Mickey vu par Loisel et Tebo… Le deuxième étage de la fusée Disney traitée par des dessinateurs européens est mise sur orbite par Jacques Glénat. Casemate 97 consacre 32 pages à l’évènement, dont 19 planches commentées et de longues interviews des trois protagonistes. Voici leurs conclusions.
Dossier Jean-Pierre FUÉRI et Frédéric VIDAL
Supplément gratuit de Casemate 97 – novembre 2016
En pages de garde, Mickey court vers des dizaines de personnages. Un travail de titan ?
Régis Loisel : Oui… à la colle et aux ciseaux ! J’ai dessiné le grand Mickey qui s’élance vers la foule, mais tous les autres personnages ont été découpés par moi et ma femme. Seule solution puisque, venant de déménager, je n’ai encore chez moi ni photocopieuse ni table lumineuse. Ce travail m’a pris trois ou quatre jours. J’aurais sans doute été plus rapide en redessinant tout ce petit monde. Je me suis inspiré des pages de garde de Tintin présentant une galerie des personnages de la série.
Comment avez-vous travaillé sur cet ovni ?
Classique, tous les crayonnés, puis encrage, puis couleur. Dans l’ordre des pages. C’est indispensable dans la mesure où la couleur doit toujours raconter quelque chose. Entre crayonnés et encrage, il se passe au moins six mois. Je fais un tirage au bleu de mes crayonnés et encre dessus. Une coquetterie, je pourrais encrer sur les crayonnés, mais je charbonne tellement ! Parfois, même à cette étape, je recrayonne encore un strip jusqu’à ce que j’en sois content.
L’univers de Disney vous a-t-il imposé certaines contraintes ?
Évidemment. Ainsi on n’y trouve pas d’ombres. C’est noir ou blanc. Point. Une contrainte imposée en partie par la technique de l’époque : les strips étaient publiés dans des quotidiens dont les papiers étaient de gros buveurs d’encre. J’ai hésité, et finalement renoncé à la tentation des ombres.
Verra-t-on un jour les strips de Mickey sur le marché ?
Je ne sais pas. Mais ils appartiennent à leur auteur. Sinon, je ne les aurais pas faits.
… mais avant, un petit bouquin dans l’esprit de “La dernière goutte est toujours pour le slip”
Mickey a-t-il comblé toutes vos envies de monde animalier ?
J’ai une idée qui me trotte dans la tête depuis 1992. Pour des sérigraphies, un éditeur m’avait demandé une carte de bonne année. J’ai dessiné une espèce de petit bouledogue au bout d’un ponton sous la neige, la nuit. Un vieux ponton de bois, évidemment. Il a un petit baluchon et on sent qu’il attend un bateau qui ne viendra jamais. Depuis, j’ai tourné autour de cette idée, amoncelé les crobards. Je pense à une histoire à trois personnages, un peu à la Krazy Kat. Krazy est amoureux de la souris, souris qui lui jette des briques. J’ai tout mon univers, mais j’ai peur que tout cela ennuie prodigieusement le lecteur. Et peur aussi de me laisser entraîner dans l’aventure. Je me connais. Magasin général devait tenir en trois albums. Il y en a eu neuf. En attendant, je vais faire un petit bouquin avec un copain dans l’esprit de La dernière goutte est toujours pour le slip. Deux mois de travail. Après on verra.
Une autre reprise vous tenterait-elle ?
Dans l’idéal, parce qu’il n’en est absolument pas question, Popeye. Je possède l’intégrale. Ce qui me fascine est moins son dessin que son langage bizarre, bourré d’argot et d’expressions que même les lecteurs qui parlent très bien anglais – ce qui n’est pas mon cas – ont parfois bien du mal à suivre. J’aime aussi beaucoup le Marsupilami. Je me suis énormément amusé à imaginer une fausse couverture de Franquin avec un Marsupilami métamorphosé, énorme, ouvrant une bouche d’où sortait du feu. Un King Kong que regardaient, terrifiés, Spirou et Fantasio cachés derrière un mur. J’aurais bien aimé aller dans ce sens, mais je crois que l’héritière de Franquin n’aurait pas été d’accord.
Pas le désir d’une BD érotique pour changer ?
À part les envies que je ne réaliserai pas et que j’évoque dans mes réponses à l’ami Tripp (voir Casemate 97), j’aimerais bien me lancer dans un ouvrage genre Troubles fêtes, mais pas en bande dessinée, uniquement en illustrations. Il n’y a rien de plus triste qu’une BD érotique, toujours trop démonstrative.
L’idéal : réaliser l’album Pélisse et l’enfermer dans un coffre jusqu‘à la fin de la saison 2
À propos de jolies filles, à quand, enfin, le retour de Pélisse sous votre plume ?
Pour cela, il faudrait que la deuxième saison de La Quête de l’oiseau du temps soit terminée. Ce n’est pas moi qui la dessine. David Etien (Les Quatre de Baker Street) reprend le dessin des mains de Vincent Mallié. Lui aussi est d’une régularité de métronome, mais lui aussi alterne la Quête avec une autre série. Il a déjà réalisé une trentaine de pages du suivant. Il reste encore trois ou quatre albums à publier avant de voir le bout de cette deuxième saison. Serge Le Tendre me rappelle de temps en temps qu’il va avoir 70 ans le 1er décembre et moi 65 trois jours plus tard. Si le scénario n’est pas écrit, nous savons qu’il s’achève forcément sur la mort de Bragon. Et nous avons déjà pas mal d’idées. L’idéal serait de l’écrire et de le dessiner, quitte à l’enfermer dans un coffre en attendant la fin de la saison deux.
Allez-vous, en l’honneur de Mickey, vous remettre à dessiner en dédicace ?
Non, il y a dix ans que j’ai arrêté et utilise des tampons à l’effigie de mes personnages. Je dois rester cohérent. J’ai déjà passé commande de tampons Mickey, Dingo… Pour chaque lecteur, je rajouterai une bulle et un coup de couleur au feutre, rouge par exemple sur la culotte de Minnie.
Vous vous voyez avec vos tampons, à côté de Tebo, Keramidas, Cosey qui eux vont dessiner sur leurs albums ?
Cela a été dur à admettre pour mes lecteurs, mais aujourd’hui il n’y a plus de problème. Mes tampons sont entrés dans les mœurs. Ne vous inquiétez pas pour moi, je gère très bien la situation !
Mickey Mouse – Café Zombo,
Régis Loisel,
Disney by Glénat,
68 pages,
19 €,
23 novembre.
Tebo : « Loisel m’a fait stresser »
Dessiner des centaines de Mickey avant d’attaquer la première planche, c’est du perfectionnisme ?
Tebo : Non, c’est Loisel qui m’a fichu dedans ! Mickey, je l’avais au bout du crayon les doigts dans le nez. J’avais terminé mon scénario et me préparais à attaquer le dessin lorsque, avec Keramidas, nous sommes invités à un salon BD, au Québec. Évidemment, nous nous retrouvons chez Loisel, qui nous montre son propre travail sur Mickey : deux malheureux strips crayonnés ! Il nous confie qu’il ne sait toujours pas s’il va travailler à la plume, au pinceau, au feutre. Qu’il n’est pas sûr de son format, ni même de son papier ; bref Régis semblait complètement perdu. Lui, le pro des pros, la locomotive de l’aventure ! Du coup, nos deux albums devant sortir en même temps, je me dis que ce n’est pas gagné et commence à stresser. Rentré chez moi, je trouve que mon papier ne me convient plus, ni ma plume, alors que je bosse avec la même depuis vingt ans ! Même mon Mickey ne me satisfaisait plus. J’ai passé deux mois à le redessiner des centaines de fois, à commander de nouvelles plumes au Japon, à demander des conseils à Julien Solé (Julien/CDM) avant de me lancer. Loisel m’avait fait le coup du sparadrap du capitaine Haddock !
Vous dont les personnages ne tiennent jamais en place, pourquoi n’utilisez-vous pas la technique des traits de vitesse ?
Parce que je trouve cela moche. Seul Franquin, selon moi, arrivait à les rendre crédibles. Et Jack Kirby, évidemment. Dans ses explosions, on avait vraiment l’impression que ses superhéros se faisaient démonter la gueule à chaque fois. Ça passe dans les mangas, très épais, où les scènes d’action alternent avec des pages de discussions. Mais dans un 46 pages, des traits de vitesse partout rendent le dessin moins joli à regarder. Ce n’est pas le trait de vitesse qui fait la vitesse, c’est le mouvement des personnages.
Côté couleur, les jeunes connaissaient la carte bleue, les vétérans, le compteur bleu, mais aucun cheval bleu !
Un cheval, vaguement marron, serait vite moche par rapport à un Mickey hyper graphique. D’autant que c’est l’horreur pour leur trouver une gueule. J’ai pensé que le colorier en bleu rendrait bien avec Mickey en noir, blanc et culotte rouge. Mon canasson bleu, finalement, ne dépare pas avec ma grosse araignée verte et orange.
Papier format, plume ou pinceau… Régis le pro des pros semblait complètement perdu !
Votre manie de mettre des crottes partout n’a-t-elle pas fait peur à Disney ?
J’en ai tellement disséminé, de toutes les formes possibles, que je n’en ressens plus le besoin. C’était une envie, comme de croquer du superhéros jusqu’à plus soif. Je prenais un malin plaisir à dessiner des attitudes de combat différentes à chaque fois. Après six albums, je me suis calmé. Pour en revenir au caca, c’est vrai, certains chez Glénat ont eu quelques peurs. On m’a glissé des « Jacques te l’a proposé, mais tu n’es pas obligé de dire oui ». C’était oublier que dans Alice au pays des singes, avec Keramidas, il n’y a pas une seule crotte ou une seule insulte. Les inquiets ont vite réalisé que j’étais parti dans l’hommage et racontais un Mickey à la fois à ma sauce et à la sauce Disney. Ça les a rassurés.
À quand un septième Captain Biceps ?
Il y a un souci. Zep, qui n’avait déjà écrit que neuf pages dans le sixième, est complètement à sec niveau histoires. Il a donc prévu que je continue la série seul. Problème, si j’attaque une nouvelle série (voir Casemate 97), l’éditeur ne se contentera pas d’un album tous les cinq ans. Et comme je compte aussi faire mon Spirou…
Un Mickey par Zep serait rigolo !
Jacques Glénat, qui sait combien il adore ce personnage, le lui a proposé. J’ai insisté : « Viens avec nous, ce sera cool ! » Rien à faire. Une page l’aurait sans doute amusé, mais pas un album. Mon grand rêve serait de le voir réaliser un Astérix à sa façon. Ses deux pages, parues dans un album collectif hommage à Uderzo, sont super belles, super drôles.
Chez Glénat, on m’a glissé : “Jacques te l’a proposé, mais tu n’es pas obligé de dire oui.”
Cosey* et vous racontez la rencontre Minnie-Mickey. Et ce n’est pas la même histoire…
J’étais assez fier de la mienne. Un jour, nous nous rencontrons, sans connaître nos scénarios respectifs. J’attaque :
– Quel sujet traites-tu ?
– (Ton super fier) La rencontre Minnie-Mickey !
– Tiens, moi aussi !
Sur le coup, Cosey a fait un peu la gueule. Jusqu’à ce qu’il comprenne que l’évènement, chez moi, était anecdotique, sur six pages, alors qu’il y consacrait tout son album. Avec Minnie, je voulais surtout retrouver un ressort des vieux dessins animés où Pat Hibulaire voulait, dans certaines séquences, la bouffer, et dans d’autres la draguer. Ça m’amusait beaucoup. Et j’avais besoin de parsemer mon histoire d’épisodes rigolos. 80 pages de bastons auraient vite ennuyé le lecteur.
Vous êtes-vous retenu dans les bastons ?
Plutôt. Non, mais vous avez vu comment Loisel laisse Mickey et Donald tabasser Dingo, les coups de batte dans la gueule que se prend le malheureux ? C’est quasiment de l’acharnement ! J’aurais juré que Disney ne laisserait pas passer ça. Mais oui, j’ai fait attention à ne pas faire trop trash, à rester tout public. Je tenais à être lu par les collectionneurs, d’où des tas de petits clins d’œil, mais aussi par les enfants.
Donc par les trois vôtres ? Quels âges ont-ils ?
La fille 6 ans, les garçons 8 ans et 2 ans et demi. Ils suivent mon travail à fond, et recopient mes dessins. Je leur passe les dessins animés Disney à la télé ou sur l’iPad. Le plus jeune, dès qu’il voit un Mickey, est désormais persuadé que c’est son papa qui l’a fait. Sur leurs cahiers de notes, je dessine toujours un petit quelque chose. Évidemment, ils s’en vantent auprès de leurs copains, copines, mais aussi auprès des maîtres et des maîtresses. Cool…
JPF
* Une mystérieuse mélodie. Ou comment Mickey rencontra Minnie, Glénat.
La Jeunesse de Mickey,
Tebo,
Disney
by Glénat,
80 pages,
17 €,
dispo.
Jacques Glénat : « Cosey prépare un Minnie »
À quand une histoire de Donald, que Loisel trouve plus intéressant que Mickey ?
Jacques Glénat : J’ai donné carte blanche aux auteurs : « Faites ce que vous voulez. Du Mickey avec les personnages de Mickey, Pluto, Dingo, etc. Ou du Donald avec Picsou, etc. Ou même mélangez ! » Résultat, la scène que je trouve la plus réussie à ce jour est celle de Loisel où on voit tout ce petit monde, sauf Picsou, fuir le chômage en partant en vacances en caravane à la campagne. Ils font des crêpes, chantent le soir en mangeant des poissons grillés. Tiens, encore un truc sur lequel Disney n’a rien dit !
Et pourtant, sur les braises, le poisson fait la gueule !
Eh bien, tout le monde a trouvé cela très bien, pas de problème. J’adore cette séquence. Le dessin est absolument magnifique, les scènes de nuit où ils chantent sont superbes. On est en pleine nature, ça bouge tout le temps, c’est bourré de gags. Un morceau d’anthologie.
J’adore la séquence de leurs vacances en caravane. Bourrée de gags, elle est superbe !
Peut-on donc s’attendre à des aventures de Donald ou de Minnie ?
Tout à fait. Un auteur me dit tenir absolument à mettre Picsou en scène. Mais, dans les albums à venir, la grande vedette reste quand même Mickey. Cosey prépare un album avec Minnie. Donald est moins connu. Mickey est un personnage intelligent, toujours très actif, un héros. Donald, toujours exploité par Picsou, a un rôle secondaire alors qu’à mon avis il mérite bien mieux. Côté dessin, si tous les Mickey se ressemblent, les Donald, selon leurs créateurs, affichent des graphismes complètement différents. Donald peut encore plus que Mickey devenir un personnage d’art contemporain.
Certains auteurs ne se sont-ils pas autocensurés ?
Tous se demandent parfois ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire. Certains m’appellent. Il est très rare que je sois face à quelque chose qui manifestement ne passera pas. Ils sont tous dans le code Disney.
Seriez-vous prêt à publier du Disney manga ?
Il y a bien un Disneyland à Tokyo, mais j’ai l’impression que leur culture est tellement écrasée par le manga qu’il reste peu de place pour Mickey et Donald au Japon. Je n’ai pas pour l’instant rencontré de dessinateurs japonais que ça intéresse.