L’Ouest, en convoi et en solitaire 2/4
Votre épisode, Ne meurs pas montre un assaut sanglant de confédérés contre un campement nordiste en 1863. Ça embaume la testostérone…
Félix Meynet : Les sudistes jouent les bravaches, même si au fond ils ont forcément la trouille, savent que leur guerre est perdue, qu’ils vont à la mort. En dessinant ces scènes, je me dis qu’on ne peut pas vraiment ressentir ce qu’il se passe dans la tête de soldats au front. Qu’on leur donne forcément quelque chose, de l’alcool dans les tranchées, ou des excitants pour tenir le coup, comme aux pilotes de la Seconde Guerre mondiale. Avez-vous remarqué que tous ceux qui ont participé au débarquement en 1944 et ont fait des films dessus ne montrent pas la réalité, mais en présentent une forme d’allégorie un peu symbolique ? Comme s’il leur était impossible d’en parler humainement. On ne raconte pas ses guerres, c’est vrai même pour les Français revenant de la guerre d’Algérie. Silence et bouche cousue. En revanche, un Spielberg, né juste après la guerre, a réussi un des films les plus réalistes sur le débarquement, Il faut sauver le soldat Ryan.
Vos cavaliers sudistes se prennent pour des chevaliers…
… et se conduisent comme des bouchers possédés par l’exaltation de tuer. Je suppose que les chevaliers du temps des croisades ressentaient la même excitation. Dans ces situations extrêmes, la part d’humanité de chaque homme s’effiloche très vite. Dans les deux camps. Et même si, très souvent, les êtres qui s’entretuent sont très semblables, venant de mêmes milieux, baignant dans la même culture.
Avez-vous beaucoup échangé entre auteurs sur le groupe Facebook créé par Tiburce Oger ?
Il est toujours intéressant de suivre les travaux de confrères, parfois très différents. Ça ne rigolait pas toujours. Christian Rossi est quelqu’un de très intransigeant sur le dessin, la narration, et maîtrise très bien l’univers de l’Ouest américain. Michel Blanc-Dumont est aussi exigeant, très documenté, grand connaisseur. À côté d’eux, j’arrivais peut-être avec mes clichés, mais surtout avec une grosse envie de bien faire, pour que, au moins, ces cadors n’aient pas honte de moi.
Certains auteurs demandaient-ils conseil à d’autres ?
Je ne pense pas, chacun s’est débrouillé avec sa propre histoire avant, tout fier, de la présenter à d’autres. Une période très accaparante pour Tiburce Oger et Hervé Richez. Il leur a fallu tenir le choc plusieurs mois, vérifier que les chapitres de l’histoire se tenaient, gérer une brassée de dessinateurs aux caractères différents. Je pense que dans l’ensemble chacun a bien joué le jeu, n’a pas considéré l’exercice comme une contrainte, mais comme un petit moment de liberté pendant lequel on peut se faire plaisir. Et penser qu’on va être plus ou moins adoubé par les costauds du western a eu un côté très stimulant.
“J’en suis revenu avec une histoire en DEUX tomes sur laquelle je planche depuis un an et demi…”
Où en est votre série Sauvage ?
Notre officier de l’armée française, engagée au Mexique sous Napoléon III, a viré sa cuti et nous l’avons laissé tout nouveau chasseur de primes. Après les trois albums prévus, Casterman nous en a commandé deux autres – le dernier, Black Calavera, est paru début 2020. Yann a proposé une suite. Pour l’instant, c’est non. Pas grave, s’ils changent d’avis, nous sommes prêts. J’aime bien l’histoire et l’époque. Si rien ne se passe, peut-être imaginerons-nous une courte fin à cette histoire. Un épisode qui pourrait, qu’en pensez-vous, paraître dans Casemate ?
Autre projet ?
J’ai effectué des repérages dans le Wyoming pour un projet de western qui se déroulera l’hiver, un peu comme l’épisode Général “Tête Jaune” de Blueberry. J’habite en Haute-Savoie. Gamin, j’étais persuadé d’être loin de chez moi en m’immergeant dans les paysages de Blueberry ou de Buddy Longway. Et appris bien plus tard que Derib n’avait jamais mis les pieds aux États-Unis et qu’il dessinait une forêt suisse juste à côté de chez moi. Je suis quand même revenu du Wyoming ébloui par l’immensité du ciel, ses paysages incroyables. Et avec une histoire en deux albums sur laquelle je travaille en solo depuis un an et demi. Tout va bien, aujourd’hui j’ai surmonté un épisode Covid épuisant et, à part quelques coups de fatigue, j’ai de nouveau la pêche.
Et votre vieux Savoyard Fanfoué, au rancard ?
Non, en sommeil. Pour cause de Covid – encore lui –, le journal local qui le publie a réduit sa pagination. Et l’a suspendu. On verra cet automne si la situation s’est améliorée ; sans doute y retrouvera-t-il sa place. Mais quoiqu’il arrive, je vais le relancer. Une grande expo lui est consacrée près de chez moi. Les gens m’en parlent tout le temps. Il y a toujours un fabricant pour me demander un Fanfoué pour orner une boîte de fromage ou de saucisson savoyards.
Un moment de détente pour vous ?
Exactement, et super rigolo. Loin de la lourdeur d’un album. Au journal, petite conférence de rédaction le lundi midi, livraison du Fanfoué de la semaine le mardi midi. Et les gens de la vallée le découvrent le jeudi.
Réagissent-ils ?
Il y a toujours quelqu’un pour me faire une remarque. « Tiens, cette semaine j’ai bien rigolé ! » « Dis donc, cette fois tu ne t’es pas foulé… » J’aime cette immédiateté. En attendant que sa publication reprenne, je vais faire revivre mon papy savoyard sur les réseaux sociaux où on trouve déjà le meilleur de sa production.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément offert de Casemate n°149 – août-septembre 2021.
Go West Young Man,
Collectif, Tiburce Oger,
Bamboo – Grand Angle,
110 pages,
19,90 €,
3 novembre 2021.
Tirage luxe à 29,90 €.