Un concept de science-fiction inédit, à la fois space opera ambitieux et comédie délirante. Un projet réalisé par huit équipes d’auteurs prestigieux, Zep, Bertail, Vatine, Balez, Vehlmann, Biancarelli, Guibert… Un commandant de bord qui pilote l’ensemble nommé Lewis Trondheim. Casemate 94 consacre un dossier de 32 pages à cette saga de huit albums dont les deux premiers épisodes paraissent en librairie sous forme de six comics, dès le 5 octobre. Suite et fin de l’interview de Lewis Trondheim et d’Oliver Vatine, dessinateur du tome 2 d’Infinity 8, Retour vers le führer.
Coscénarisez-vous Infinity 8 comme vous coscénarisiez Donjon ?
Lewis Trondheim : C’est très différent. Joann Sfar et moi bossions face à face sur deux Donjon en parallèle. Sur Infinity 8, lorsqu’on travaille à deux scénaristes sur une seule histoire, l’un a le crayon ou l’ordi portable dans les mains, l’autre ne fait rien et attend. Il n’était pas possible d’écrire toute la continuité dialoguée ensemble, car beaucoup de coscénaristes n’avaient pas plus de deux ou trois jours à m’accorder pour faire ce travail. Je me suis donc retrouvé trois jours en Bretagne pour travailler avec Kris, deux autres à Lyon pour écrire avec Vehlmann, deux jours à Genève avec Zep, Davy Mourier est venu me voir à Montpellier, deux jours à Paris avec Guibert. Et Vatine passait de temps en temps chez moi prendre l’apéro et bosser. Après avoir travaillé avec chacun d’eux à l’ossature de l’histoire et à la création des personnages, j’ai pris un cahier et découpé une continuité dialoguée sur environ 86 pages, puis l’ai envoyée au coscénariste. Fabien Vehlmann a enlevé presque tous les éléments un peu cyniques que j’avais pu mettre dans les dialogues, trouvant que ça n’allait pas avec le personnage, très croyant, du troisième tome d’Infinity 8, dessiné par Olivier Balez. D’autres, comme Zep, sont revenus sur des détails plus pointus dans les dialogues. Chacun a une façon de travailler très différente. Ça m’allait. Seul Boulet s’est investi totalement sur la continuité dialoguée, mais c’est aussi parce qu’il dessinait l’album.
Pourquoi accorder une telle place aux réseaux sociaux dans Retour vers le führer ?
Olivier Vatine : Dans la microsociété qu’est l’Infinity 8, avec ses 880 000 passagers, les buzz et selfies de Stella permettent l’ascension rapide d’Hitler.
Trondheim : Les réseaux sociaux ont émergé depuis une dizaine d’années, et n’ont jamais été utilisés dans la science-fiction des années quarante et cinquante que je lisais. Or, c’est devenu un élément très important dans notre vie de tous les jours, et restera a priori présent dans la vie de nos arrière-arrière-petits-enfants.
Vehlmann enlève tous les éléments cyniques, Zep revient sur des dialogues, seul Boulet… – Lewis Trondheim
Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?
Ce sont des outils que chacun utilise comme il veut. Je publie des photos sur Instagram, mets de petits crayonnés et des esquisses inédites sur Tumblr. J’utilise Twitter avec parcimonie, indiquant une nouvelle page des Petits Riens sur mon blog, des Coquelicots d’Irak sur le site du Monde (dossier dans Casemate 94), et mes séances de dédicace. Je réponds quand on me pose des questions, mais je n’annonce pas la sortie de mes nouveaux albums.
Vatine : J’ai Facebook comme tout le monde, mais aussi un DeviantArt qui me permet de voir ce que font les autres. J’aime bien Tumblr, ultra visuel, qui permet de fouiner, d’aller à la pêche aux images.
Pourquoi prépublier les deux premiers tomes format comic ?
Trondheim : Comme nous étions dans l’imagerie du pulp sixties, j’ai eu l’idée de découper nos récits en trois parties, pour qu’ils soient publiables sous forme de comics aux États-Unis. Nous nous sommes dit qu’il serait chouette de le faire également en France. Tous les albums sont donc structurés avec une césure aux pages 30 et 60. J’aime bien les contraintes, rajoutez-moi des trucs à faire, je m’en accommode et m’amuse.
Ces comics seront-ils proposés en kiosque ?
Non, c’est l’enfer. En placer dix en kiosque, c’est en vendre un. Comme je n’aime pas gâcher du papier, ils seront disponibles uniquement en librairie.
Dans la microsociété de l’Infinity 8, les selfies de Stella permettent l’ascension d’Hitler – Olivier Vatine
Qu’est-ce qui vous plaît dans le côté fac-similé, que l’on retrouve aussi dans Texas Cowboys et Mickey’s Craziest Adventures ?
Fils de libraire, les livres, les papiers, les formats m’ont toujours intéressé. Ils permettent des structures et des concepts différents. Toutes les histoires ont déjà été racontées, seules les tonalités et la mise en forme changent.
Verra-t-on, dans le dernier tome, le lieutenant Reffo, sosie de Killoffer, en casque-bulle et tenue moulante ?
Il a déjà une tenue moulante, mais avec son gros bide… Quand Killoffer a voulu se dessiner lui-même, je savais que ça ne cadrerait pas avec la tenue moulante et design conçue par Olivier pour la bible graphique. C’est bien de ne pas être dans des canons de beauté tout le temps, d’autant qu’on ne voit pas beaucoup de gros pépères en science-fiction, même si Scotty est plutôt très gros à la fin de Star Trek.
Vatine : Je dessine Killoffer tel qu’en lui-même, avec sa barre de sourcils, sa moustache en pointe. Chaque fois, Lewis me disait de le faire plus gros, encore plus gros… Killoffer, lui, s’imaginait en beau gosse de l’espace, avant de se découvrir sur les planches que nous postions sur notre réseau social privé. Il est le héros du huitième et dernier tome. Second du capitaine et gros obsédé, il convoque les agents, essaie de les brancher avant de se prendre râteau sur râteau. Ce dont il se fout, puisqu’elles auront oublié la scène après chaque reboot !
Propos recueillis par Paul GINER
Supplément gratuit de Casemate 94 – juillet-août 2016.
Infinity 8 #1 • Romance et Macchabées (janvier 2017)
Par Dominique Bertail, Zep & Lewis Trondheim.
Infinity 8 #2 • Retour vers le führer (janvier 2017)
Par Olivier Vatine & Lewis Trondheim.
Ces deux premiers tomes seront prépubliés sous forme de six comics à 3,50 €, du 8 octobre au 9 novembre en librairie.
NIET, la tablette
Pas tenté par la plume, que Dominique Bertail compare à un mustang fougueux ?
Olivier Vatine : J’ai lâché plumes et pinceaux depuis des années. Les tremper dans l’encre m’ennuyait, me coupait les pattes et l’énergie du dessin. Il y a une trentaine d’années, Pentel sortait les premiers feutres à bille, avec lesquels on pouvait faire des pleins et des déliés. J’ai continué avec ça, et pense ne jamais revenir faire trempette dans ma bouteille d’encre !
Quid de la tablette graphique ?
Niet, sauf pour des pochades et de la peinture. Il se pose le même problème qu’avec l’aérographe, auquel tout le monde s’est mis dans les années soixante-dix, quatre-vingt. Quand on va sur les sites de concept-design en jeu vidéo, en cinéma, beaucoup sont super forts, mais dessinent de la même manière, avec les mêmes brushes. Je suis technophile et geek, mais j’aime bien le papier, et me réserve l’ordinateur soit pour le story-board, soit pour la post-prod avec les couleurs.
Pourquoi toutes ces modélisations 3D sur votre board ?
Modéliser un lieu récurrent fait gagner du temps. Comme la bible graphique allait servir à tous les dessinateurs, j’ai bien plus modélisé que sur mon adaptation de Niourk. La modélisation permet aussi de rester très interprétatif pour que chaque dessinateur ait le champ libre.
Du pulp à WUL
Où en est votre adaptation de La Mort Vivante avec Alberto Varanda ?
Olivier Vatine : Alberto avait envie d’un encrage à la Bernie Wrightson et n’avance pas très vite, même si la moitié des planches sont déjà réalisées. Ça m’arrange, car je suis à la bourre !
Quid des autres adaptations de Wul chez Ankama ?
Régis Hautière et l’Espagnol Adrián Delgado, à qui on doit Tangomango chez Ankama, démarrent L’Orphelin de Perdide. Dobbs et Stéphane Perger bouclent Odyssée sous contrôle. Terminus 1 #2, dessiné par Ponzio et scénarisé par Mangin, est quasi terminé. Le troisième et dernier Oms en série, par Morvan et Hawthorne, paraît en fin d’année. Restera à adapter Noô, écrit par Stefan Wul en 1977, vingt ans après ses dix autres romans.
Vos projets ?
Je réalise le story-board d’un Conan le Barbare, dessiné par Didier Cassegrain, et compte faire de la peinture et de l’illustration pendant quelques mois, en vue d’une exposition.