Vaillant pied au plancher. Dans les albums, soixante ans après sa création par Jean Graton, la célèbre famille se retrouve le dos au mur et le fils aîné, Jean-Pierre, au cimetière. Dans la réalité, les couleurs Vaillant ont pavoisé, quelques heures, sur le podium des dernières 24 Heures du Mans (tous les détails dans Casemate 105). Fin des interviews des deux scénaristes de la nouvelle saga Vaillant, à injection directe d’adrénaline.

Deux scénaristes, deux dessinateurs, c’est quasiment un petit studio. Pour vous, la BD n’est plus un art solitaire ?
Philippe Graton : Il ne faut pas confondre, la BD française n’est pas un art collégial comme le sont les comics et leurs studios. Mon père avait trois assistants, mais a toujours écrit son story-board, construit ses personnages, ses planches. Ses collaborateurs suivaient ses indications tant pour les décors, les voitures, la mise en couleurs. L’ensemble était au service de la vision propre d’un auteur. Aujourd’hui, c’est moi qui construis les histoires même si j’écoute Denis Lapière, coscénariste, et me range souvent à ses argumentations, ainsi quand il m’a convaincu du cliffhanger qui clôture le tome 4 (voir Casemate 105).
Pourquoi avoir choisi Marc Bourgne pour dessiner le clan Vaillant ?
Il avait déjà assuré et réussi une reprise célèbre, celle du pirate Barbe-Rouge* créé par Charlier et Hubinon. Je lui ai demandé de ne surtout pas essayer de copier Jean Graton, mais de chercher à faire du très bon Michel Vaillant. De s’approprier les personnages. Puis je lui ai fait rencontrer mon père qui a regardé ses dessins. Ils ont discuté, et j’ai senti Marc rassuré quand Jean a avalisé son travail. Marc a apporté à la saga une patte, un souffle. Du coup, pour la première fois depuis des années, j’ai l’impression que mes personnages jouent bien. Avec Marc, la moindre nuance, la moindre expression, le moindre sous-entendu passe très bien. Je retrouve Michel Vaillant tel qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être.
Pourquoi, alors, ne dessine-t-il pas aussi décors et voitures ?
D’abord parce que celles-ci ne l’enthousiasment pas trop et surtout à cause de la masse de travail. Également scénariste, il a plusieurs albums en cours (il les présente dans Casemate 105). Du coup, nous avons demandé à Benjamin Benéteau, qui avait fait ses preuves sur un Dossier Michel Vaillant, de s’occuper des voitures. Ensuite des décors. Il est vite entré dans notre univers, a créé de nouveaux modèles qu’il a montrés à Luc Donckerwolke, designer, entre autres, des Lamborghini, nourri lui aussi de l’œuvre de Jean Graton, grand connaisseur du style Vaillant. Aujourd’hui, la part de Benjamin est aussi importante que celle de Marc.

Trois générations génèrent des tensions internes et de multiples rebondissements

Espérez-vous être aussi prophète dans le domaine des innovations techniques comme le fut votre père en son temps ?
Remettons les choses à leur place. Mon père a montré, dans Michel Vaillant, certaines choses, comme le pare-brise courbe sans montant, des années avant qu’on ne les découvre sur des voitures italiennes ou dans la rue. Certains l’ont traité de visionnaire. Ce à quoi il répondait : « Ces innovations étaient dans l’air, on en parlait. La différence est que l’industrie met cinq ans à les réaliser tandis que, six mois après, on les découvrait dans mes BD. Désolé, je n’ai pas les bonnes idées avant les autres ! »
Aujourd’hui, Denis et moi suivons la même voie. Distiller de l’information, de la connaissance sans tomber dans le rébarbatif. D’où la roue intelligente, le drone accompagnateur, etc., sans doute réalités de demain. Michel Vaillant doit rester une aventure, un divertissement. Mais si le lecteur referme l’album en ayant appris quelque chose, nous sommes contents. Cela prouve que nous respectons l’ADN Michel Vaillant tel qu’il existe depuis soixante ans.
Manier trois générations de Vaillant, pas trop casse-tête ?
Non, parce que chacune d’elles représente une certaine philosophie de l’automobile.
Celle du patriarche est celle du moteur à combustion, seule technique qui suscite la passion d’Henri Vaillant. Il ne veut pas entendre parler, par exemple, du moteur électrique.
La deuxième génération est celle de ses fils, Jean-Pierre l’ingénieur, Michel le pilote. Le premier, qui gère l’entreprise familiale, sait qu’elle doit s’adapter ou disparaître. Son premier objectif est donc de battre un record du monde avec un véhicule électrique. De nombreux professionnels ne s’y sont mis que contraints et forcés, comme les Vaillant. Les gens de BMW, au début, étaient persuadés que la filière n’aurait aucun avenir tant les interrogations étaient importantes, par exemple en matière de recyclage des batteries.
La troisième génération Vaillant est celle de Patrick, le fils de Michel et Françoise. Petit génie de la pile à hydrogène, ce geek est en fait plus passionné d’informatique que de voiture. Son cousin, Jean-Michel, fils de Jean-Pierre et Agnès, est plutôt un clone de son père qui fait tout bien et respecte la tradition familiale.
Ces trois angles nous permettent d’aborder tout l’éventail du sport automobile. Scénaristiquement, c’est aussi un vivier générateur de tensions internes dans le clan et de multiples rebondissements. Une toile dans laquelle le lecteur, nous l’espérons, se trouve pris.
Jean-Pierre est-il le premier mort de la série ?
Oui, et c’est étonnant. Alors que la course automobile tuait chaque mois dans la réalité, aucun pilote n’a jamais trouvé la mort dans la série. Une décision de mon père que je trouvais très belle, et respectée jusqu’à ce jour. Mais nous ne sommes plus dans des illustrés pour enfants des années cinquante ou soixante. Le public contemporain est nourri d’autres œuvres, de bandes dessinées, plus adultes, et de séries télé. On peut lui parler plus fort. J’avoue avoir pris une option culottée pour démarrer la nouvelle saison. Tuer Jean-Pierre…

Michel Vaillant ne ressemblerait plus à celui de Jean Graton ? Il y a plus de différences entre…

Des fidèles de la série n’ont guère apprécié, et c’est un euphémisme !
D’autres ont des commentaires quasi injurieux sur la reprise des personnages par Marc. Je lui ai demandé d’arrêter de perdre son temps à lire les textes rageurs qu’on trouve sur le Net. Et je lui ai raconté une anecdote. Lorsque j’étais enfant puis adolescent, mes parents étaient très proches de Franquin, Uderzo et Goscinny. Dans le Midi, durant les vacances, nous nous retrouvions tout le temps soit chez René, à Cannes, soit chez nous à Roquebrune. René était si brillant qu’il me faisait pisser de rire. Je l’admirais sans réserve. Et bien, je l’ai vu plusieurs fois complètement abattu après avoir lu une critique dans un journal local. Je ne comprenais pas que quelqu’un de cette carrure, de cette dimension, avec un tel talent, puisse être affecté par le commentaire rageur de personnes dont la motivation n’était d’ailleurs pas toujours claire.
Que reprochent certains internautes à Marc Bourgne ?
Que Michel Vaillant ne ressemble pas à leur Michel Vaillant. Ouvrez les albums : il y a plus de différences entre le Michel des années cinquante et celui des années quatre-vingt-dix qu’entre le dernier dessiné par mon père et celui de Marc ! La bande dessinée évolue, sinon elle meurt ou étouffe sous la poussière. En fait, je suis persuadé que les lecteurs ne sont pas nostalgiques des premiers albums, mais des premiers albums qu’ils ont lus. Nuance.
Exemple ?
L’un d’eux m’a cité son préféré : La Prisonnière. Par curiosité, je l’ai relu. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse éprouver de la nostalgie pour un tel épisode. Aimer, ne pas aimer est extrêmement subjectif. Le rôle d’un auteur est d’essayer de faire son travail le mieux possible, en fonction de ce qu’il croit.

… ceux des années 50 et des années 90 qu’entre le dernier de mon père et celui de Marc Bourgne !

Et non pas en fonction de ce qu’attend le lecteur ?
À l’occasion des 24 Heures du Mans, Benjamin et moi venons de passer deux jours à la rédaction de Ouest-France, rédacteurs en chef d’un jour de leur édition du dimanche. Nous avons donc participé au conseil de rédaction. À un moment, certains participants, je pense du marketing et de la vente, ont lancé : « Les lecteurs pensant ceci et cela, il devrait donc y avoir dans le journal ceci ou cela. » On en a discuté. Il me semble que la mission des journalistes, et de leur rédacteur en chef, est d’avoir des idées, de trouver des angles auxquels leurs lecteurs ne penseraient jamais. C’est ainsi que l’on conquiert de nouveaux lecteurs. Je ne pense pas qu’on puisse faire un journal avec des sondages. Même chose pour la bande dessinée. Sinon, autant mettre scénaristes et dessinateurs au chômage et confier leur boulot à des logiciels.
Parmi les nouveaux personnages, une femme pilote qui tourne aussi vite que Michel Vaillant. Est-ce crédible ?
Pourquoi pas ? Une quarantaine ont déjà terminé les 24 Heures du Mans, une épreuve très longue, extrêmement rapide, de nuit, parfois sous la pluie, avec des voitures aux différences de vitesse importantes, donc une course où l’on est tout le temps doublé. À 300 à l’heure, imaginez le stress et la tension. Le Mans est sans doute la course la plus dure du monde. Et des femmes y participent au côté des hommes, sans distinction. Ce qui n’est le cas, notez-le, ni en tennis, ni en foot, ni en athlétisme.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 105 – juillet-août 2017.

* 4 tomes, scénario Christian Perrissin, Dargaud.


Faire péter les gaz !

Fan de course et de voitures ?
Denis Lapière : Ayant hésité entre pilotage et BD, j’ai longtemps gardé un œil sur ce milieu. Mais je n’ai rien de ces fans qui ne s’intéressent qu’aux moteurs. Je ne suis pas du tout passionné par les voitures, mais totalement passionné par le pilotage. Ce qui n’est pas du tout la même chose. L’essence même du pilotage peut être très créative. C’est à la fois de l’ordre de l’équilibrisme, de la danse, de la prise de risque et de la poésie. Quand j’écris des scénarios de bande dessinée, je suis aussi dans la créativité, la prise de risque. Les deux activités ont vraiment quelque chose en commun.
Le conflit entre trois générations, nouveau moteur des Vaillant seconde époque ?
Pas si nouveau que cela. Relisez les dix premiers Michel Vaillant, cette idée de saga familiale y est déjà. Ensuite, elle a un peu cédé le pas à des histoires de pur sport auto. On trouve chez le Jean Graton du début trois axes : sport automobile, saga familiale, économie et automobile. Trois axes que nous avons repris et modernisés.
Côté familial, nous avons été, avec Philippe, jusqu’à montrer Michel Vaillant prêt à tromper sa femme. Côté sport automobile, on s’est tourné vers les techniques d’aujourd’hui et de demain. Côté économique on a, par exemple, fait perdre leur usine aux Vaillant. Bref, nous avons repris les grands codes de Jean, et fait péter les gaz !

Pour réveiller Françoise, je lui ai glissé une rivale entre les pattes

Aviez-vous un personnage particulièrement dans le collimateur, qui vous agaçait vraiment ?
Oui, je voulais redonner une vraie place à Françoise, devenue juste la bonne et discrète épouse de Michel. Cette petite peste, femme sexy de 17 ans, qui n’avait peur de rien, affrontait les hommes sans complexe, n’était plus qu’une bourgeoise effacée. Il fallait qu’elle se réveille. Pour cela, je lui ai glissé une rivale entre les pattes et quelques gros soucis familiaux. À elle de reprendre les choses en main.
Avez-vous replongé dans le milieu automobile ?
Bien sûr. Pour chaque album, nous nous déplaçons sur une ou plusieurs courses. D’où des week-ends fabuleux, à Monza, au rallye des Vallées, en formule électrique à Berlin… Professionnels et coureurs nous accueillent toujours avec bienveillance. J’ai ainsi passé un déjeuner puis un dîner à discuter avec Nicolas et Alain Prost des coulisses du sport automobile. On ressort de ces rencontres avec des informations tout à fait innovantes dont certaines se retrouvent dans nos albums. Du coup, les fans de sport automobile y trouvent des infos vues nulle part ailleurs. Oui, nous vivons une très belle aventure.
JPF

Michel Vaillant #6,
Rébellion,
Marc Bourgne & Benjamin Benéteau,
Philippe Graton & Denis Lapière,
Graton,
52 pages,
15,50 €.

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