Si le scénariste de Sillage s’est intéressé au destin de Robert Capa, c’est bien sûr par intérêt pour cette période terrible que fut le débarquement (lire son interview dans Casemate 71), mais aussi parce que, lorsqu’il lâche ses bulles, c’est pour photographier la vie à travers le monde. Confidence d’un grand voyageur qui se vante d’être allé une dizaine de fois à Pékin sans avoir mis un pied sur la Grande Muraille.

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Quel est votre rapport à la photographie ?
MORVAN_ORollerJean David Morvan : Je possède beaucoup de livres de photos classiques, sur le Paris de Marville, d’Atget, les Capa sur la guerre, etc. Je suis venu à la photographie pour comprendre un moment de l’Histoire, un monde, un univers. La première fois où je me suis rendu au Japon, en 1990, j’ai pris des photos avec l’appareil de mon papa. En me lançant dans la bande dessinée, je n’ai plus bougé de mon bureau, prenant de temps à autre des photos à l’aide de petits appareils à des fins de documentation pour mes bandes dessinées. Je m’y suis remis en recommençant à voyager, il y a quelques années.
Quelle place occupe la photo dans votre vie ?
Une place importante, car la photographie est un bon moyen d’aller vers les gens. Elle me fait me lever tôt, me coucher tard, voir des endroits où je ne serais jamais allé sans mon appareil. Je me suis rendu une dizaine de fois à Pékin sans visiter la Cité interdite ou la Grande Muraille, préférant des quartiers où les touristes ne vont jamais. La vraie vie des villes m’intéresse.
La photo est aussi un moment de calme. Quand j’écris, je pense en même temps à d’autres idées, à mes autres scénarios, tout en regardant la télé. Lorsque je photographie, je suis concentré sur l’instant et ne pense à rien d’autre. C’est très reposant.

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Je suis venu à la photographie pour saisir un moment de l’Histoire, un monde, un univers

Comment avez-vous appris ?
Ma manière de prendre des photos vient de mon passé de dessinateur étudiant en bande dessinée, de ma façon de voir les cadrages. La photo, c’est aussi la capacité d’approcher les gens au plus près, d’entrer en contact. Trouver la bonne distance n’est pas facile, mais je pense y être parvenu à Pékin, où des gens m’ont invité à boire un coup chez eux, après les avoir photographiés.
Que cherchez-vous à transmettre par la photo ?
À faire des photos qui se passent de commentaire. Dire que j’y parviens serait présomptueux, car transmettre cette émotion est l’apanage des grands photographes.
Quel endroit fut le plus stimulant à photographier ?
Hong Kong, et dernièrement Pékin où je me levais à 5 heures du matin puis ressortais le soir. L’aube et le crépuscule sont les meilleurs moments, car la lumière nous parvient sur les côtés et crée des ombres portées. Ces moments irradient d’une lumière moins forte, plus douce, qui offre de belles ambiances, au-delà d’un ciel bleu et de couleurs pures.

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Votre plus grande déception ?
D’après McCurry, il est possible de faire des photos chez soi, mais c’est toujours moins intéressant que d’aller se confronter à la découverte. J’ai donc du mal à voir des choses intéressantes à photographier à Reims où j’habite. Le grand photographe turc Ara Güler a passé sa vie à prendre Istanbul en photo, mais Istanbul n’est pas Reims.
Qu’a donné le concours Nikon auquel vous avez participé ?
Rien, mais j’ai participé récemment à un concours de photographie à Dubaï, où j’ai atteint les dernières sélections, sans accéder à la phase finale. Je suis content de faire des photos, de les retravailler, d’apprendre, mais mon niveau ne m’intéresse pas tant que je n’ai pas atteint ce qui me semble inatteignable. Rassurez-vous, je ne suis pas allé voir Magnum pour devenir photographe professionnel !

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Trois jours après le grand tremblement de terre de Tokyo, je perds mon ordi et deux ans de photos

Quels appareils utilisez-vous ?
J’utilise au quotidien trois ou quatre appareils, dont le Nikon D4, polyvalent, et le Leica M6, un argentique. J’ai aussi un appareil rigolo qui fait des panoramiques, mais il n’existe plus de labo pour développer ses films en France.
Heureusement, les accidents de labo sont de l’histoire ancienne avec le numérique !
Détrompez-vous. Mon appareil numérique est tombé en panne de batterie lors d’un transfert de photos sur mon ordinateur. Résultat, j’ai perdu une partie des photos réalisées sur les côtes japonaises. Quand on voit que Landry a perdu celles qu’il a faites lors du débarquement, on relativise. J’ai aussi perdu mon ordinateur à Tokyo – soit deux ans de photographies – trois jours après le grand tremblement de terre de 2011. Pas grand-chose, comparé aux dizaines de milliers de victimes faites par la catastrophe.

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Lors du récent tremblement de terre chilien, un photographe de l’AFP n’avait plus son appareil et a couvert la catastrophe avec l’iPhone. L’outil vaut-il moins que le savoir-faire ?
On aurait tendance à dire oui, mais l’outil reste essentiel. Dès que les conditions sont difficiles, comme de nuit, que l’on veut utiliser la profondeur de champ, avec des parties nettes, des parties floues, l’iPhone ne tient pas la route. Une photo est plus importante que l’appareil, mais l’appareil permet d’en faire d’importantes. Aujourd’hui, les appareils professionnels permettent de faire des photos dans une nuit quasi totale, ce qui est loin d’être le cas des smartphones.
Abondance de photos d’un côté, fermeture des services photo des quotidiens de l’autre…
Un photoreporter doit être au plus près de l’évènement. Avec la multiplication des smartphones et appareils numériques, chacun, pro ou pas, a un appareil sur soi. Pas mal de rédactions préfèrent acheter moins cher les photos prises par des amateurs plutôt qu’envoyer un professionnel sur place. Cette recrudescence est parfois normale, quand elle rend compte d’évènements sur lesquels les professionnels n’ont pas eu le temps d’arriver, comme un incendie d’immeuble ou lors du tsunami japonais. À l’inverse, lors du 11 Septembre, beaucoup de photographes Magnum étaient déjà sur place. Reste que pour le travail de fond, il y aura toujours besoin de photographes professionnels. S’il se fait moins en presse aujourd’hui, ce travail perdure dans les livres. Le boulot a un peu changé.

Propos recueillis par Paul GINER
Supplément gratuit de Casemate 71 – juin 2014.

couv_OmahaOmaha Beach, 6 juin 1944,
Dominique Bertail, Jean David Morvan,
Dupuis – Magnum Photos – Aire Libre,
15,50 €,
30 mai.

Les photos sont © Jean David Morvan.