Prince des dessins élégants et reposants, Floc’h avoue compenser sa nervosité naturelle par le dessin. Suite de l’interview (4 pages dans Casemate 126) du dessinateur de Blitz et Une trilogie anglaise, à l’occasion de la sortie d’Art by Floc’h, réunissant une centaine d’illustrations.

Qu’a de particulier l’exercice de l’affiche de film ? Faut-il se sentir proche du réalisateur ?
Floc’h : Ce fut très fort avec Resnais. Les gens me demandent si j’ai rencontré Woody Allen. La réponse est non. Sans regret d’ailleurs. Il a juste demandé, pour faire comme Fellini, un illustrateur. La première que j’ai faite pour lui était Harry dans tous ses états. L’américaine était horrible ! L’affiche, c’est un jeu, une exigence particulière. Une illustration, une couverture du New Yorker, le lecteur peut rester devant pendant quinze ou vingt minutes, la décortiquant, en captant tous les détails. Alors qu’une affiche de cinéma vise des passants qui n’ont pas forcément envie de la regarder. Vous devez attraper leur regard, les intéresser.
La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ?
Bien sûr ! On peut être un auteur même en illustrant une couverture du New Yorker. Et cela contrairement à Warhol qui disait qu’il n’y avait rien à chercher derrière, que tout était sur la surface de ses toiles. Une attitude provocatrice. Les dessins dans Art by Floc’h sont tous importants pour moi, disent tous quelque chose de moi. Je dessine avec l’envie de faire une belle image dans laquelle on aimera s’installer. Dans l’espace vide, j’apporte un à un les éléments, comme un décorateur habille une pièce vide.

“Je dessine avec l’envie de faire une belle image  dans laquelle chaque lecteur aimera s’installer”

Dans ce livre, pas de titre de films, pas le nom du New Yorker, pas de signature. Pour tout mettre au même niveau ?
Exactement. Encore une fois pour que le lecteur s’installe dedans paisiblement. J’ai publié Le Rendez-vous de Sevenoaks, il y a 100 ans. Si j’y apportais quelque chose, en dehors du récit déstructuré, de la mise en abîme, c’était le fait de prendre mon temps. La BD d’alors, c’était de l’aventure, un héros qui partait explorer le monde. Et moi, je voulais juste des conversations de salon autour d’une tasse de thé. J’ai apporté alors le goût des grandes images. Comme si je cherchais un calme que ma nature nerveuse ne m’offre pas dans la vie. Je pense à Henri Michaux disant : « Comme j’étais nerveux autrefois ! Maintenant, je me propose autre chose. Je mets une pomme sur la table. Je me mets dans la pomme. Quelle tranquillité ! » Ajoutez à cela un plaisir de dessinateur. Ou plutôt un plaisir de créateur, car ce n’est pas le dessin qui m’apporte du plaisir, c’est de créer. Dans ce livre, on me voit avec un ami, habillés en lords écossais. Regardez bien chaque élément. J’espère qu’ils se lisent en trois dimensions. Voilà une autre magie du dessin. Vous pourriez prendre le petit bibelot, là, sur la table, et le sortir de l’image.
Artiste, un mot que vous n’aimez pas beaucoup ?
Je le déteste. Mais j’ajoute que j’en suis sans doute un, le propre, selon moi, d’un artiste étant de se rapprocher le plus du précipice, sans tomber dedans si possible. À cette différence que je ne suis pas ravagé par le besoin de création. J’ai développé cette notion dans Olivia Sturgess 1914-2004 : l’art est-il un épiphénomène de la vie, ou bien la vie un épiphénomène de l’art ? Ma réponse, ma règle dans l’existence : vivre avec l’aide de l’art, mais vivre d’abord. Mes personnages vieillissent, ne sont pas figés comme les héros habituels de la bande dessinée. J’ai donc pu imaginer qu’Olivia Sturgess rencontre une autre femme qui lui apporte un peu de lâcher-prise, lui donne envie d’aimer la vie plus que la création.

“Mes personnages vieillissent, ne sont pas figés comme les héros habituels de la bande dessinée”

Avez-vous également repris certaines couleurs ?
J’ai remastérisé mes dessins comme, en musique, on remastérise un disque. Toutes les couleurs d’autrefois étaient réalisées à la gouache sur un « bleu ». Elles ne passent plus aujourd’hui. Il a donc fallu utiliser ces engins modernes que je ne sais pas manier. Beaucoup d’images sont des sérigraphies. Contrairement à ceux qui croisent des couleurs pour agrandir leur palette, je me contentais de quatre couleurs. Toujours ce minimalisme qui m’intéresse. Ici, il a été nécessaire d’harmoniser la mise en couleurs avec le reste du livre. On a donc tout refait. Je ne cherche surtout pas le réalisme, simplement que la couleur m’apporte quelque chose psychologiquement, donne du sens. Blond pour moi, cela va être jaune. Mon trait demande des aplats. Les trouillards rajoutent énormément, parce qu’ils sont perdus. J’enlève, ne garde que le véritablement nécessaire. Car je sais où je suis, qui je suis.

Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS
Supplément offert de Casemate n°126 – juin 2019.

Art by Floc’h,
Floc’h,
Dupuis – Champaka,
110 pages,
45 €,
7 juin 2019.

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