoles. Je ne prêche pas pour un gouvernement autoritaire, mais il y a des choses sur lesquelles il faut tenir.
En face des voiles, on aperçoit parfois des strings très apparents.
C’est la même chose. Je trouve aberrant que des parents acceptent que leurs mômes de 12 ans, qui ne sont pas encore des femmes, portent des strings bien visibles sous un pantalon taille basse. Je trouve ahurissant de croiser des petites filles maquillées dans la rue. C’est d’une bêtise à pleurer. En les voyant, j’ai presque la même réaction que devant une fille voilée de 12 ans. Ce sont des enfants que l’on ne laisse pas être des enfants. On leur colle un truc, soit religieux, soit une apparence sexy totalement en dehors de leur âge. C’est lamentable. Ça me révolte.
Au bonheur du Canard
Combien de dessins faites-vous par semaine pour le Canard enchaîné ?
Huit, parfois dix, ils en passent six. Nous sommes douze dessinateurs, à six-huit dessins par personne, la rédaction en chef a le choix ! Heureusement, nous sommes mensualisés. Le Canard nous paie bien, dans un bon climat, sans jamais nous harceler. Ce sont des conditions de travail idéales. Je m’y mets le dimanche après-midi. Je dois livrer mes dessins le mardi midi au plus tard, l’hebdo sortant le mercredi matin.
Quelle est votre période de travail préférée ?
Lorsque je jette les premiers crayonnés sur le papier. Un régal absolu. Après avoir ramé des mois, voir ses personnages se préciser, les faire parler, faire venir les gags, est une jubilation totale.
Gays ? Lisez König
Pourquoi avoir renoncé à un album sur les gays ?
Je n’étais pas content de mon histoire et surtout, entre-temps, j’ai découvert l’univers de Ralph König. Ce que fait cet Allemand est drôle, magnifique, formidable. J’ai estimé que je ne pourrais jamais décrire ce monde aussi bien que lui. Ça m’a démotivé. Finalement, c’est un sujet plus social que politique. Et ce que j’aime, c’est la politique.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Jack Palmer #13, L’Affaire du voile, Albin Michel.
CASEMATE 20, novembre 2009
Pour les 34 ans de son Jack Palmer, pas une ride à l’imper ni au chapeau mou, Pétillon le propulse vitesse grand V dans les emmerdes inextricables de la finance.
Les dessous des sous
Votre enquête sur le Bürgenzell, capitale mondiale de la finance louche et du gugelhupf réunis, tombe à pic entre krach boursier et procès Clearstream.
René Pétillon : Mais je n’ai rien prémédité ! J’ai commencé le scénario en juillet l’année dernière et le krach est arrivé en septembre. J’ai d’ailleurs dû faire pas mal de modifications pour intégrer cet évènement. Il y a très longtemps que je voulais faire quelque chose sur la finance, avant même L’Enquête corse. Quand je regarde mes vieux carnets, je retrouve des pense-bêtes du genre « paradis fiscal, valise de billets »…
Comment avez-vous construit votre histoire ?
Par petits bouts, des articles de presse, des notes. Je garde pas mal de coupures de presse, je cherche sur le Net – on en trouve des choses ! – et puis arrive le moment où je m’informe plus sérieusement. C’est comme ça que je suis tombé sur le rapport Montebourg-Peillon concernant les paradis fiscaux, datant de 2000 ! Ce que j’ai découvert est proprement ahurissant, sidérant ! En annexe, il y a des notes des services secrets allemands et des documents accablants. On parle des paradis fiscaux, mais moins du blanchiment : et pourtant, il circule des chiffres, des estimations proprement incroyables.
On vous sent jubiler.
C’est très étrange. Il y a une contradiction entre la fonction d’humoriste et celle de citoyen. Le premier se délecte de ce qui ne va pas quand le second s’en désole. En même temps, tout le monde se précipite toujours sur les trucs qui ne vont pas !
Pas encore de réaction de l’administration fiscale ?
C’est marrant, j’ai reçu une lettre par l’intermédiaire du journal d’un monsieur qui s’appelle Palmer et travaille aux impôts. Il a découvert Jack Palmer presque à la fin de la série et m’écrit texto : « Je ne comprenais pas pourquoi, depuis quelque temps, mes collègues se moquaient de moi avant de me conseiller de lire le Canard enchaîné. » Sa lettre est très drôle, il termine par : « À titre de dommages et intérêts, et sous réserve des poursuites que je me réserve le droit d’exercer, je souhaiterais recevoir un exemplaire de cet album ! » Évidemment, je vais le lui envoyer avec plaisir !
Dessiner, mode d’emploi
Comment procédez-vous, jetez-vous beaucoup ?
Je crobarde, je crobarde, je crobarde tout au crayon rapidement.
Pas de synopsis, de découpage, de dialogues au millimètre ?
J’en suis incapable. Mes idées naissent en crobardant. Devant une feuille blanche ou l’écran d’un ordinateur, je ne trouve rien.
Comment vient le déclic ?
Je ne sais pas, un mélange. Je dessine une tronche, elle me dit quelque chose et le reste s’enchaîne. Une dynamique s’installe, due sans doute aussi au plaisir du dessin. Tout se fait à mon insu.
Dormez-vous avec un carnet à portée de main ?
Non, mais quand j’écris le scénar, j’y pense tout le temps. Ma femme me le dit souvent : « Tu n’es pas là ! »
Le premier jet est-il le bon ?
En général, une nuit de sommeil et l’on regarde d’un autre œil ce qu’on a fait la veille. Le matin, je raye beaucoup. Le premier jet, il n’en reste pas grand-chose ! J’avance, j’avance. Si à un moment ça coince, c’est qu’un rouage ne fonctionne pas. Là, je casse tout et je recommence.
C’est un exercice exigeant.
Entre l’écriture du scénario, le crayon et l’encrage, c’est le scénar que je préfère. J’aime bien le crayon. L’encrage, c’est particulier, cela relève presque de l’exercice physique. Il faut être en pleine forme, avoir du souffle et de la résistance. À ce stade, il faut une discipline de vie que j’ai parfois du mal à m’imposer. Je me dis, par exemple : « Aujourd’hui, je fais trois planches, donc je ne bois que deux verres de vin ce soir, et pas plus. » Ce genre de choses…
Propos recueillis par Antoine BÉHOUST
Jack Palmer #16, Enquête au paradis, Dargaud.
Évidemment, les pages de Casemate sont souvent trop petites pour contenir tout ce que nous confient les auteurs. Et à l’époque, les suites d’interviews publiées sur casemate.fr n’existaient pas encore. Voici donc de l’inédit, la suite de l’entretien que Pétillon a alors accordé à Antoine Béhoust.
La politique ? Une comédie
La politique, au départ, une passion ?
René Pétillon : En tout cas un vrai intérêt. Mais je n’aimerais pas être dessinateur de presse à plein temps, ça deviendrait obsessionnel. Et puis, l’humoriste et le citoyen, ce n’est pas tout à fait pareil. J’ai toujours voté sérieusement. Pour le reste, j’essaie de voir ce qui ne va pas. L’aspect Comédie humaine de la politique est absolument formidable. Ce monde fourmille de situations extrêmes où s’agitent des personnalités fortes et souvent spectaculaires. C’est étrange, il y a une contradiction entre la fonction d’humoriste et celle de citoyen. L’humoriste se délecte de ce qui ne va pas quand le citoyen s’en désole. D’où une espèce de schizophrénie, légère, légère…
Y a-t-il des réactions virulentes à vos dessins dans le Canard ?
Pas tellement. Les politiques aiment bien qu’on parle d’eux. Ce qui les désole le plus c’est de ne pas exister. Évidemment, quand cela concerne leurs adversaires, ils sont ravis. Quand cela les concerne eux, beaucoup moins, ce que je comprends. Mais je fais très attention à ne pas dire n’importe quoi. J’essaie de respecter les faits. C’est peut-être pour cela que je n’ai pas beaucoup de réactions. À partir du moment où les faits sont patentés, qu’il s’agit juste d’un décalage humoristique, ils peuvent difficilement se plaindre.
Comment attraper une expression qui, à elle seule, résumera parfaitement un personnage ?
Je pense que la BD apprend à mettre en situation des êtres que les caricaturistes purs représentent de façon ultra ressemblante, mais dans un jeu peut-être pas très varié. Je m’amuse davantage à les mettre en situation qu’à les représenter fidèlement.
Fréquentez-vous les hommes politiques ?
Jamais, comme les autres dessinateurs du Canard. C’est un jeu dangereux. Des amitiés pourraient naître, tout comme des antipathies exagérées.
Les journalistes politiques sont bien obligés de les fréquenter !
Je ne sais pas comment ils se débrouillent ! Ça ne doit pas toujours être simple pour eux.
Bataille pour LA carte
Auteur de BD et dessinateur de presse, est-ce compatible ?
Bien sûr, sauf parfois pour la commission de la carte de presse. Normalement, pour avoir votre carte, votre activité de journaliste doit représenter au moins 50 % de vos revenus. Certaines années, ce ne fut pas le cas, car certains bouquins ont fait exploser le compteur.
Je me suis défendu, par exemple avec L’Enquête corse, en plaidant que la BD avait d’abord été prépubliée dans L’Écho des Savanes qui, possédant son numéro de commission paritaire, était considéré comme un organe de presse. Donc mon histoire était de l’actualité. J’ai perdu en première instance et il a fallu que j’aille en commission de conciliation. J’y tenais pour une question de principe. C’est paradoxal : pour la commission de la carte de presse, les journalistes ont le droit de publier des bouquins à la condition que ceux-ci ne se vendent pas ! En plus, sur l’ensemble de ma carrière de journaliste, les droits d’auteur ne représentent pas la moitié de mes revenus. Il est normal de faire une moyenne entre années avec et années sans.
CASEMATE 62, août-septembre 2013
Été 2013. Pétillon charge son fusil au poivre qui gratte et la joue tir groupé contre les algues vertes, les éleveurs de cochons et l’art moderne. Tout ça à cause d’un tas de chaussures de tennis.
De l’art au lard
Enfin la Bretagne !
René Pétillon : Ça fait des années que je rêvais de faire venir Palmer en Bretagne. Je voulais un sujet montrant les particularismes bretons. Notamment l’algue verte. J’étais obsédé par l’idée de commencer une histoire à partir d’un conteneur d’art contemporain échoué sur des côtes rocheuses. Une spécialité bretonne. Du coup, l’algue verte est venue naturellement. C’est un sujet de préoccupation majeur ici. Tout s’est enchaîné. Je me suis souvenu de la photo d’un conteneur plein de tennis échoué sur je ne sais plus quelle côte. On voyait des chaussures partout. Ça a dû me faire penser à l’art contemporain. C’est le genre de choses qu’on peut y voir. Beaucoup d’humoristes procèdent par association d’idées sans liens entre elles. En se catapultant, elles peuvent déclencher un effet comique.
Comme souvent, vos personnages sont inspirés de personnages réels.
Même s’ils ne sont pas ressemblants, les deux collectionneurs rivaux sont évidemment Bernard Arnault et François Pinault. Cette rivalité, bien connue, est assez poilante. Je m’en suis inspiré.
L’art contemporain vous intéresse-t-il ?
Difficile de l’ignorer, on en parle, il y a beaucoup d’expositions d’art contemporain. À la FIAC, je vois des trucs intéressants, d’autres qui me font marrer parce qu’il est impossible de les prendre au sérieux. Certains sont de vrais gags, d’autres des fumisteries totales. Les toiles de beaucoup d’artistes contemporains n’ont pas de valeur en soi, c’est uniquement la cote, artificiellement gonflée, qui leur donne leur prix. C’est ce que j’ai voulu montrer. Kraumka, par exemple, s’écroule dans mon histoire, comme certains artistes des années quatre-vingt se sont écroulés après avoir été soutenus artificiellement par des galeries. Je voulais montrer que le marché de l’art contemporain est à la fois artificiel et très fragile.
Et pourtant, ça se vend !
Pas tout. Il y a des stocks incroyables d’invendus, mais les galeristes le cachent, ça ferait descendre la cote. Damien Hirst a réalisé une manip incroyable. Il y a quelques années, à Londres, il a lancé sa propre exposition, sans galeristes. Énormément de toiles, de sculptures, à des prix très élevés. Qui a été obligé de les acheter pour soutenir la cote ? Les galeristes. Hirst a réalisé une opération financière énorme. Les galeristes, qui en avaient déjà plein en stock, étaient verts. Être artiste n’empêche pas d’être malin.
Vous êtes né en Bretagne, vos parents étaient boulangers. Pourquoi ne pas avoir intégré un boulanger dans cette histoire ?
J’aurais pu… mais je voulais des homards. Il fallait donc créer une situation qui découle du pillage de viviers, activité de plus en plus fréquente. Donc j’avais besoin d’un mareyeur. Le Gouzic. Je l’aime beaucoup, j’ai connu des Le Gouzic, jeune…
Égratigner, mais sans blesser
Vous aimez vous moquer des Parisiens. Sont-ils aussi pédants que ça ?
Mais oui ! Le côté entre-soi chez les autres. Ils occupent l’espace et ils le font savoir. Dans L’Enquête corse, ils n’étaient pas maltraités. Quand j’étais môme, on était quand même contents de les voir arriver l’été. Surtout leurs filles…
Internet a une grande importance dans votre histoire.
Comme dans la vie. Ça démarre parfois sur des infos non fondées, mais ça empêche aussi d’occulter les choses. Au Mexique, récemment, débarque dans un restaurant la fille d’un responsable du tourisme et de la protection des consommateurs. Elle n’obtient pas la table qu’elle désire, téléphone à son père qui fait fermer le restaurant. Il y a quelques années, le propriétaire aurait été désarmé. Là, il a lancé l’alerte sur internet. Ça a fait un tel raffut que le papa a été limogé. Ça, c’est le bon côté d’internet…
Vous égratignez au passage la gendarmerie !
J’aime bien. C’est un peu facile, mais il est tellement agréable de montrer des gendarmes dépassés par les évènements. Et puis ils utilisent des tasers. Des engins effrayants. Les gens se tordent de douleur.
Vous égratignez, sans blesser. Comment doser ?
Je m’arrête quand ce n’est plus drôle. À trop pousser, on perd en humour et ça devient une charge, ce qui n’est pas mon truc. Je préfère dire ce dont j’ai envie en restant léger.
Votre chargée de communication est habillée pour l’hiver.
Dans les boîtes de com, elles sont prêtes à tout, y compris à s’occuper de la communication de Ben Ali. Ce qu’a fait une boîte française. Chaque dictateur veut une com propre, donc appelle une boîte qui a pignon sur rue. Que ça ne dérangera pas plus que ça. C’est leur boulot. Je trouve cela très surprenant.
Elle s’occupe de communication d’éleveurs de porcs… Pourquoi eux ?
À cause de leurs réactions à la suite de l’affaire des sangliers et du cheval morts, mais aussi du chauffeur de camion intoxiqué gravement en déblayant des algues vertes. C’était un déni complet de leur part. Ils ne se posaient aucune question, refusaient d’avoir la moindre responsabilité alors que les faits étaient avérés. Étonnant.
À vous dégoûter de manger du porc ?
Non ! J’aime manger une côte de porc, mais quand je vois les conditions dans lesquelles ces bêtes sont élevées, je frémis. C’est inhumain. On est un peu complice, ce qui m’embarrasse beaucoup. Les éleveurs, coincés, répondent « rentabilité ». Pour qu’ils puissent en vivre, il leur faut produire comme des fous.
Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS
Jack Palmer #17, Palmer en Bretagne, Dargaud.
CASEMATE 64, novembre 2013
Dans la rubrique Palette de Casemate où un auteur de BD raconte son tableau préféré (ils sont 119 à ce jour), René Pétillon passe à la loupe An Election Entertainment du satiriste anglais William Hogarth.
L’art et la caricature
Les situations s’accumulent…
René Pétillon : Du coup, l’œil court d’une scène à l’autre. Ici, un personnage envoie un tabouret à ceux qui lancent des pierres depuis l’extérieur. Là, on essaie d’acheter le vote du personnage aux mains jointes. Dehors flottent des drapeaux avec pas mal de texte. Il y a à la fois à lire et à regarder. Les gens de l’époque devaient encore plus se marrer que nous, car il s’agit d’un tableau à clés. Certains des personnages seraient des caricatures de personnalités existantes. Ce tableau est en réelle résonance avec ce qui se passe aujourd’hui.
Et une affirmation du droit à la caricature ?
C’est ainsi que je le vois. C’est aussi un éloge de la démocratie. Après tout, ces gens s’affrontent parce qu’ils ont des opinions opposées. Évidemment, le lancer de briques est à déconseiller. Mais, même si c’est de manière virulente, les opinions s’expriment. C’est déjà formidable ! Quant à la démagogie des candidats, malheureusement, c’est une caractéristique des élections, quel que soit l’état de la démocratie en général.
N’y a-t-il pas danger à dire « tous pourris » devant cette toile d’une démocratie naissante ?
Je ne crois pas que le message soit : « Tous pourris ! » Je perçois cela comme quelque chose de très vivant où les gens s’expriment. En même temps, il n’y a aucune complaisance. C’est la comédie humaine avec ses grandeurs et ses faiblesses.
Cela renvoie à vos propres préoccupations de caricaturiste.
Je suis très attentif à l’attitude des personnages. Celle de l’homme qui reçoit une brique est un modèle du genre. Comme l’homme à la saignée. Ou celui en train de chanter à l’arrière-plan, la chopine levée, la perruque de travers. Il a abusé des boissons fortes. Ou encore, celui qui, au premier plan, s’appuie sur un bâton et se fait soigner la tête. Il vient vraisemblablement d’affronter des adversaires politiques et ça s’est mal passé. Le boucher lui verse de l’eau-de-vie sur le crâne pour désinfecter. Les regards des personnages renvoient les uns aux autres. Cela nous conduit à circuler dans la toile naturellement. On découvre ainsi à gauche un personnage en train de compter des reconnaissances de dette ou de faire le point sur la levée de fonds. J’aime aussi le travail de Hogarth sur le temps. D’une saynète à l’autre, on recompose les différentes étapes qui ont précédé le moment de l’image arrêtée. Le temps T., c’est la brique qui vole. Le mangeur d’huîtres malade, c’est le temps du repas qui a précédé. Le collecteur de fonds parle de ce qui s’est passé encore avant. Une grande leçon de narration. C’est aussi une toile qui fait du bruit. Le brouhaha des convives couvre les musiciens qui répondent au fracas dans la rue.
Propos recueillis par Jean-Christophe OGIER
CASEMATE 99, janvier 2017
Révélation : comment il s’en est fallu d’un cheveu pour que Pétillon n’enfourche le coursier Fluide avec Gotlib.
Marcel, sans René
René Pétillon : Début 1975, Marcel m’invite chez lui, au Vésinet. On passe un déjeuner très agréable à parler de tout ce que nous aimons en commun, Alphonse Allais, les Marx Brothers… Mais je vois bien que quelque chose le tracasse. Il a quelque chose à me dire, mais ça ne sort pas. Il me raccompagne jusqu’à ma voiture et au moment où je vais partir me dit : « Je vais lancer un journal qui s’appellera Fluide Glacial, est-ce que tu veux venir travailler avec moi ? »
Une semaine plus tôt, je viens de donner mon accord à Mandryka pour travailler à L’Écho des Savanes qu’il relance. Je ne peux plus me désengager. À une semaine près, je travaillais pour Fluide ! Marcel est apparemment déçu. Extrêmement timide et réservé, délicat et respectueux des autres, il n’a pas voulu me parler boulot pendant le déjeuner. Tout Marcel !
Il me lit régulièrement dans le Canard enchaîné. « C’est comme ça que j’aurais dû dessiner, un dessin rapide, extrêmement simple et immédiat, au lieu de m’emmerder… » Je réponds : « Tes albums, on les lira encore longtemps. Ce que tu fais est éternel, alors que la presse est fugace. Mes dessins sont oubliés dans la semaine. » L’ai-je convaincu ? Il doutait de lui en permanence.
Il savait que j’avais mis des années pour atteindre la simplicité graphique propre au dessin de presse. Or tout ce qui fait la saveur de son boulot, c’est justement ce sens de la mise en scène, de la démesure et la précision des détails. Il en convenait. Son dessin exigeait une concentration totale, bien loin d’un dessin qu’on réalise en dix minutes après avoir entendu une info. Il n’a plus jamais tenté de faire entrer mon dessin de presse dans Fluide. Il aurait fallu remettre en question la ligne éditoriale du journal.
Ces dernières années, nous échangions des mails déconnants. On jouait à qui rédigerait le mail le plus incompréhensible en inventant des tournures de phrases très alambiquées.
Propos recueillis par Frédéric VIDAL
CASEMATE 102, avril 2017
Après vingt ans de dessins politiques, Pétillon fait le point et envisage de passer la main pour se consacrer à des BD « déconnantes ». Il n’en aura pas le temps.
Bombardons Monsanto !
Un de vos personnages lance « Au moins, avec le FN, on ne sait pas où on va »…
René Pétillon : C’est un de mes dessins préférés dans ce bouquin. Voilà où nous en sommes. Le pire, c’est que des gens pensent vraiment cela : « Eh bien, basta ! Si c’est la catastrophe, tant pis, allons-y. » On sait bien que Le Pen à l’Élysée ce serait une catastrophe. Même certains de ses électeurs en conviennent. Tant pis. On assiste à une espèce de furie de destruction.
Pareil sur l’environnement ? Pourquoi un tel je-m’en-foutisme sur un sujet qui concerne tout le monde ?
Je ne l’explique pas. Nous devrions être passés aux énergies renouvelables depuis longtemps. Les politiques devraient être interpellés en permanence sur les questions environnementales. Rien à faire, ça n’accroche pas dans l’opinion. Sans doute à cause du sempiternel chantage à l’emploi des entreprises. On tombe toujours sur de doctes « sachants » qui nous expliquent que le problème n’est pas si simple que ça… Les lobbyistes, la faiblesse de Bruxelles me rendent fou. Il y a de quoi perdre le sommeil. Prenez le scandale des pesticides, un des sujets qui me révoltent le plus. Il faudrait carrément bombarder Monsanto, la société qui les produit !
Qu’est-ce qui vous énerve le plus ?
La mauvaise foi des politiques, mais aussi du patronat, de certains syndicats. Le sentiment d’être pris pour des nigauds, des crétins par beaucoup de responsables patronaux et politiques. C’est transparent, non ? Après les palinodies les plus insensées, les retournements de veste les plus surprenants, ils continuent à se présenter à nous avec un aplomb incroyable. Comment peuvent-ils ? Leur culot est d’acier ! Ils jouent énormément sur l’amnésie supposée des électeurs. Le rôle du satiriste est de démonter un peu tout cela.
Une grosse envie de déconner
Le satiriste appuie là où ça fait mal. Pas envie, parfois, de raconter ce qui va bien ?
C’est une question que je me pose depuis des années. Avec de plus en plus d’intensité. Je sens bien que je suis devenu trop négatif, attiré par ce qui ne va pas. Vais-je continuer ainsi longtemps ? Aujourd’hui, l’envie me démange de m’orienter vers une bande dessinée plus tranquille, apaisée. Et surtout ne parlant pas de l’actualité. Une bande dessinée déconnante, plus légère, dont le seul but serait de faire rire, simplement, sans arrière-pensées. Oui, c’est une question qui me préoccupe.
Les élections approchent en France. Mélenchon est très présent dans ce recueil.
Je me régale avec ce personnage très brillant, mais aussi très irritant. Certaines de ses propositions me paraissent tout à fait défendables et convenables, même souhaitables. Mais sa tendance autoritaire, son ego monstrueux, ses colères homériques font que je m’en méfie. Reste qu’il est très marrant à dessiner, un vrai personnage !
Pourquoi, à l’inverse de bien des confrères, excluez-vous toute caricature outrancière ?
Question de dosage, d’intuition. J’aime bien l’understatement, montrer moins que cela dit. Être toujours un peu en dessous. Cela me fait rire bien davantage. Il ne me viendrait jamais à l’idée de coller un vol de mouches autour d’un personnage. Cela ne me paraît pas utile. Mais je ne prends pas pour autant de précautions particulières.
Votre Marine Le Pen au bal à Vienne n’a rien de la Le Pen gueularde qu’on voit ailleurs.
Je l’ai voulu émue comme une jeune rosière. Il fallait la faire douce pour que le gag fonctionne à plein. Qu’elle soit cette jeune fille qui, à son premier bal, tombe enfin sur le cavalier de ses rêves. Problème, il fait le salut nazi.
Pourquoi tant d’avocats dans ce recueil ?
Parce que beaucoup se comportent d’une façon consternante. Ils ne se battent pas sur le fond, mais sur la procédure. C’est navrant. Mais le phénomène, lui non plus, ne date pas d’aujourd’hui.
Les personnages les plus charismatiques sont-ils les plus faciles à dessiner ?
Souvent. On peut ressentir du plaisir à les croquer sans avoir aucune sympathie pour eux. Dessiner satirique, c’est dessiner « contre ». Une seule exception dans mon cas : je déteste dessiner Jean-Marie Le Pen. Je dois me forcer à chaque fois et n’y suis pas très à l’aise.
Côté inspiration, perdre Sarkozy président vous avait inquiété. Pas trop déçu par son successeur ?
Il a dépassé nos craintes et nos espérances, professionnelles j’entends. Plus ça va mal, plus les satiristes se régalent. Même si, en tant que citoyens, ils sont consternés par ce qu’ils découvrent. Un président sérieux, qui gérerait le pays sans scandale, sans affaires, ce serait le chômage pour nous.
Pourri de partout
Les présidents étrangers, Bachar el-Assad, Trump, vous donnent aussi pas mal de grain à moudre.
C’est affreux à dire, mais les dictateurs sont d’excellents sujets d’inspiration. On n’en manque pas en ce moment. On trouve des fous furieux partout.
N’assiste-t-on pas, dans beaucoup de domaines, à une régression générale ?
C’est mon impression. Entre Obama et Trump : régression. La laïcité en Turquie : régression. Les Anglais qui se barrent de l’Union européenne en grande partie pour des raisons xénophobes. En Syrie, le fils est aussi épouvantable que le père, et voilà que les Russes s’en mêlent. C’est pourri de partout. Certaines situations me laissent complètement impuissant niveau inspiration. Je ne sais pas quoi faire face à certaines situations monstrueuses.
Comme ?
Les famines. Surtout celle au Soudan actuellement. Que dessiner à part un petit Africain qui pleure ?
Trouver une idée, cela passe-t-il toujours par le dessin ?
Toujours. Je réfléchis bien mieux en dessinant qu’en écrivant. Parfois, j’ai l’intuition du dessin correspondant à telle situation. L’intuition, mais pas d’idée. Je sais qu’il faut représenter tel ou tel personnage, qu’il va se passer quelque chose. Alors je dessine, parfois même j’encre. C’est très élaboré ! Puis, je dessine deux bulles et « clac », ça vient. Le dessin suscite le déclic.
Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS
Un certain climat – 10 ans d’actu dans Le Canard enchaîné, Dargaud.