Léold ne se sent ni garçon ni fille. Non-binaire quoi. La scénariste Séverine Vidal et la dessinatrice Marion Cluzel racontent son histoire, très humaine, oscillant entre jupe et barbe. Suite et fin de leurs interviews publiées dans Casemate 170.

Pourquoi ce titre, Le Seul endroit ?
Séverine Vidal : C’est une citation du philosophe trans Paul B. Preciado, dans son ouvrage Un appartement sur Uranus : « Le croisement est le seul endroit qui existe. Il n’y a pas deux rives opposées. Nous sommes toujours à la croisée des chemins. »
Léold rencontre des trans plus âgés que lui. Voient-ils les choses différemment ?
Certains, oui. Léold se heurte à l’incompréhension d’une femme trans en particulier qui ne comprend pas sa fluidité de genre, lui reprochant de se compliquer la vie. C’est une conversation à laquelle j’ai assisté au cours d’une réunion associative LGBTQIA+. Une autre femme trans soixantenaire raconte une expérience très différente. Assignée homme à la naissance, elle a dissimulé toute sa vie sa transition à ses proches, cachant ses vêtements féminins au fond d’un placard. Lorsqu’elle décide de révéler son identité à sa famille, sa compagne et ses enfants la rejettent. Depuis, elle ne peut voir ses petits-enfants qu’à la condition de jouer le grand-père en leur cachant sa véritable identité.
Qu’apporte l’histoire d’amour entre Léold et Olivia ?
Je tiens aux moments de tendresse et d’acceptation qui parsèment leur relation. Je ne cherche pas à faire passer un message. Ce sont d’abord les personnages qui comptent pour moi. J’aborde des sujets à travers leurs doutes et leurs fêlures, afin que des lecteurs peu informés ou même réfractaires puissent être touchés. Cela me semble un bon moyen d’intéresser et de gommer les préjugés.

“Il ne comprend pas pourquoi le questionner sur son sexe juste pour pouvoir acheter du pain” – Marion CLUZEL

Étiez-vous déjà sensibilisée sur la transidentité lorsque vous avez choisi d’illustrer le scénario de Séverine Vidal ?
Marion Cluzel : Oui, même si j’ai aussi appris beaucoup de choses en dessinant ce récit. Sans que je m’en rende compte au départ, j’ai constaté qu’il y a dans mon travail et mes dessins depuis l’adolescence des questionnements sur le rapport au corps et à l’identité.
Quelles réflexions ?
Je pense que les personnes trans sont celles qui ont le plus à nous apprendre sur les conceptions qu’on peut avoir de la séparation entre homme et femme. La non-binarité permet de montrer à quel point notre société est binaire dans le moindre de ses détails, à commencer par la langue. Beaucoup de choses sont prises pour acquises et normales, alors qu’il s’agit de constructions sociales et de croyances qui font du mal à tout le monde. La distinction de genre est d’ailleurs souvent arbitraire.
Exemple ?
Quand vous rentrez dans un magasin de vêtements, il y a le rayon pour femmes d’un côté et le rayon pour hommes de l’autre. Moi, j’achète des vêtements pour être confortable, qui ont du style et sont adaptés à ma morphologie. Ce qui m’amène souvent dans les rayons hommes. Quand quelqu’un nous interpelle, c’est par « Monsieur » ou « Madame ». Un texte de Juliet Drouar nommé Sortir de l’hétérosexualité montre bien l’absurdité de ce genre de situations. Elle imagine un échange fictif dans une boulangerie entre le vendeur et une personne qui vient de débarquer sur Terre. Il l’interpelle en lui disant « Monsieur ». Mais l’extra-terrestre, qui ne connaît pas ces catégories dans lesquelles on baigne, ne comprend pas pourquoi on le questionne sur son sexe juste pour pouvoir acheter une baguette de pain.

Propos recueillis par Marius JOUANNY
Supplément offert de Casemate n°170 – juillet-août 2023

Le Seul endroit,
Marion Cluzel, Séverine Vidal,
Glénat,
98 pages,
22 €,
30 août.

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