… vomir juste après son atterrissage, alors qu’il était en direct avec notre président. Fin de l’interview de Marion Montaigne, qui raconte dans le détail et avec un humour décapant l’entraînement et le vol dans l’espace du premier astronaute français (sept pages dans Casemate n°109).
Pesquet a-t-il vraiment rêvé qu’il se faisait sodomiser par des examinateurs sadiques tendance Ku Klux Klan ?
Marion Montaigne : Non, ça c’est de moi. Il me répétait qu’il ne rêvait jamais, ni au sol ni dans l’espace. Comme je suis sûre du contraire, j’ai inventé ce rêve. Tous ces candidats à l’espace aiment être mis en difficulté, adorent les challenges. Thomas me taquinait, me donnait une vitesse en kilomètres-heure et s’amusait de tête à la convertir en mètres par seconde. Les rapports entre candidats sont compliqués. Ils sont en compétition, mais savent aussi qu’ils vont parfois se retrouver en binôme, donc vont devoir s’entendre. Là, il faut gagner, mais de très peu de points. Éclater l’autre, mais pas trop. Coopérer et s’imposer. Délicat.
Comment juger leur esprit d’équipe ?
Voici un exemple qui n’est pas dans le bouquin. Plusieurs candidats doivent résoudre un problème ensemble, et en anglais, face à six psychologues. Le problème est du genre qu’ils adorent : un cargo de gros containers est coincé à marée basse. Il faut décharger les containers avec des barques de telle contenance, se déplaçant à telle vitesse. En tenant compte de la marée, de son coefficient, de sa durée, de sa vitesse, en combien de temps le cargo sera-t-il vidé ? L’enfer, quoi.
Ça fait oublier la baignoire qui se remplit ou les trains qui se croisent !
Thomas raconte que certains des candidats, qui ne se connaissent pas, veulent montrer qu’ils sont des mâles alpha, des leaders. Ils vont donc répartir les calculs, donner des ordres aux autres. Tout faux ! Être astronaute, c’est travailler avec les autres, les écouter, accepter ce qu’ils disent tout en s’imposant ensuite si l’on pense avoir raison. Au bout des vingt minutes allouées, le problème n’était pas résolu. Les six psys s’en fichaient. Ils avaient pu jauger chacun des candidats. Lors des entretiens psychologiques, Thomas raconte avoir vu de gros durs, blouson et dégaine d’aviateur casse-cou, entrer très sûrs d’eux et ressortir d’un test en pleurant.
« Des durs, dégaine d’aviateur casse-cou, entrent sûrs d’eux et ressortent d’un test en pleurant »
Casemate montre un strip où Thomas volant se mange méchamment une porte. Du vécu ?
Légèrement exagéré peut-être… Dans les films, les gens en impesanteur semblent voler au ralenti. En fait, ils sont en chute libre et leur masse est toujours la même. Du coup, les astronautes vont doucement pour ne pas se cogner. Un qui accélérerait comme un malade en se récupérant à une barre prendrait le même choc qu’après une chute. En revanche, ils peuvent faire des galipettes. Gare aussi aux collisions entre eux, chacun se prend les 80 kilos de l’autre dans la poire. Ça peut faire très mal.
C’est évidemment plus dangereux que de dessiner…
Attendez, j’ai quand même fini aux urgences, après une phlébite à l’issue d’un très long vol en avion. On nous avait conseillé de mettre des bas de contention, mais j’ai pensé que cela ne concernait que les gens ayant des problèmes circulatoires. Pas du tout. À rester sans bouger, plié en quatre ou en boule, assez secouée, et sans doute parce que je n’avais pas assez bu, j’y ai eu droit. Quand il l’a appris, Thomas a rigolé, me traitant de mamie. Alors que les astronautes aussi portent des bas de contention spéciaux !
N’est-il pas un peu lisse, genre premier de la classe et gendre idéal, notre astronaute ?
C’est vrai, il présente bien, parle facilement. C’est important pour porter la bonne parole de l’agence spatiale européenne. Le problème c’est qu’il doit être audible par tout le monde. D’où un côté garçon parfait un peu énervant. J’étais ainsi chez le véto de mon chien en même temps qu’une dame de 80 ans juste avant la deuxième sortie extravéhiculaire de Thomas. Je l’ai entendue dire : « Je viens acheter des croquettes avant d’aller regarder le petit jeune dans l’espace. » L’astronaute doit séduire les personnes âgées devant leur télé autant que les enfants de 4 ans qui en parlent en classe.
« Thomas doit être audible par tout le monde. D’où un côté garçon parfait un peu énervant »
Une vraie étoffe de héros, quoi !
Je me demande toujours pourquoi nous avons tant besoin de héros. Alors que Thomas répète qu’il n’en est pas un, qu’il est humain, donc imparfait. Que comme les autres il est toujours rattrapé par les limites de son corps. Et de son cerveau. Il en rigole : « Vous ne me voyez pas quand je révise mes déclinaisons russes ! »
Par exemple, à l’atterrissage, sa grande peur a été de vomir alors qu’il était en communication directe avec Emmanuel Macron. « C’était comme si on vous filmait un matin après la pire cuite de votre vie. 100 000 internautes vous regardent, le président vous parle, vous devez lui répondre en mode sympa, souriant alors que vous ne vous sentez pas bien du tout. » Avec dans la tête le souvenir de Peggy Whitson qui, après un atterrissage un peu difficile en 2008, est tombée dans les pommes durant une interview. Elle est pourtant la femme ayant passé à ce jour le plus de temps dans l’espace.
De retour sur Terre, leur fiche-t-on la paix ?
Que non. Même très fatigués, ils vont refaire au sol toutes les expériences effectuées dans la station. Et subir des examens médicaux poussés. J’ai vu Thomas avec des pansements partout. On lui prélève par exemple des petits bouts de muscles, on voit alors qu’ils ne sont plus tout rose. Biopsie, sport…
Les fusées russes, seul moyen d’aller dans l’espace ?
C’est ainsi depuis la retraite des navettes spatiales américaines en 2011. Les Américains travaillent sur le projet Orion, un véhicule qui pourra transporter des équipages en orbite. Ce qui leur coûterait moins cher et dispenserait leurs astronautes d’apprendre le russe ! L’ATV, véhicule automatique de transport de l’agence spatiale européenne, a ravitaillé cinq fois la station automatiquement. SpaceX, la société d’Elon Musk, annonce tous les deux mois qu’ils vont partir sur Mars. Le nombre de projets en cours est étonnant. Thomas, lui, apprend le chinois !
« L’atterrissage ? C’est comme si on vous filmait un matin après la pire cuite de votre existence »
Vous a-t-on demandé de relire votre travail ?
Thomas l’a fait, pour corriger de petits détails. Mais nous étions d’accord pour ne pas le montrer à l’ESA. Heureusement, Thomas déborde d’humour. Ça tombe bien puisque je raconte tout à travers des épisodes rigolos. Il adore faire des blagues aux journalistes, accepte les vannes. Charriez-le, il répond du tac au tac. Dans un bistrot, alors que je me moquais de son polo aux armes de l’ESA, il m’a répondu qu’en cas de perte de mémoire, il saurait au moins qui était son employeur. J’ai aussi fait lire l’album à sa compagne. Tout est difficile, hyper stressant pour la famille d’un astronaute. Ils sont soutenus par des spécialistes. J’ai été très impressionnée en voyant les parents de l’astronaute Kate Rubins se soutenir l’un l’autre. On avait l’impression que si l’un lâchait l’autre, ils allaient tomber.
Un sondage vient de révéler que le nombre de filles dans les écoles d’ingénieurs est passé de 25 % à 18 %. La parité existe-t-elle dans la course à l’espace ?
C’est curieux, lors de mon périple, j’ai rencontré pas mal de femmes et de femmes ingénieurs. Mais pas du tout dans les centres d’entraînement européens. C’est dommage. J’essaie toujours de représenter des femmes dans les équipages. Thomas répète souvent qu’elles peuvent y arriver aussi bien que les hommes. En école d’art, par contre, on voit de plus en plus de filles. La tendance s’est même inversée. Aux Gobelins, nous étions trois filles et vingt-deux garçons. Aujourd’hui, c’est parfois l’inverse. J’aimerais que cette tendance existe dans toutes les branches.
À défaut d’espace, quel est le voyage de vos rêves ?
Enfant, je voulais aller sur le radeau des cimes en Amazonie. C’est beau. Auparavant, pour connaître les espèces qui vivent tout en haut de la forêt, on gazait les arbres et attendait en dessous de voir ce qui allait tomber. Née à la Réunion, j’aime bien les forêts tropicales, mais crains la chaleur. Alors, m’imaginer là-haut, dans le cagnard… Ça restera sans doute un rêve.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate n°109 – décembre 2017.
Dans la combi de Thomas Pesquet,
Marion Montaigne,
Dargaud,
208 pages,
22,50 €,
dispo.
Encore affamés ?
Marion Montaigne vous conseille quelques films, livres et vidéos.
FILMS
• Thomas Pesquet, l’étoffe d’un héros, DVD retraçant sa dernière année d’entraînement.
• Thomas Pesquet, envoyé spatial, DVD/VOD/Blu-ray retraçant les six mois de la mission spatiale dans l’ISS.
• 16 levers de soleil, visible dans les planétariums et sur les écrans géants à partir de février 2018.
• 16 levers de soleil, l’extraordinaire aventure spatiale de Thomas Pesquet, long-métrage. Sortie en salles en 2018.
Films réalisés par Pierre-Emmanuel Le Goff et Jurgen Hansen, produits par La Vingt-Cinquième Heure et Prospect TV.
LIVRES
• L’Étoffe des héros, roman de Tom Wolfe.
• Mon compte à rebours, mission de l’astronaute Frank De Winne, vue par sa femme, Lena Clarke-De Winne.
• Packing for Mars – The Curious Science of Life in the Void de Mary Roach.
• Riding Rockets – The Outrageous Tales of a Space Shuttle Astronaut de Mike Mullane.
VIDÉOS
• Vidéo d’Andreas Mogensen à Star City, notamment au Profi où vivent les astronautes de l’ESA sur place. On y voit Andreas et Thomas potassant une pile de documentation qui donne une idée de la quantité d’information à retenir.
• Vidéo où Thomas et Andreas pilotent un simulateur Soyouz, en Russie.
• Vidéo montrant la grosse tête en or de Gagarine (00’42). Et le boulot en salle de classe avec des calculs bien balèzes. Ceux qui comprennent l’anglais pourront se rendre compte combien Thomas aime taquiner ses petits camarades.
• One Year in Space, super documentaire de Life sur la mission d’un an de Scott Kelly (douze épisodes sur YouTube).
• Gravité Zéro, de Jurgen Hansen/Vingt-Cinquième heure et Prospect TV, où Alexander Gerst lime une vis dans de la mousse à raser.