Après avoir fait le point sur la fin du troisième cycle de Lanfeust, qui va avoir droit à une petite pause avant de revenir relooké (interview dans Casemate 120), Christophe Arleston présente aux lecteurs de casemate.fr la première salve d’albums qu’il prépare, en tant qu’éditeur, pour la collection Drakoo, née de l’association du scénariste et d’Olivier Sulpice, patron de Bamboo.
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On attendait vos premiers titres pour le début 2019.
Christophe Arleston : Effectivement, je pensais alors à Spirite et Sheid. Mais Mara, entre-temps, a réalisé un vrai bébé, de chair et de pleurs, ce qui a foutu un certain bordel dans le planning. Mais elle a terminé une quarantaine de planches sur 62 alors que d’autres tournent autour de la dizaine. D’autres encore vont attaquer d’ici peu. Restera à trouver de bonnes fenêtres de tir, où ces jeunes pousses auront un peu de visibilité au milieu des grosses machines, dont les miennes. Je suis parfaitement conscient que celles-ci étouffent un peu tout le reste. Les dates de sortie seront à décider avec les équipes commerciales de Bamboo et leur patron, Olivier Sulpice. Cela devrait être mis au point avant l’été.
Un petit tour de cette première salve Drakoo, album par album ?
Sheid, dessin et scénario de Philippe Pellet. Une fantasy réaliste et solaire. Dans la grande cité d’une contrée aride, un mercenaire va devoir sauver une petite fille dépositaire de précieux secrets.
Ce projet, d’un auteur que je connais bien, dessinateur des Forêts d’Opale, est pourtant celui sur lequel j’ai le moins de visibilité. C’est dû à la méthode de Philippe qui travaille dans le plus grand désordre, avec juste une trame en tête. Il va dessiner la case 6 de la page 12, puis sauter à la 8 de la 23. Je suis donc son boulot avec un poil d’inquiétude. C’est le seul auteur que je laisse travailler ainsi. Pour tous les autres, je suis un éditeur tyrannique.
Démoniste, dessin GeyseR, scénario Olivier Gay. De l’aventure, de l’amour, de la magie, des combats, des trahisons – et des démons ! Une fantasy classique avec beaucoup d’humour.
J’ai pris le parti d’aller chercher mes scénaristes chez les bons romanciers de fantasy. Cela en partant du principe qu’il me fallait d’abord des gens ayant de bonnes idées, de belles histoires à raconter. Le reste n’est que de la technique, et la technique je suis en mesure de la transmettre. Démoniste est donc écrit par Oliver Gay, un auteur prolifique de fantasy chez Bragelonne, et de romans jeunesse chez Rageot.
Les Artilleuses, scénario Pierre Pevel, dessin Étienne Willem. Se déroule dans l’univers de la trilogie de Pevel, Le Paris des merveilles. Trois jeunes femmes spécialisées en cambriolages de haut vol se retrouvent au milieu d’une fantastique affaire d’espionnage.
Une pointure ! Pierre Pevel est numéro 1 de la fantasy en France. Son Paris des merveilles, qui dépasse les 100 000 exemplaires, est vendu aux Anglo-saxons. L’initiative de ce diptyque vient du dessinateur Étienne Willem, fan du Paris des merveilles, qui tenait absolument à plonger dans cet univers.
La Pierre du chaos, scénario Gabriel Katz, dessin Stéphane Créty. De la fantasy d’aventure solide et classique, dans un empire finissant confronté à des invasions barbares.
Gabriel Katz est le pseudo sous lequel un scénariste connu de séries télé écrit de très bons romans fantasy et jeunesse. Pour sa première expérience BD, il est arrivé avec 146 pages écrites et découpées de la première à la dernière ligne. Je lui ai fait remarquer qu’il était allé un peu vite, que nous allions tout reprendre, oui Monsieur, j’allais tout lui faire refaire, il avait bossé pour rien. Et puis j’ai lu. C’était nickel, tout se tenait. Rien à redire. Je pense que son expérience du scénario télé lui a permis de tout calibrer aussi parfaitement. Stéphane Créty dessine Le Sang du dragon chez Soleil.
Dragon et Poisons, scénario Isabelle Bauthian, dessin Rebecca Morse. Fantasy parodique avec un dragon au fond d’un puits à souhaits, une belle parabole sur le temps et l’évolution des personnages.
Isabelle Bauthian, romancière et scénariste de bande dessinée, a déjà publié plusieurs albums. Elle a d’énormes qualités scénaristiques, tout ce qu’elle écrit est intelligent et drôle. Mais, à mon avis, Isabelle n’a jamais rencontré un bon éditeur qui l’aurait prise en main. Et moi, je compte bien la driver ! Elle et Rebecca Morse ont réalisé trois tomes d’Alyssa chez Soleil.
Spirite, scénario et dessin Mara. Une belle histoire de chasseurs de fantômes à la fin des années vingt.
Le seul triptyque parmi tous ces diptyques est signé par Mara, l’auteure de Clues chez Akileos. Le plus avancé de nos projets. J’ai travaillé soigneusement chaque ligne, chaque étape de la construction de son récit. Je m’applique beaucoup, passe un temps fou sur chaque bouquin. Je prends plaisir à ce travail, mais ne sais pas si je tiendrai très longtemps à ce rythme. Ce n’est pas forcément une assurance de succès. Mais je veux amener chaque bouquin à son top maximum, pour que nous n’ayons aucun regret.
Danthrakon, scénario Arleston, dessin Olivier Boiscommun. Un apprenti cuisinier travaillant chez un magicien se trouve confronté à un grimoire qui tente de l’assujettir… Fantasy et humour.
Évidemment, je m’y colle, il faut toujours donner le bon exemple ! Les couleurs seront signées Claude Guth.
Autre sujet qui m’intéresserait : Une histoire genre Club des cinq contemporain, avec un peu de magie évidemment, qui plairait à mon fils de 5 ans. Mais ce n’est encore qu’un projet.
N’aviez-vous pas évoqué huit titres ?
Le dernier n’est pas encore signé.
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate n°120 – décembre 2018.
Fâché avec le ciné
Pourquoi, alors que le ciné s’intéresse de plus en plus à la BD, vous en désintéressez-vous ?
Christophe Arleston : J’ai renoncé à l’audiovisuel depuis longtemps. Je ne vendrai pas mes histoires au cinéma parce que je sais que ces gens-là changeraient tout, tronçonneraient tout, mutileraient tout. Tellement d’argent est en jeu que tout le monde veut se couvrir. J’ai eu une petite expérience dans ce domaine dans les années 2000. Chacun voulait ramener sa fraise à chaque seconde. On avait affaire à des gens très lâches, prêts à casser les couilles de tout le monde. La seule solution serait d’adapter son travail soi-même. Mais la fantasy nécessite des budgets énormes. Et vous bouffe deux ou trois années de votre vie. J’ai vu le temps et l’énergie que mon ami Julien Neel* a consacrés à la réalisation de son film Lou ! En s’y consacrant totalement. Moi, je suis le scénariste de plusieurs séries qui doivent tourner.
“Au ciné, tellement d’argent est en jeu… je ne leur vendrai pas mes histoires, ils changeraient tout”
Sattouf, Sapin et d’autres y arrivent bien !
Il y a quelques années, justement, au moment de son Jacky au royaume des filles, Riad Sattouf m’avait appris que des producteurs cherchaient des auteurs de bande dessinée prêts à se lancer dans la réalisation. Ils voulaient leur coller une équipe, et du coup ceux-ci n’auraient pas besoin de s’occuper de tout. J’ai, un temps, envisagé de me laisser tenter. Puis compris que je n’avais pas envie de dépenser une énergie folle pendant deux ans de ma vie pour un film d’une heure et demie.
J’ai quand même connu une petite expérience de scénariste au cinéma, pour des scénarios très bien payés et jamais tournés, comme ça arrive souvent. J’en ai discuté un jour avec un de nos plus grands et plus respectables anciens. Au cours d’un repas, il m’a raconté avoir écrit près d’une trentaine de longs-métrages durant les années 1970-1980. Pour des productions franco-allemandes, franco-italiennes, franco-allemandes, etc. Aucun n’a jamais été tourné, mais il a quasiment gagné plus d’argent avec le cinéma qu’avec ses belles BD.
* Interviewé dans Casemate 120 pour l’ultime Lou !
Tarquin : la couleur, comme une musique…
Travailler avec sa compagne, cela simplifie-t-il les choses ?
Didier Tarquin : Nous avons mis beaucoup de temps à nous décider tant nous craignons que cette collaboration sur Lanfeust pollue notre relation. Nous avions pourtant les mêmes références, les mêmes goûts et à peu près la même vision de ce que doit être la mise en scène.
Lyse s’occupe des couleurs, pas de mise en scène !
La couleur fait aussi partie de la mise en scène. Christophe Arleston, qui aimait beaucoup ses couleurs, lui avait demandé de travailler sur Gnomes de Troy, qui font aussi partie de l’univers Lanfeust. Et puis, un jour, j’ai eu envie de tester de nouvelles choses et Lanfeust Odyssey s’y prêtait bien. Avec Lyse, on s’est dit que si on ne se tapait pas trop dessus, travailler ensemble serait intéressant. Elle colorise la série depuis le tome 2. Et c’est parfait.
Si importante que cela, la couleur ?
Très, très importante, et je ne dis pas cela parce que je vis avec une coloriste. J’ai réalisé mes trois premiers albums en couleurs directes. Je sais ce que c’est. J’ai appris sur ces trois albums que mettre en couleurs est un véritable métier. Et compris que ce n’était pas le mien ! Sur Lanfeust, je me suis retrouvé à travailler avec Yves Lencot. Un grand coloriste qui a mis en couleurs le premier tome de La Quête de l’Oiseau du temps, puis avec sa femme, Laurence Quilici, Le Creuset de la douleur, albums qui avaient beaucoup plu dans les années quatre-vingt. Il a aussi travaillé avec Cromwell, Vicomte… Et là, j’ai vu mon trait soudain transformé, sublimé par son travail. Je passais d’un dessin très moyen à quelque chose de nettement meilleur. Par la grâce de ses couleurs. J’ai mesuré quelle plus-value elles pouvaient apporter.
“grâce à la mise en couleurs, j’ai vu mon trait transformé, sublimé, soudain nettement meilleur”
Une conviction qui n’a fait que se renforcer lorsque l’on est passé d’Yves Lencot à Claude Guth, puis à Fred Besson, enfin à Lyse. La couleur, on le dit souvent, c’est la bande-son, la musique d’un film. Peut-on imaginer un instant de regarder un film de Sergio Leone sans la musique d’Ennio Morricone plein les oreilles ? Impossible, la magie ne marche plus. La musique baigne ses films comme la couleur baigne nos albums. Et la vie de Lyse. Car j’ai la chance de vivre avec une personne qui, je le constate chaque jour, vit en communion avec la couleur. Elle ne peut passer dans une ville sans visiter son musée, s’imbiber de ses tableaux, leurs couleurs. Chaque mercredi, elle donne des cours d’arts plastiques à des enfants dans une école. Elle leur apprend la couleur. Il est fascinant de suivre quelqu’un d’aussi passionné. Alors j’en profite.
Est-ce elle aussi qui colorise UCC Dolores, votre nouvelle série en solo* ?
Oui, j’ai tenu à ce qu’elle ait sa part, qu’elle soit davantage dans la lumière, que son nom soit associé au mien sur la couverture. Dolores va être l’album de la famille Tarquin. Comme cela, si vous en aimez les couleurs, vous saurez tout de suite qui les a réalisées, qui y a mis tout son talent !
* UCC Dolores #1/3, Glénat, 48 pages, 13,90 €, 9 janvier 2019.