Depuis plus d’un siècle, des crimes de sang plus horribles les uns que les autres font la une des journaux populaires. Certains y voient un goût prononcé du public pour ces histoires mettant en scène des gens comme les autres. D’autres, comme Sylvain Venayre et Hugues Micol, dénoncent une politique cachée. Hier pour contrer les anti-peine de mort. Aujourd’hui pour mettre les étrangers au pilori de la nation. Suite des interviews des auteurs parues dans Casemate 182.

Comment raconter un tel sujet historique à travers une fiction comme Les Crieurs du crime ?
Sylvain Venayre : J’ai inventé un petit journaliste plutôt que de mettre en scène les plumes connues de l’époque. J’espère que le lecteur s’attachera plus facilement à lui. Et je me suis contenté du cadre d’une dizaine de jours de l’assassinat et du viol de Marthe Erbelding, 11 ans, dans le quartier de Charonne, à Paris, par Albert Soleilland. Et choisi de ne faire apparaître aucun des personnages du débat sur l’abolition : Jaurès, Clemenceau, ni le suspect et encore moins sa victime, la petite Marthe. J’ai préféré restituer la condition des petits reporters de l’époque. Je peux ainsi montrer qu’en l’absence de salle de rédaction, les journalistes écrivaient leurs articles dans les bistrots. Qu’ils tiraient à la ligne en résumant sans arrêt les faits, même en l’absence de nouvelles fraîches. Le seul écart que je me permets avec la véracité historique est l’invention d’une femme illustratrice de presse, ce qui était très rare.
Pourquoi Valentin veut-il devenir écrivain ?
Les romanciers se sont construits en opposition aux journalistes et à leur style télégraphique. Il voit donc dans son ambition de devenir écrivain l’espoir de s’affirmer davantage que dans le journalisme.

“Utiliser la fiction qui transmet autrement les fruits de la recherche scientifique au lecteur”

L’ouvrage paraît dans la collection Delcourt – La Découverte que vous dirigez. Que propose-t-elle ?
Des adaptations d’études de sciences humaines et sociales en bande dessinée. Il s’agit de penser ces connaissances à partir de leur potentiel émancipateur : en quoi peuvent-elles nous aider à comprendre le monde d’aujourd’hui ? Les sciences humaines ont une mission d’éducation du peuple qu’elles ne peuvent pas remplir en restant cantonnées dans des gros livres universitaires remplis de notes de bas de page. J’ai pensé à adapter mes recherches sur l’histoire de la presse dès les balbutiements de cette collection. C’est finalement le cinquième volume à sortir après Le Genre du Capital ou encore La Distinction.
Comment définir votre ligne éditoriale ?
On demande aux auteurs de faire confiance à la bande dessinée, sans contrainte formelle. Ces récits d’auteurs sortent la bande dessinée documentaire de ses facilités didactiques, comme le cliché des personnages du savant et du candide qu’on peut retrouver dans Un monde sans fin. Il me paraît plus intéressant d’utiliser les cadres d’une fiction qui transmet autrement les fruits de la recherche scientifique au lecteur, sans lui donner l’impression de lui professer un cours.
Quels sont les prochains titres prévus ?
Philippe Squarzoni sort en octobre Zone critique, un livre sur la pensée du philosophe Bruno Latour. L’an prochain, Lélio Bonaccorso publie une adaptation d’Une histoire populaire du football de Mickaël Correia. Nous prévoyons enfin un récit sur les conquistadors du 16e siècle et leur prise de conscience des massacres qu’ils ont commis, d’après l’historien Romain Bertrand.

Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°182 – août-septembre 2024

Les Crieurs du crime,
La Belle Époque du fait divers,
Hugues Micol, Sylvain Venayre,
Delcourt – La Découverte,
144 pages, 23,49 €,
4 septembre 2024.

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