S’il est désormais seul aux commandes de Largo Winch, Philippe Francq, en revanche, ne s’embarque jamais en solitaire pour de longs trajets à bord de son hélicoptère. Dans Casemate 86, il raconte pourquoi il est devenu pilote, mais aussi paysagiste, amateur d’étoiles lointaines et curieux de l’histoire de notre monde et de ses secrets. Pour Casemate.fr, voici le récit de quelques-unes de ses sueurs froides aux commandes de sa libellule, un Hughes 300 qui servait à l’instruction des pilotes américains.
L’hélico, c’est la liberté ?
Philippe Francq : Absolument. La beauté de la chose est évidemment de pouvoir se poser où l’on veut. Un premier passage pour vérifier que les arbres vous laissent suffisamment de place, la direction du vent, la place du soleil et ensuite on réfléchit à la manière de se poser. L’hélico permet une grande créativité artistique, ce qui me convient bien.
C’est-à-dire ?
En avion, vous décollez et atterrissez toujours dans l’axe de la piste et à des vitesses qu’il faut respecter. En hélico, il existe deux mille manières de se poser. Sous un angle quasiment plat en rasant le sol – pas la façon la plus sûre – ou sous un angle de 45° – la plus sûre – ou à la verticale avec très peu de vitesse. Ou encore en tournant et en finissant face au vent. Mêmes possibilités pour le décollage en fonction de votre environnement.
Faites-vous de grands trajets ?
Il m’arrive de me rendre à l’imprimerie des Sables-d’Olonne en hélico. Sinon, habitant le Sud, je dois passer par Paris. Ou par Bordeaux, La Rochelle et ensuite des bus. Hyper compliqué. Par les airs, c’est beaucoup plus simple, on se pose sur le parking de l’imprimerie. À condition, bien sûr, que la météo le permette.
Entre Montpellier et Les Sables-d’Olonne, il y a bien le Massif central ?
C’est pourquoi, pour ces vols longue distance, je vole toujours avec Régis (Casemate 86), car on peut se retrouver dans des situations extrêmes, brouillard, pluie, neige ou couche nuageuse empêchant totalement de voir le sol.
Piloter un hélicoptère permet une grande créativité artistique, ce qui me convient bien
De bons souvenirs ?
Je me souviens d’un vol au-dessus des nuages. À perte de vue, que des nuages. Un tapis blanc, impénétrable. N’ayant pas la qualification de vol aux instruments (IFR), et volant à vue (VFR), je n’avais pas à déposer de plan de vol. Donc on s’est retrouvés tout seuls en l’air avec notre GPS. Régis, qui s’occupe du plein de la machine, était parti sans les réservoirs pleins pensant les remplir à Rodez. Sauf qu’à quelques kilomètres des causses du Larzac, nuages, brume nous empêchant de suivre le relief, il fallait passer au-dessus. Arrivé à la verticale de Rodez, pas de trouée. Je continue en me disant qu’en cas de panne sèche il émerge toujours quelques reliefs où se poser. Évidemment, ensuite, c’était galère annoncée, le crapahutage en pleine montagne pour dénicher de l’essence.
Comment vous partagez-vous le travail ?
L’un s’occupe de la navigation et de la radio, l’autre est aux commandes. Heureusement, car le pilotage d’un hélico vous occupe les deux mains et les deux pieds (Casemate 86). Donc quand il faut déplier une carte ou ouvrir un bouquin pour repérer la fréquence de tel petit aérodrome, être à deux est bien pratique ! Ce jour-là, nous découvrons, grâce à une trouée, un terrain où un gars fait des tours de piste avec son ULM. Par radio, il nous apprend qu’il y a bien une pompe à essence sur le terrain et qu’il a la clé. On plonge donc sur Figeac et atterrissons près de la pompe. On attend le gars. Et ça dure, ça dure… je me vois arriver à l’imprimerie après l’heure de fermeture. On sent que notre pilote d’ULM, qui tourne autour du terrain, a sans doute un petit sentiment d’infériorité vis-à-vis de pilotes d’hélico et nous fait sentir que notre plein, ce sera quand lui l’aura décidé ! Une demi-heure après… C’est aussi cela le monde de l’aéronautique.
Mais si vous avez un GPS, pourquoi ne pas le programmer, comme en voiture, de votre domicile aux Sables-d’Olonne ?
Ça ne marche pas comme cela. En fait, on fait une succession de passages près d’un aérodrome ou d’aéroport. Vous tapez par exemple Rodez – Brive-la-Gaillarde et ainsi de suite. Le GPS vous guide par petites étapes.
Et s’il tombe en panne ?
C’est en prévision d’un tel pépin que je prépare toujours chaque vol à l’ancienne, calculant nos trajets sur une bonne vieille carte. Pour chaque étape, en fonction de la durée du vol, de la vitesse, j’obtiens un temps de vol estimé – qu’on modifiera en vol en fonction du vent, si on l’a de face ou dans le dos – et notre consommation de kéro.
À travers le cockpit de plus en plus enneigé, j’aperçois enfin la tour de contrôle de Rodez
Un mauvais souvenir ?
Avec le Massif central, où le temps change très vite, nous avons tout connu. On s’est posé à Rodez en pleine tempête de neige. Ce jour-là, plus aucun avion ne vole. On en entend un annoncer qu’il renonce à se poser et prend la route d’un aérodrome de dégagement. Notre hélico se retrouve au-dessus d’une nationale que je sais passer à côté de l’aérodrome. Donc je vole à côté des voitures jusqu’à ce que j’aperçoive la tour de contrôle à travers le cockpit de plus en plus enneigé. Je demande l’autorisation de poser l’hélico devant la pompe à essence en coupant l’axe de la piste. On ne voit plus rien. Régis et moi passons deux heures à l’intérieur d’un bâtiment en attendant que le ciel s’éclaircisse. Nous nous regardons en nous disant : « Putain, on était juste ! »
Un autre ?
Nous nous rendons à Angoulême, le même trajet, juste cent ou deux cents kilomètres de moins. Au retour, ne pouvant pas passer au-dessus, il faut faire le tour du Massif central. Je me retrouve à Carcassonne, sous une pluie diluvienne. Je suis une ligne à haute tension. À la radio, Carcassonne nous demande :
— Vous nous voyez ?
— Non. On vous devine, mais on ne vous voit pas.
— Attendez, on allume l’arbre de Noël !
Et là, bonheur, toutes les pistes s’éclairent !
Vous avez pu vous poser ?
Non, le contrôleur aérien, vu la météo, nous aurait empêchés de redécoller. Tant qu’on ne pose pas les patins, il doit nous aider, mais ne peut rien nous dire. Et puis j’identifie le canal du Midi, un fil d’Ariane bien supérieur à une ligne à haute tension. Le canal est horizontal, on vole au-dessus des platanes qui le bordent et c’est bon. Arrivé dans la plaine aux environs de Béziers, le temps est dégagé et nous pouvons nous poser chez nous près de Montpellier. Mais Régis a été malade pendant quinze jours. Durant tout le trajet, il s’est chopé une goutte d’eau glacée sur le front. On était tous les deux trempés. Les portes de mon hélico, en principe fait pour voler par beau temps, ne sont pas très étanches…
Propos recueillis par Frédéric VIDAL et Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 86 – novembre 2015.
Largo Winch #20,
20 secondes,
Philippe Francq,
Jean Van Hamme,
Dupuis,
13,95 €,
20 novembre.