Ce n’est plus au-dessus du toit du monde enneigé qu’Angela affronte les Zero japonais, mais à la verticale des flots bleus du Pacifique. Casemate 105 consacre un dossier de 32 pages au démarrage du deuxième cycle d’Angel Wings, la série à succès de Romain Hugault et Yann. Fin de l’interview du dessinateur qui a révolutionné le genre.

Après la Birmanie et le Pacifique, quelle sera la prochaine étape d’Angela ?
Romain Hugault : Nous avons pensé bien sûr à l’Europe, en fin de guerre, mais le sujet a déjà été souvent traité. Nous imaginons aussi lui faire remonter le temps pour un prequel en 1942, par exemple, à l’époque où des femmes pilotes britanniques faisaient le même job de convoyeuses que les WASP américaines. Elles furent plus de cent cinquante à l’Air Transport Auxiliary (ATA).
Face à des Anglais aussi machistes que les Américains ?
Il me semble, sans avoir vraiment encore creusé le sujet, que les ATA furent plus reconnues, davantage respectées (Casemate 72). Mais le résultat final fut le même. Alors que certaines avaient fait leurs preuves comme pilotes de ligne, la paix signée, elles furent renvoyées à leurs chères cuisines. Et pourtant… On a vu des petites Anglaises super mignonnes piloter des Lancaster, énormes bombardiers. Le matériel anglais est parfois bien moche. Ils ont réussi des appareils magnifiques comme le Spitfire et commis des choses improbables dont je tairai les noms pour ne pas vexer. En tout cas, cela nous ouvrirait un champ d’action très chouette. Nous avons encore trois ans pour nous décider.
Piloter ces gros bombardiers ne nécessitait-il pas une certaine force physique ?
À l’époque n’existaient ni commandes hydrauliques ni commandes assistées. Les compensateurs qui – comme leur nom l’indique – soulagent la pression à exercer sur les commandes étaient énormes. Pour effectuer un virage sur ces gros bus, il fallait simplement prendre son temps, et ne pas hésiter à « mettre du pied » sur les palonniers, inertie oblige. Ce qui était tout à fait à la portée musculaire des femmes pilotes. Finalement, les chasseurs, bien qu’infiniment plus petits, se révélaient beaucoup plus compliqués à piloter. Le défi, pour les ingénieurs, était de concevoir le plus gros moteur, la plus grosse hélice, montés sur le plus petit avion possible. Mettre au point des avions les plus riquiquis possible dotés de la réserve de puissance la plus énorme possible.

Le moteur du Corsair est si puissant que les crashs mortels près du sol sont fréquents

Pas dangereux, ça ?
Bien sûr, ces machines étaient souvent hyper instables, avec des couples gyroscopiques faramineux. Les pilotes de Corsair, par exemple, se tuaient souvent à la remise de gaz. Imaginez, l’avion va se poser à vitesse minimum, trains et volets de freinage sortis, quand un autre appareil lui coupe la route. Il remet donc les gaz. S’il le fait trop brutalement c’est l’avion qui se met à tourner autour de l’hélice et passe sur le dos. À trois mètres du sol, ça ne pardonne pas. Le Corsair est un monoplace, ce qui n’arrangeait rien. Les élèves pilotes apprenaient leur job sur un biplan, puis un monoplan avant d’être basculés sur des chasseurs sans les avoir apprivoisés en double commande. Un seul mot d’ordre : « Démerde-toi ! » Au sol, on leur bandait les yeux et on les obligeait à identifier d’instinct toutes les commandes. Jusqu’à ce que, comme un pianiste, ils n’aient pas besoin de regarder leur clavier.
Les appareils évoluent-ils durant le conflit ?
Bien sûr, dans chaque camp, moteurs et canons se perfectionnent. Il faut s’adapter et les avions ressemblent au fil du temps à des mille-feuilles auxquels on rajoute une feuille par-ci, une par-là. Le nouveau canon est plus gros que l’ancien ? On fait une bosse à l’avion, et voilà un capot bosselé devant. La nouvelle radio est plus grosse ? On va déplacer autre chose pour lui faire de la place. Au début de la guerre, les chasseurs sont nus, hyper purs. À la fin, complètement bodybuildés de partout. À dessiner, c’est génial.
Vos Corsair ont un côté négligé, sales, on est loin des chasseurs d’aujourd’hui, nickel, et brillant au soleil !
Le Corsair embarqué était plutôt clean. Mais mal aimé par les pilotes tant il était instable à poser sur un porte-avions. Très vite, ces appareils furent confiés aux marines qui disposaient de bases au sol. Ce que nous montrons dans l’album. Visuellement, c’est bien plus intéressant. Un avion qui vit sur un atoll voit sa peinture rayée par le sable corallien. L’essence, parfois, dégueule au remplissage, d’où des traînées noirâtres qui pourrissent le camouflage. On sent vraiment les heures de vol qui s’accumulent, on comprend que ces appareils sont utilisés à fond. Le sable corallien est si fin qu’il réussit à pénétrer dans les interstices du réservoir. Du coup, les mécanos collent de grandes bandes Velpeau sur les zones fragilisées. Calfeutrer les réservoirs est une urgence absolue. Une panne au-dessus du Pacifique laisse très peu de chance de survie.

Pour protéger les réservoirs du sable, les mécanos collent de grandes bandes Velpeau

Comment expliquez-vous votre succès, qui a relancé la mode des BD d’aviation ?
D’abord, j’y suis venu par simple plaisir. J’ai dessiné mon premier album entre deux boulots d’illustration. Le Dernier Envol raconte la dernière mission de kamikazes, quatre histoires qui s’entremêlent et où tout le monde meurt. Ce qui n’était pas habituel dans les BD d’aviation de l’époque ! J’ai eu la chance que vous me consacriez le prix BoDoï. C’est aussi grâce à vous que j’ai rencontré Yann avec qui je travaille depuis. C’est vrai, à l’époque, le genre était jugé ringard. Renaud Garreta y avait apporté du sang neuf avec Fox One, mettant en scène des Rafale, mais son dessin d’alors était moins accessible au grand public. J’ai surfé sur la mode vintage et celle des pin-up. J’ai des copines qui me disent adorer cette époque-là, s’habiller comme alors. J’ai juste comblé un vide. En prenant soin de ne pas essayer de caser un max d’avions différents pour plaire à un max de fans. Un gamin qui ne connaît rien aux avions peut lire nos histoires sans problème. J’y tiens beaucoup.
Quels furent vos maîtres ?
Les Buck Danny de Francis Bergèse restent ma référence absolue. Môme, je refaisais ses cases aux crayons de couleur. Quitte à faire hurler, j’avoue être moins entré dans le dessin de Hubinon. Ses avions sont moins bien faits. Pour moi, le top demeure la trilogie nucléaire et surtout Les Agresseurs. Le meilleur de tous les Danny. Une histoire formidable ficelée par Yann – oh, le lapsus sympa ! – pardon par Charlier. On y atteint le summum du genre.
Tanguy et Laverdure ?
J’aimais moins parce que je les ai découverts à travers le dessin de Jijé qui ne m’emballait pas trop. Je le trouvais moins pointu que celui des Uderzo, lus plus tard. Le maître de son époque. Mais pas que. Donnez les outils actuels à un Uderzo jeune et je suis persuadé qu’il mettrait encore tout le monde d’accord !

Donnez à Uderzo jeune les outils d’aujourd’hui et il mettrait rapidement tout le monde d’accord !

Avez-vous finalement rencontré Philip Adair ?
Non, j’envoyais toutes mes planches à ce vétéran qui réussit une mission folle : attaquer seul une vague d’une soixantaine de Zero en désorganisant leur attaque. Il avait l’air d’aimer mon travail, m’a envoyé des photos le montrant lisant nos albums. Hélas, il est mort le 13 mai.
Avez-vous fait votre service militaire ?
Non, de justesse. Né en 1979, j’ai fait partie des premiers qui n’y ont plus été soumis. La journée citoyenne n’existait pas encore. Mon père, ancien colonel pilote, se fichait de moi, me traitait de traîne-savates, de beatnik. J’ai pris depuis ma petite revanche en lui faisant rencontrer, au meeting de la Ferté-Alais, le général Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air qui chaque année demande à me voir parce qu’il apprécie mon travail. J’ai eu donc le plaisir de lui présenter mon père. Tout surpris de voir un général cinq étoiles me taper sur l’épaule !

Propos recueillis par Frédéric VIDAL & Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 105 – juillet-août 2017.

Angel Wings #4,
Paradise Birds,
Romain Hugault,
Yann,
46 pages,
Paquet,
14 €,
18 octobre.

2 Commentaires

  1. Bonsoir,
    Toute petite remarque, parce que vous êtes très pro et précis, il s’agit du général Lanata.
    Son père a également été chef d’état-major de l’armée de l’air.
    Aéronautiquement vôtre.

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