Rare. Xavier Dorison raconte pourquoi et comment il a recommencé de A à Z le scénario du tome 2 d’Undertaker, son western digne d’un Blueberry qu’il présente, avec le dessinateur Ralph Meyer, dans le supplément de 32 pages – dont 20 planches commentées – de Casemate 77.
« Tu éviteras de faire chier un type qui braque du calibre 44 sur toi »… ça vous a-t-y pas un petit côté « quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent* » ?
Xavier Dorison : De l’humour à la Michel Audiard, c’est un peu vrai. Mais les dialogues ne font pas tout. N’oublions pas qu’Audiard n’écrivait pas les histoires sur lesquelles il travaillait. Quand il imaginait les dialogues sur une mauvaise intrigue, ceux-ci tournaient à vide. Les gens ont gardé en tête Les Tontons flingueurs et ses répliques extraordinaires, en particulier dans la cuisine. Mais Audiard était servi par une situation, elle aussi, extraordinaire : des gangsters beurrant des toasts en pleine partie yé-yé !
Paradoxalement, et involontairement, encenser outre mesure Michel Audiard me semble avoir orienté pas mal de scénarios dans la mauvaise direction. On a voulu croire qu’une bonne histoire, c’était de bons dialogues. Il m’est arrivé de travailler comme script-doctor pour le cinéma. On rédige parfois des fiches sur lesquelles on lit : « L’intrigue est nulle, on s’ennuie, répétitif, on n’apprend rien avec cette histoire, MAIS, quelques bons dialogues. » À l’inverse, on ne lit jamais : « Intrigue extraordinaire, rebondissements totalement inattendus, vraie vision du monde, MAIS des dialogues jamais à la hauteur. » Jamais ! Car les dialogues sont la dernière couche d’une histoire. Si un scénario est une maison, les dialogues en sont l’enduit. C’est important, ça fait joli, mais ce n’est pas ce qui fait tenir debout la maison. Elle tient parce qu’il y a des murs et des poutres, et ça, ça s’appelle une histoire. Quand j’entends de jeunes auteurs se dire « ça ira, on a de bons dialogues », j’ai peur qu’ils aillent dans le mur.
N’est-ce pas pourtant le moyen de sauver une scène médiocre, ou mauvaise ?
Il y a des tas de moyens pour cela ! Notamment le dessin ! J’ai laissé passer, hélas, quelques mauvaises scènes. Mais le talent du dessinateur était tel que les gens l’adoraient, alors qu’objectivement, en matière de scénar… Un dessin extraordinaire, la meilleure des blagues de l’année peut sauver une mauvaise scène. Pas l’album. Pas le film. Je crois vraiment à cela.
Michel Audiard me semble avoir orienté pas mal de scénarios dans la mauvaise direction
Un exemple de scène ratée signée Xavier Dorison ?
Mieux que ça, un exemple de scénario raté. J’ai écrit, découpé, dialogué les soixante planches d’une première version du tome 2 d’Undertaker avant de le refaire entièrement.
Comment peut-on s’apercevoir seulement à la fin qu’une histoire ne convient pas ?
J’ai compris que j’avais passé mon temps à sauver les meubles, utiliser des ficelles… et de bonnes blagues. Mais, au départ, il y avait bel et bien une faille. D’habitude, je teste nos histoires avec Ralph Meyer, on discute, on corrige, il me donne le feu vert et, à partir de là, je découpe. Or, lorsque j’ai attaqué Undertaker #2, Ralph était indisponible, parti trois semaines, en Hongrie je crois. J’ai donc attaqué seul. Et me suis planté. Deux à trois mois de travail à refaire. Tant pis pour moi. J’ai tout repris. Hier soir, Ralph a validé le nouveau scénario. Aujourd’hui, je suis vraiment content.
Est-ce lui qui avait sonné l’alarme ?
Il était resté assez silencieux, sans doute parce qu’il était ennuyé. Un éditeur Dargaud avait validé le scénario. Un autre aussi, mais du bout des lèvres, me disant : « J’attendais un petit peu mieux de toi, à tel endroit tu aurais pu…, etc. » J’ai senti ensuite que Ralph semblait moins emballé que par le premier et il a fini par faire pas mal de critiques… Fort justes ! Et ça, vu le temps qu’il passe sur la réalisation, ce n’était pas envisageable. Autre handicap, dans la première version, je ne répondais pas à mes promesses.
Quelles promesses ?
En écrivant le tome 1, je m’en suis fait quelques-unes pour la suite. La promesse que tout se terminerait dans les mines de Cusco, par exemple. Ma première version de la suite, si elle était cohérente, si les faits s’enchaînaient bien, ne répondait pas à ce genre de promesses. Et cela m’agaçait. J’avais beau avoir déjà un agenda serré, il fallait que je passe deux mois de plus sur le script. Cela dit, ils ne sont pas totalement perdus ! J’ai un bien meilleur scénario et j’ai appris pas mal de choses qui, j’espère, seront payantes pour la suite de mon travail.
J’ai compris que j’avais cherché à sauver les meubles, utilisant ficelles et bonnes blagues…
Avez-vous eu ce genre de problème sur le premier Undertaker ?
Non, mais nous avons changé de sujet de l’épisode. La première idée de Ralph était de montrer notre croque-mort accompagnant une femme, se sachant condamnée, du nord au sud où elle voulait se faire enterrer. Projet assez mal vu par les sudistes qui l’accusaient à juste titre de les avoir trahis pendant la guerre. Certains de mes proches ayant à l’époque de gros problèmes de santé, aujourd’hui oubliés, il m’a semblé que ce n’était pas, pour moi, le meilleur moment pour gérer une telle histoire. D’autant que j’avais beaucoup traité la question de l’accompagnement de la mort dans Le Syndrome d’Abel avec Richard Marazano. Nous avons donc remis le projet dans un tiroir, d’où il ressortira un jour !
Refaire, n’est-ce pas un crève-cœur ?
Ce fut comme refaire un nouvel album, car j’ai tout changé, les deux histoires n’ont rien à voir.
Une première ?
Non. Écrire, c’est réécrire. J’ai l’habitude. Et, parfois, cela donne des résultats assez amusants… Pour l’anecdote, je viens de réécrire une autre histoire. En juin doit sortir chez Dargaud Le Maître d’armes, roman graphique d’aventures de 86 planches, dessiné par Joël Parnotte (Le Sang des Porphyre). Je viens d’en écrire l’adaptation pour le cinéma. Seuls points communs entre les deux histoires, la première et dernière scène, ainsi que le même univers. Tout le reste change !
Du pur masochisme ?
Bien sûr que non ! Mais certaines choses sont réalisables en bande dessinée et pas forcément au cinéma. Et j’avais envie de faire pour le cinéma des choses différentes de celles que j’imagine pour le dessin.
Je travaille sur un projet inspiré de Capitaines courageux, mais qui se déroulera… en cuisine
Et vous donner plus de chances de séduire un producteur ?
Oui. Mais il peut se produire l’inverse. Certains producteurs ont une grande capacité d’imagination. D’autres moins. Ceux-ci préféreront toujours ce qu’ils peuvent visualiser, ici la BD dessinée par Joël, à un projet qui est davantage destiné au média, mais simplement écrit.
Quel est votre emploi du temps ?
Je fonctionne toujours selon le même rituel. Chaque matin je travaille sur une histoire, étape par étape, jusqu’à ce qu’elle soit terminée. L’après-midi, je m’occupe des autres projets en cours, des rapports avec les auteurs, des relectures, corrections, interviews, etc. Je m’impose cet emploi du temps pour ne pas me disperser, un des plus grands dangers de ce métier.
Vous scénarisez désormais Thorgal et Kriss de Valnor. Rêvez-vous d’autres reprises d’œuvres célèbres ?
J’espère qu’un projet très ancien, conçu au départ pour les Humanoïdes Associés, verra le jour dans les deux ou trois ans. Nautilus sera une suite lointaine de 20 000 lieues sous les mers. Un roman de Rudyard Kipling, Capitaines courageux, a marqué ma jeunesse. Je travaille, à mon tour, sur un récit d’éducation autour d’un métier, montrant la vie d’un enfant loin de son milieu d’origine.
Une histoire maritime, comme Capitaines courageux ?
Pas du tout, un récit de cuisine se déroulant dans les années cinquante. Mon récit maritime existe déjà. J’ai comme tout le monde été marqué par le Moby Dick d’Herman Melville. Il est à l’origine de notre Asgard, à Ralph et à moi.
D’autres projets ?
Sans doute parce que je vieillis, je m’intéresse à de nouveaux sujets. Du coup, cohabitent dans mon imaginaire des sources d’inspiration d’enfance et d’autres d’adulte. Mon travail va de plus en plus se séparer entre une branche très réaliste, adulte, et une branche aventure pour tous les âges. Je m’intéresse notamment à l’histoire d’une jeune femme qui essaye de faire percer le système Montessori dans l’éducation à la française. On sera, là encore, dans une veine bien éloignée de celle d’Undertaker…
Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI
Supplément gratuit de Casemate 77 – janvier-février 2015.
* Jean-Paul Belmondo dans 100 000 dollars au soleil.
Ralph Meyer : « Notre moteur, la confiance »
Comment avez-vous réagi au premier scénario du tome 2 d’Undertaker ?
Ralph Meyer : Xavier empruntait une direction intéressante, mais qui ne me semblait pas à la hauteur de ce qu’il avait écrit dans le premier tome. Au milieu de trop de personnages secondaires, on perdait un peu notre undertaker. Une des grandes qualités de Xavier est de savoir être à l’écoute des autres et si vos arguments lui paraissent convaincants, il n’hésite pas à reconsidérer son travail. Lors de différentes sessions de travail que nous avons faites à Paris ou encore durant une semaine à Barcelone, nous avons pas mal remanié le scénario. Au final, Xavier et moi étions plus convaincus et plus excités par le résultat, cette fois-ci. Xavier lui-même le jugeant quelques coudées au-dessus du précédent.
On perdait un peu trop notre undertaker au milieu de trop de personnages secondaires
La tonalité d’un scénario influence-t-elle votre travail ?
Imaginez-vous consacrer neuf, dix ou onze mois de votre vie à illustrer un scénario qui ne vous convainc pas totalement ? C’est la pire des choses qui puissent arriver à un dessinateur. Comment vous investir complètement, à 100 %, dans une histoire dans laquelle vous ne croyez pas vous-même totalement ? Cela étant dit, pour répondre précisément à votre question, oui, la tonalité influence clairement le traitement graphique que l’on va utiliser.
Ces choses-là sont-elles faciles à se dire entre collaborateurs, entre amis ?
Une des forces des vieux couples est qu’on a suffisamment confiance en l’autre pour se dire franchement les choses. Je dirais même que c’est un excellent moteur parce que nous savons tous deux qu’il s’agit là aussi d’une manière de se tirer chacun vers le haut. Nous sommes, par nature, très exigeants envers nous-mêmes et donc très exigeants dans notre collaboration. Xavier comme quelques autres scénaristes tels Fabien Vehlmann, avec qui j’ai fait IAN, ont l’immense avantage de ne pas chercher à mettre leur ego en avant, mais tout simplement à réaliser le meilleur bouquin possible. Travailler avec eux est un vrai luxe.
JPF
Undertaker #1,
Le Mangeur d’or,
Ralph Meyer,
Xavier Dorison,
Dargaud,
13,99 €,
30 janvier.